A propos de « Deuxième épitre à Laurent Gbagbo » de Tiburce Koffi "Contradictions et dérives": "Les mots utilisés par Tiburce Koffi sont à la limite de l'injure proférée à l'égard de M. Laurent Gbagbo"

« Deuxième épitre à Laurent Gbagbo ». Tel est
le titre du « courrier offert à la curiosité du
public », du moins de la lettre ouverte publiée
par M. Tiburce Koffi dans le Nouveau réveil du

Laurent Gbagbo, président de la Côte d'Ivoire.

« Deuxième épitre à Laurent Gbagbo ». Tel est
le titre du « courrier offert à la curiosité du
public », du moins de la lettre ouverte publiée
par M. Tiburce Koffi dans le Nouveau réveil du

samedi 30 octobre dernier, notamment à la
veille de l’élection présidentielle. Cette lettre
ouverte, je l’ai fait suivre à d’autres
compatriotes et amis. Je l’ai lue avec un intérêt
certain et avec une juste et bienveillante
attention. Et, comme à mon habitude, je vais ici
saisir l’occasion pour l’analyser, du moins pour
dire ce que j’en pense. J’ai pu recevoir cette
lettre ouverte grâce à la bienveillance d’un ami
résidant en Côte d’Ivoire, que je remercie, et
dont je voudrais, d’abord et avant tout, vous
faire partager le point de vue.
Des propos à la limite de l'injure
« Je voudrais faire une petite remarque et cela
n'engage que moi… Les mots utilisés par Tiburce
Koffi sont à la limite de l'injure proférée à l'égard de
M. Laurent Gbagbo. Or, il se trouve que, jusqu'à ce
jour, celui-ci est encore le président de la
république, grâce au bon vouloir des Ivoiriens qui
l'ont élu en octobre 2000. A ce titre, nous lui
devons un minimum de respect pour la fonction
qu'il occupe, même si nous sommes déçus de
l'homme ou même si nous ne l'aimons pas. De la
même manière que nous devrons du respect au
prochain président... Mais, Tiburce Koffi, c'est
aussi ça. Et, c'est pour ça que, soit nous l'aimons,
soit nous ne l’aimons pas. C'est un jusqu'auboutiste
qui parle avec son coeur et qui met au
grand jour ses émotions. Mais, ce n'est pas parce
que M. Laurent Gbagbo se vautre dans la fange que
nous devons faire pareil. Nous devons nous montrer
plus éduqués que M. Laurent Gbagbo et plus
respectueux que lui de sa propre fonction. Si un
président ne connaît pas sa place, nous devons le lui
faire savoir, tout en pesant nos mots... ».
Ainsi donc, M. Tiburce Koffi « parle avec son
coeur et met au grand jour ses émotions », comme
le dit si bien notre ami. C’est de ce point de vue
que cette lettre ouverte qui est, selon Tiburce
Koffi lui-même, un « appel, tyrannique, lancinant
et tragique comme l'étreinte dernière que se
donnent ceux qui partent pour ne plus se revoir ni
plus revenir » nous intéresse. Je veux dire que je
vais en parler du point de vue psychocritique
ou psychanalytique, laissant place aux autres
d’user des autres méthodes, notamment
stylistique, thématique, linguistique,
ethnosociologique…, pour éclairer les autres
points, comme l’a fait, à juste titre et à bon
escient, cet ami.
Pourquoi la psychocritique ?
La psychocritique est la méthode d’analyse
inspirée par la psychanalyse et illustrée par
Charles Mauron, à partir des thèses de
Roger Fry. C’est une méthode d’analyse qui
consiste à étudier une oeuvre ou un texte pour
relever des faits et des relations issus de la
personnalité inconsciente de l'écrivain ou du
personnage. En d’autres termes, la
psychocritique a pour but de découvrir les
motivations psychologiques inconscientes d’un
individu, à travers ses écrits ou ses propos.
Le Filament No: 10 du 15 Novembre 2010 Page 4
La psychocritique se veut une critique
littéraire, scientifique, partielle, non réductrice.
