A propos de « Deuxième épitre à Laurent Gbagbo » de Tiburce Koffi : Les mots utilisés par Tiburce Koffi sont à la limite de l'injure proférée à l'égard de M. Laurent Gbagbo. (1)

Le 19 novembre 2010 par Autre presse - « Deuxième épitre à Laurent Gbagbo ». Tel est
le titre du « courrier offert à la curiosité du

Laurent Gbagbo recevant Ban Ki Moon à Abidjan.

Le 19 novembre 2010 par Autre presse - « Deuxième épitre à Laurent Gbagbo ». Tel est
le titre du « courrier offert à la curiosité du

public », du moins de la lettre ouverte publiée
par M. Tiburce Koffi dans le Nouveau réveil du
samedi 30 octobre dernier, notamment à la
veille de l’élection présidentielle. Cette lettre
ouverte, je l’ai fait suivre à d’autres
compatriotes et amis. Je l’ai lue avec un intérêt
certain et avec une juste et bienveillante
attention. Et, comme à mon habitude, je vais ici
saisir l’occasion pour l’analyser, du moins pour
dire ce que j’en pense. J’ai pu recevoir cette
lettre ouverte grâce à la bienveillance d’un ami
résidant en Côte d’Ivoire, que je remercie, et
dont je voudrais, d’abord et avant tout, vous
faire partager le point de vue.
Des propos à la limite de l'injure
« Je voudrais faire une petite remarque et cela
n'engage que moi… Les mots utilisés par Tiburce
Koffi sont à la limite de l'injure proférée à l'égard de
M. Laurent Gbagbo. Or, il se trouve que, jusqu'à ce
jour, celui-ci est encore le président de la
république, grâce au bon vouloir des Ivoiriens qui
l'ont élu en octobre 2000. A ce titre, nous lui
devons un minimum de respect pour la fonction
qu'il occupe, même si nous sommes déçus de
l'homme ou même si nous ne l'aimons pas. De la
même manière que nous devrons du respect au
prochain président... Mais, Tiburce Koffi, c'est
aussi ça. Et, c'est pour ça que, soit nous l'aimons,
soit nous ne l’aimons pas. C'est un jusqu'auboutiste
qui parle avec son coeur et qui met au
grand jour ses émotions. Mais, ce n'est pas parce
que M. Laurent Gbagbo se vautre dans la fange que
nous devons faire pareil. Nous devons nous montrer
plus éduqués que M. Laurent Gbagbo et plus
respectueux que lui de sa propre fonction. Si un
président ne connaît pas sa place, nous devons le lui
faire savoir, tout en pesant nos mots... ».
Ainsi donc, M. Tiburce Koffi « parle avec son
coeur et met au grand jour ses émotions », comme
le dit si bien notre ami. C’est de ce point de vue
que cette lettre ouverte qui est, selon Tiburce
Koffi lui-même, un « appel, tyrannique, lancinant
et tragique comme l'étreinte dernière que se
donnent ceux qui partent pour ne plus se revoir ni
plus revenir » nous intéresse. Je veux dire que je
vais en parler du point de vue psychocritique
ou psychanalytique, laissant place aux autres
d’user des autres méthodes, notamment
stylistique, thématique, linguistique,
ethnosociologique…, pour éclairer les autres
points, comme l’a fait, à juste titre et à bon
escient, cet ami.
Pourquoi la psychocritique ?
La psychocritique est la méthode d’analyse
inspirée par la psychanalyse et illustrée par
Charles Mauron, à partir des thèses de
Roger Fry. C’est une méthode d’analyse qui
consiste à étudier une oeuvre ou un texte pour
relever des faits et des relations issus de la
personnalité inconsciente de l'écrivain ou du
personnage. En d’autres termes, la
psychocritique a pour but de découvrir les
motivations psychologiques inconscientes d’un
individu, à travers ses écrits ou ses propos.
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La psychocritique se veut une critique
littéraire, scientifique, partielle, non réductrice.
Littéraire, car ses recherches sont fondées
essentiellement sur les textes ; scientifique, de
par son point de départ (les théories de Freud
et de ses disciples) et de par sa méthode
empirique (Mauron se réclame de la méthode
expérimentale de Claude Bernard) ; partielle,
puisqu’elle se limite à chercher la structure du
phantasme inconscient ; non-réductrice, car
Mauron attribue au mythe personnel une
valeur architecturale, il le compare à une
crypte cachée sous une église romane. Mauron
a, par ailleurs, esquissé une théorie sur la
liberté créatrice de l’homme et la valeur de
l’art… D’où, l’intérêt, pour moi, de recourir à
cette méthode qui permet d’aller au-delà des
autres méthodes traditionnelles d’analyse et
d’en révéler plus, tant sur le texte que sur
l'auteur, puisque c'est, bien entendu, le rôle du
critique que d'en savoir davantage et d’en dire
plus. Sur ce point, toute la nouvelle critique
s'accorde.
De ce fait, la méthode psychanalytique ou la
psychocritique nous fera comprendre la
personnalité inconsciente de M. Tiburce Koffi
et les fondements, ou les mobiles de
l’obsession de certains thèmes et concepts
récurrents, à savoir : le scandale, la
provocation, à la limite de l’offense ou de
l’insulte, la révolte, la rupture… Pourquoi
procède-t-il ainsi ? Que recherche-t-il ?... La
psychocritique nous fournira également les
clefs pour expliquer pourquoi il est attiré et
séduit par M. Houphouët Boigny, et pourquoi
M. Henri Konan Bédié ne saurait l’intégrer
dans son cercle politique. La psychocritique
nous révélera également le fondement des
« relations pleines de sous-entendus, de
malentendus, de non attendus et d'énigmes »
entre Tiburce Koffi et Laurent Gbagbo. La
psychocritique nous dira aussi pourquoi
Tiburce Koffi ne ménage pas Laurent Gbagbo,
alors que tout le monde sait qu’il a
énormément bénéficié des largesses de celui-ci
qu’il traite, à tort ou à raison, de sanguinaire
devant répondre de « ses 10 années de règne
anarchique et criminel devant le TPI (Tribunal
Pénal International) ou la potence de l'Histoire »…
En tout cas, il semble évident que c’est par
l’explication psychanalytique que l’on peut
comprendre les contradictions, du moins
l’attitude « dialectique » de Tiburce Koffi vis-àvis
de MM. Henri Konan Bédié, Houphouët
Boigny et Laurent Gbagbo. Cette attitude
« dialectique » est, d’ailleurs, identique et
constante face à tous ses choix et toutes les
« fatalités » dont il cherche à s’évader et pour
lesquelles il éprouve ces sentiments tout à fait
confus et contradictoires ou opposés.
Des sentiments contradictoires
Dans cette « deuxième épitre », Tiburce Koffi
tutoie cordialement Laurent Gbagbo et
l’appelle très affectueusement « Laurent », sans
doute en référence à leur relation antérieure
emprunte d’amitié et d’échanges chaleureux.
Et, pourtant, contradictoirement, Tiburce Koffi
décrit Laurent Gbagbo comme un personnage
immonde et détestable, à la fois traître et
couard. En effet, Tiburce Koffi écrit à l’endroit
de Laurent Gbagbo : « On cherchait donc un chef,
Laurent ; tu n'auras été pour nous qu'un guerrier,
un personnage belliqueux, un apôtre de la violence,
de l'affrontement ; un farouche adepte de la guerre,
pour nourrir tes fantasmes puérils d'homme
courageux, de combattant et de résistant... ».
Dans le même ordre d’idées, Tiburce Koffi
parle de «résister au pouvoir d'Houphouët », de
se mettre « hors de portée de la colère
d'Houphouët » et, contradictoirement, il trouve
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anormal qu’on l’on puisse fuir, alors que
normalement, dans un pays où l’injustice et
l’arbitraire sont l’arme privilégiée du pouvoir,
il est plus salutaire de fuir que de
subir, d’abord par pur instinct animal de
conservation de la vie, ensuite par sagesse.
Normalement, en d’autres termes, lorsqu'on se
trouve face à un tigre, inutile de raisonner trop
longtemps, il faut vite choisir la fuite », nous
nous enseigne le sage Lao She. En ce cas,
« fuir, dit Alexandre Breffort, c’est prendre son
courage à deux pieds ».
Une autre contradiction concerne le
personnage d’Houphouët Boigny. M. Tiburce
Koffi pose à M. Laurent Gbagbo la question
suivante : « Houphouët nous a-t-il tués, nous ses
opposants ? Nous qui avons écrit mille et une
proses infectes sur lui, sa famille, son parti politique
le PDCI-RDA ? ». Autrement dit, M. Tiburce
Koffi s’autoproclame « opposant » à
Houphouët Boigny et aurait, en tant que tel,
écrit des textes « infectes » sur celui-ci. Mais,
contradictoirement, il dit très affectueusement
« Houphouët », parce que, pour lui, vaille que
vaille, Houphouët Boigny demeure et
demeurera à jamais, dans sa tête et surtout
dans son coeur, « cet homme prestigieux,
intelligent, sérieux, travailleur, inspiré, respecté,
sage, instruit. Oui, INSTRUIT, car Houphouët
était un homme cultivé et instruit. Rien qu'à
écouter des discours (non écrits) d'Houphouët, et à
écouter les tiens (le langage de l'universitaire que
tu es), on mesure le fossé d'élégance, de savoir et de
culture qui vous sépare. Et tu devrais même avoir
honte qu'Houphouët sache s'exprimer mieux que
toi, l'universitaire, au langage encombré de fautes
aussi insolites que ridicules... ». Est-ce là une
prose infecte ?