Littéraire, car ses recherches sont fondées
essentiellement sur les textes ; scientifique, de
par son point de départ (les théories de Freud
et de ses disciples) et de par sa méthode
empirique (Mauron se réclame de la méthode
expérimentale de Claude Bernard) ; partielle,
puisqu’elle se limite à chercher la structure du
phantasme inconscient ; non-réductrice, car
Mauron attribue au mythe personnel une
valeur architecturale, il le compare à une
crypte cachée sous une église romane. Mauron
a, par ailleurs, esquissé une théorie sur la
liberté créatrice de l’homme et la valeur de
l’art… D’où, l’intérêt, pour moi, de recourir à
cette méthode qui permet d’aller au-delà des
autres méthodes traditionnelles d’analyse et
d’en révéler plus, tant sur le texte que sur
l'auteur, puisque c'est, bien entendu, le rôle du
critique que d'en savoir davantage et d’en dire
plus. Sur ce point, toute la nouvelle critique
s'accorde.
De ce fait, la méthode psychanalytique ou la
psychocritique nous fera comprendre la
personnalité inconsciente de M. Tiburce Koffi
et les fondements, ou les mobiles de
l’obsession de certains thèmes et concepts
récurrents, à savoir : le scandale, la
provocation, à la limite de l’offense ou de
l’insulte, la révolte, la rupture… Pourquoi
procède-t-il ainsi ? Que recherche-t-il ?... La
psychocritique nous fournira également les
clefs pour expliquer pourquoi il est attiré et
séduit par M. Houphouët Boigny, et pourquoi
M. Henri Konan Bédié ne saurait l’intégrer
dans son cercle politique. La psychocritique
nous révélera également le fondement des
« relations pleines de sous-entendus, de
malentendus, de non attendus et d'énigmes »
entre Tiburce Koffi et Laurent Gbagbo. La
psychocritique nous dira aussi pourquoi
Tiburce Koffi ne ménage pas Laurent Gbagbo,
alors que tout le monde sait qu’il a
énormément bénéficié des largesses de celui-ci
qu’il traite, à tort ou à raison, de sanguinaire
devant répondre de « ses 10 années de règne
anarchique et criminel devant le TPI (Tribunal
Pénal International) ou la potence de l'Histoire »…
En tout cas, il semble évident que c’est par
l’explication psychanalytique que l’on peut
comprendre les contradictions, du moins
l’attitude « dialectique » de Tiburce Koffi vis-àvis
de MM. Henri Konan Bédié, Houphouët
Boigny et Laurent Gbagbo. Cette attitude
« dialectique » est, d’ailleurs, identique et
constante face à tous ses choix et toutes les
« fatalités » dont il cherche à s’évader et pour
lesquelles il éprouve ces sentiments tout à fait
confus et contradictoires ou opposés.
Des sentiments contradictoires
Dans cette « deuxième épitre », Tiburce Koffi
tutoie cordialement Laurent Gbagbo et
l’appelle très affectueusement « Laurent », sans
doute en référence à leur relation antérieure
emprunte d’amitié et d’échanges chaleureux.
Et, pourtant, contradictoirement, Tiburce Koffi
décrit Laurent Gbagbo comme un personnage
immonde et détestable, à la fois traître et
couard. En effet, Tiburce Koffi écrit à l’endroit
de Laurent Gbagbo : « On cherchait donc un chef,
Laurent ; tu n'auras été pour nous qu'un guerrier,
un personnage belliqueux, un apôtre de la violence,
de l'affrontement ; un farouche adepte de la guerre,
pour nourrir tes fantasmes puérils d'homme
courageux, de combattant et de résistant... ».
Dans le même ordre d’idées, Tiburce Koffi
parle de «résister au pouvoir d'Houphouët », de
se mettre « hors de portée de la colère
d'Houphouët » et, contradictoirement, il trouve
Le Filament No: 10 du 15 Novembre 2010 Page 5
anormal qu’on l’on puisse fuir, alors que
normalement, dans un pays où l’injustice et
l’arbitraire sont l’arme privilégiée du pouvoir,
il est plus salutaire de fuir que de
subir, d’abord par pur instinct animal de
conservation de la vie, ensuite par sagesse.