En fait d’opposition, on sait que les Amadou
Koné, Anaky Paul, Victor Capri Djédjé,
Joachim Bony, Dignan Bailly, Jean Baptiste
Mokey, Camille Gris, Jean Konan Banny, pour
ne citer que ceux-là, ont crucialement payé le
prix de leur opposition à Houphouët Boigny,
dans la prison d’Assabou, à Yamoussoukro ;
cette prison ayant édulcoré l’image de “sage
d’Afrique” qu’il était censé incarner,
Houphouët Boigny l’avait fait dynamiter et
avait pris l’habitude d’envoyer les opposants
dans les camps militaires, quitte à montrer à
l’opinion internationale qu’il n’y a pas de
prisonniers politiques. C’est ainsi que Laurent
Gbagbo arrêté en 1971, pour des raisons
politiques, a passé 2 ans au camp de Bouaké,
avec d’autres enseignants dont Djény
Kobenan. De même, les camps de Séguéla et
d’Akouédo ont accueilli plusieurs générations
d’étudiants, d’enseignants et de journalistes
(dont Eugène Kacou) connus pour leur
anticonformisme ou taxés de « trublions » de
« mégalomanes » ou d’« apprentis sorciers qui
tentent de troubler le climat de paix et de prospérité
auquel nous veillons comme sur la prunelle de nos
yeux » (dixit H B).
Ainsi, c’est au camp militaire de Séguéla que
Laurent Akoun, Kouadio Améa Jean, Tiburce
Koffi, Dablé Tata, Guéi Lucien, Gonzreu
Kloueu, Ndri Voltaire, Ganin Bertin et leurs
camarades du SYNESCI, ont “refait leur
éducation”, pour avoir refusé d’affilier leur
syndicat à 1’UGTCI (organe du PDCI), pour
s’être élevé contre la pratique éhontée du
« recrutement parallèle », pour avoir imposé la
suppression de l’enseignement télévisuel qui a
abruti des générations d’Ivoiriens et hélas !
assassiné des milliers de Mozart chez nous, et
pour avoir, Tiburce Koffi le sait, exigé des
établissements scolaires en quantité suffisante,
ainsi que de meilleures conditions de travail en
vue d’un « enseignement de qualité favorable à la
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réussite de tous les enfants de Côte d’Ivoire »
(archive SYNESCI)…
Au regard de nos conditions actuelles de vie,
nous avons, comme je l’ai déjà dit, des griefs
contre Laurent Gbagbo et son entourage,
certes. Mais, ayons, tous et toutes, le courage et
l’honnêteté d’affirmer, sans jouer à l’avocat du
diable et sans risque aucun de nous tromper,
que, aujourd’hui, Tiburce Koffi peut tenir,
publiquement, librement, de tels propos « à la
limite de l'injure proférée à l'égard de M. Laurent
Gbagbo », du reste sans représailles aucunes,
tout simplement au nom de la liberté que nous
n’avions pas hier, quarante années durant, et
dont nous jouissons pleinement en Côte
d’Ivoire en ce moment, dans cette deuxième
république. Pouvait-il, du temps et du vivant
d’Houphouët Boigny tenir le même discours
sur Houphouët Boigny et…? Au moins,
reconnaissons cela à Laurent Gbagbo, même si,
comme le dit si bien Tiburce Koffi, « on mesure
(en effet) le fossé d'élégance, de savoir et de culture
qui le sépare d’Houphouët Boigny ». En vérité, un
gouffre sépare les deux hommes, à tous points
de vue.