Normalement, en d’autres termes, lorsqu'on se
trouve face à un tigre, inutile de raisonner trop
longtemps, il faut vite choisir la fuite », nous
nous enseigne le sage Lao She. En ce cas,
« fuir, dit Alexandre Breffort, c’est prendre son
courage à deux pieds ».
Une autre contradiction concerne le
personnage d’Houphouët Boigny. M. Tiburce
Koffi pose à M. Laurent Gbagbo la question
suivante : « Houphouët nous a-t-il tués, nous ses
opposants ? Nous qui avons écrit mille et une
proses infectes sur lui, sa famille, son parti politique
le PDCI-RDA ? ». Autrement dit, M. Tiburce
Koffi s’autoproclame « opposant » à
Houphouët Boigny et aurait, en tant que tel,
écrit des textes « infectes » sur celui-ci. Mais,
contradictoirement, il dit très affectueusement
« Houphouët », parce que, pour lui, vaille que
vaille, Houphouët Boigny demeure et
demeurera à jamais, dans sa tête et surtout
dans son coeur, « cet homme prestigieux,
intelligent, sérieux, travailleur, inspiré, respecté,
sage, instruit. Oui, INSTRUIT, car Houphouët
était un homme cultivé et instruit. Rien qu'à
écouter des discours (non écrits) d'Houphouët, et à
écouter les tiens (le langage de l'universitaire que
tu es), on mesure le fossé d'élégance, de savoir et de
culture qui vous sépare. Et tu devrais même avoir
honte qu'Houphouët sache s'exprimer mieux que
toi, l'universitaire, au langage encombré de fautes
aussi insolites que ridicules... ». Est-ce là une
prose infecte ?
En fait d’opposition, on sait que les Amadou
Koné, Anaky Paul, Victor Capri Djédjé,
Joachim Bony, Dignan Bailly, Jean Baptiste
Mokey, Camille Gris, Jean Konan Banny, pour
ne citer que ceux-là, ont crucialement payé le
prix de leur opposition à Houphouët Boigny,
dans la prison d’Assabou, à Yamoussoukro ;
cette prison ayant édulcoré l’image de “sage
d’Afrique” qu’il était censé incarner,
Houphouët Boigny l’avait fait dynamiter et
avait pris l’habitude d’envoyer les opposants
dans les camps militaires, quitte à montrer à
l’opinion internationale qu’il n’y a pas de
prisonniers politiques. C’est ainsi que Laurent
Gbagbo arrêté en 1971, pour des raisons
politiques, a passé 2 ans au camp de Bouaké,
avec d’autres enseignants dont Djény
Kobenan. De même, les camps de Séguéla et
d’Akouédo ont accueilli plusieurs générations
d’étudiants, d’enseignants et de journalistes
(dont Eugène Kacou) connus pour leur
anticonformisme ou taxés de « trublions » de
« mégalomanes » ou d’« apprentis sorciers qui
tentent de troubler le climat de paix et de prospérité
auquel nous veillons comme sur la prunelle de nos
yeux » (dixit H B).
Ainsi, c’est au camp militaire de Séguéla que
Laurent Akoun, Kouadio Améa Jean, Tiburce
Koffi, Dablé Tata, Guéi Lucien, Gonzreu
Kloueu, Ndri Voltaire, Ganin Bertin et leurs
camarades du SYNESCI, ont “refait leur
éducation”, pour avoir refusé d’affilier leur
syndicat à 1’UGTCI (organe du PDCI), pour
s’être élevé contre la pratique éhontée du
« recrutement parallèle », pour avoir imposé la
suppression de l’enseignement télévisuel qui a
abruti des générations d’Ivoiriens et hélas !