Qui plus est, M. Tiburce Koffi blanchit, comme
qui dirait à l’aveuglette, Houphouët Boigny de
tous ses crimes de sang. Or, l'histoire de notre
pays n'est pas si vieille, au point d’ignorer tous
les événements, hélas ! bien souvent sanglants,
qui l'ont marquée durant le règne du « sage »,
pour ne pas dire sous la dictature
d’Houphouët Boigny et dont ce dernier porte
l’entière responsabilité : les événements
d’octobre 1958 ; le prétendu suicide ou la mort
sans explication d’Ernest Boka qui alors
président de la Cour suprême, avait
démissionné pour protester contre les
multiples arrestations ; le mystérieux accident
de Jean Baptiste Mokey ; la mort jusqu’à ce
jours inexpliquée de Victor Biaka Boda ; la
prison d’Assabou ; l’affaire dite, « des faux
complots » d’Houphouët-Boigny ; les
événements du Sanwi ; la création d’une milice
du parti de près de 6.000 hommes pour la
plupart baoulés ; le massacre des Guébié qui
avait fait plus de 4.000 morts ; la disparition de
Kragbé Gnagbé ; la féroce répression de la
grève des Agents de la Fonction publique
suivie de l’arrestation illico et l’expulsion
militari de Yao Ngo Blaise en Guinée ;
l’arrestation en 1959 des dirigeants de l’UGECI
dont Harris Memel Fôté ; le vote (sous la
terreur) de la loi du 17 janvier 1963 autorisant
Houphouët Boigny à prendre des mesures
d’internement et d’assignation à résidence
contre toute personne qui pourrait être
suspectée de s’opposer à son pouvoir ; les
« complots du chat noir » ; les mesures
d'épuration prises à la suite de deux présumés
complots contre le pouvoir ; la prison spéciale
d'Assabou créée à Yamoussoukro (village natal
d'Houphouët-Boigny) pour accueillir les
"comploteurs" et qui a fait le plein jusqu'en
1967 et n’a été détruite qu'en 1969 et remplacée
par une école primaire ; le congrès du PDCI, en
1963 où le jeune Konan Bédié a été présenté
comme un « modèle » à l'opposé des militants
et autres intellectuels du JRDA-CI qui
remplissaient la prison d'Assabou ; le vote au
début janvier 1963, par l'Assemblée d’une loi
portant création d 'une cour de sûreté de l'Etat ;
la révocation des trois ministres (Joachim
Bony, Charles Donwahi et Amadou Koné
fondateur des JRDA-CI) de leurs fonctions et
qui ont rejoindront quelques jours plus tard,
plus de cent personnes dont cinq députés, à la
prison d’Assabou de Yamoussoukro ; la
reconnaissance et le soutien du régime
sécessionniste biafrais, lors de la guerre civile
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au Nigeria et l’accueil du Général Ojukwu,
ancien chef rebelle du Biafra...
... On épuiserait des pages à citer tous les
crimes de sang garnissant « la Mémoire du
Grand homme », lequel, insinue Tiburce Koffi,
« fut pourtant loin d'être un chef criminel », même
s’il disait, sans blague, sans pudeur, sans
honte, être un adepte forcené de l’injustice,
même si pour réprimer ou tuer, il prenait
comme prétexte ou alibi le « désordre », c'est-àdire
toute contestation, toute agitation, toute
protestation, tout remise en question de
l’hégémonie et de la divine sagesse du
« Bélier », puisque nous étions présumés être
les moutons.
Eu égard à ces faits, on peut affirmer que ce
qui explique l’admiration pour le moins béate
de Tiburce Koffi, c’est, d’une part, sa fibre
ethnique ; c’est, d’autre part, le fait qu’il ne sait
rien de tout cela , en dépit des archives et des
documents qui existent pour l’éclairer (Patrick
Grainville.- Le Tyran éternel, Seuil ; Pascal
Koffi Téya.- Côte d'Ivoire, le roi est nu,
L'Harmattan ; Samba Diarra.- Les Faux
Complots d'Houphouët-Boigny, Karthala ;
Jacques Baulin.- La Succession
d'Houphouët-Boigny, Karthala ; Jacques
Baulin.- La Politique intérieure
d'Houphouët-Boigny, Eurafor ; Laurent
Gbagbo.- Côte-d'Ivoire, pour une
alternative démocratique, L'Harmattan ;
Marcel Amondji.-Côte-d'Ivoire. Le P.D.C.I.
et la vie politique de 1945 à 1985,
L'Harmattan ; Marcel Amondji.- Félix
Houphouët et la Côte-d'Ivoire l'envers
d'une légende, Karthala ; Frédéric Grah Mel.-
Félix Houphouët-Boigny. Biographie,
édition Maisonneuve & Larose ; Ellenbogen
Alice.- La Succession d'Houphouët-Boigny
entre tribalisme et démocratie,
L'Harmattan, etc.). Sinon, c’est, consciemment
ou inconsciemment, du moins par « honnêteté
par rapport à sa propre inconscience et à son
ignorance» ou par pur « enjeu politique », qu’il
passe sous silence ou dénie tout ceci, comme il
l’a si souvent fait dans ses écrits...

Léandre Sahiri
Directeur de Publication de "Le Filament"