assassiné des milliers de Mozart chez nous, et
pour avoir, Tiburce Koffi le sait, exigé des
établissements scolaires en quantité suffisante,
ainsi que de meilleures conditions de travail en
vue d’un « enseignement de qualité favorable à la
Le Filament No: 10 du 15 Novembre 2010 Page 6
réussite de tous les enfants de Côte d’Ivoire »
(archive SYNESCI)…
Au regard de nos conditions actuelles de vie,
nous avons, comme je l’ai déjà dit, des griefs
contre Laurent Gbagbo et son entourage,
certes. Mais, ayons, tous et toutes, le courage et
l’honnêteté d’affirmer, sans jouer à l’avocat du
diable et sans risque aucun de nous tromper,
que, aujourd’hui, Tiburce Koffi peut tenir,
publiquement, librement, de tels propos « à la
limite de l'injure proférée à l'égard de M. Laurent
Gbagbo », du reste sans représailles aucunes,
tout simplement au nom de la liberté que nous
n’avions pas hier, quarante années durant, et
dont nous jouissons pleinement en Côte
d’Ivoire en ce moment, dans cette deuxième
république. Pouvait-il, du temps et du vivant
d’Houphouët Boigny tenir le même discours
sur Houphouët Boigny et…? Au moins,
reconnaissons cela à Laurent Gbagbo, même si,
comme le dit si bien Tiburce Koffi, « on mesure
(en effet) le fossé d'élégance, de savoir et de culture
qui le sépare d’Houphouët Boigny ». En vérité, un
gouffre sépare les deux hommes, à tous points
de vue.
Qui plus est, M. Tiburce Koffi blanchit, comme
qui dirait à l’aveuglette, Houphouët Boigny de
tous ses crimes de sang. Or, l'histoire de notre
pays n'est pas si vieille, au point d’ignorer tous
les événements, hélas ! bien souvent sanglants,
qui l'ont marquée durant le règne du « sage »,
pour ne pas dire sous la dictature
d’Houphouët Boigny et dont ce dernier porte
l’entière responsabilité : les événements
d’octobre 1958 ; le prétendu suicide ou la mort
sans explication d’Ernest Boka qui alors
président de la Cour suprême, avait
démissionné pour protester contre les
multiples arrestations ; le mystérieux accident
de Jean Baptiste Mokey ; la mort jusqu’à ce
jours inexpliquée de Victor Biaka Boda ; la
prison d’Assabou ; l’affaire dite, « des faux
complots » d’Houphouët-Boigny ; les
événements du Sanwi ; la création d’une milice
du parti de près de 6.000 hommes pour la
plupart baoulés ; le massacre des Guébié qui
avait fait plus de 4.000 morts ; la disparition de
Kragbé Gnagbé ; la féroce répression de la
grève des Agents de la Fonction publique
suivie de l’arrestation illico et l’expulsion
militari de Yao Ngo Blaise en Guinée ;
l’arrestation en 1959 des dirigeants de l’UGECI
dont Harris Memel Fôté ; le vote (sous la
terreur) de la loi du 17 janvier 1963 autorisant
Houphouët Boigny à prendre des mesures
d’internement et d’assignation à résidence
contre toute personne qui pourrait être
suspectée de s’opposer à son pouvoir ; les
« complots du chat noir » ; les mesures
d'épuration prises à la suite de deux présumés
complots contre le pouvoir ; la prison spéciale
d'Assabou créée à Yamoussoukro (village natal
d'Houphouët-Boigny) pour accueillir les
"comploteurs" et qui a fait le plein jusqu'en
1967 et n’a été détruite qu'en 1969 et remplacée
par une école primaire ; le congrès du PDCI, en
1963 où le jeune Konan Bédié a été présenté
comme un « modèle » à l'opposé des militants
et autres intellectuels du JRDA-CI qui
remplissaient la prison d'Assabou ; le vote au
début janvier 1963, par l'Assemblée d’une loi
portant création d 'une cour de sûreté de l'Etat ;
la révocation des trois ministres (Joachim
Bony, Charles Donwahi et Amadou Koné
fondateur des JRDA-CI) de leurs fonctions et
qui ont rejoindront quelques jours plus tard,
plus de cent personnes dont cinq députés, à la
prison d’Assabou de Yamoussoukro ; la
reconnaissance et le soutien du régime
sécessionniste biafrais, lors de la guerre civile
Le Filament No: 10 du 15 Novembre 2010 Page 7
au Nigeria et l’accueil du Général Ojukwu,
ancien chef rebelle du Biafra...
... On épuiserait des pages à citer tous les
crimes de sang garnissant « la Mémoire du
Grand homme », lequel, insinue Tiburce Koffi,
« fut pourtant loin d'être un chef criminel », même
s’il disait, sans blague, sans pudeur, sans
honte, être un adepte forcené de l’injustice,
même si pour réprimer ou tuer, il prenait
comme prétexte ou alibi le « désordre », c'est-àdire
toute contestation, toute agitation, toute
protestation, tout remise en question de
l’hégémonie et de la divine sagesse du
« Bélier », puisque nous étions présumés être
les moutons.
Eu égard à ces faits, on peut affirmer que ce
qui explique l’admiration pour le moins béate
de Tiburce Koffi, c’est, d’une part, sa fibre
ethnique ; c’est, d’autre part, le fait qu’il ne sait
rien de tout cela , en dépit des archives et des
documents qui existent pour l’éclairer (Patrick
Grainville.- Le Tyran éternel, Seuil ; Pascal
Koffi Téya.- Côte d'Ivoire, le roi est nu,
L'Harmattan ; Samba Diarra.- Les Faux
Complots d'Houphouët-Boigny, Karthala ;
Jacques Baulin.- La Succession
d'Houphouët-Boigny, Karthala ; Jacques
Baulin.- La Politique intérieure
d'Houphouët-Boigny, Eurafor ; Laurent
Gbagbo.- Côte-d'Ivoire, pour une
alternative démocratique, L'Harmattan ;
Marcel Amondji.-Côte-d'Ivoire. Le P.D.C.I.
et la vie politique de 1945 à 1985,
L'Harmattan ; Marcel Amondji.- Félix
Houphouët et la Côte-d'Ivoire l'envers
d'une légende, Karthala ; Frédéric Grah Mel.-
Félix Houphouët-Boigny. Biographie,
édition Maisonneuve & Larose ; Ellenbogen
Alice.- La Succession d'Houphouët-Boigny
entre tribalisme et démocratie,
L'Harmattan, etc.). Sinon, c’est, consciemment
ou inconsciemment, du moins par « honnêteté
par rapport à sa propre inconscience et à son
ignorance» ou par pur « enjeu politique », qu’il
passe sous silence ou dénie tout ceci, comme il
l’a si souvent fait dans ses écrits. Alors,
question : M. Tiburce Koffi est-il révisionniste,
amnésique ou simplement malhonnête ?
Un héros cornélien ?
Par ailleurs, nous savons que, depuis 1999, M.
Tiburce Koffi n’est pas en odeur de sainteté
avec M. Henri Konan Bédié. Mais, le fait est
que M. Tiburce Koffi est, malgré tout et par
concession, Directeur de la maison d’édition
du « Nouveau Réveil » appartenant à M. Henri
Konan Bédié. Il est aussi un collaborateur
privilégié de M. Charles Konan Banny. Un
simple syllogisme permet de comprendre ce
qui se passe : M. Tiburce Koffi est le Conseiller
de M. Jean Konan Banny. Or, M. Charles
Konan Banny, soupçonné, à tort ou à raison,
par les partisans de Bédié d’être le
commanditaire d’une tentative de sabordage
du PDCI, a fait allégeance à M. Henri Konan
Bédié. Donc, M. Tiburce Koffi se doit de faire
allégeance à M. Henri Konan Bédié. Et, pour
cela, M. Tiburce Koffi avait besoin d’un signal
fort pour tourner la page, pour effacer
l’opprobre, sauver l’honneur ; il fallait, à M.
Tiburce Koffi, poser un acte cornélien, à
l’image du Cid (Corneille), ou jouer à Antigone
face à Créon (Anouilh)... Telle est la motivation
profonde ou le mobile de ce prophétique
« courrier offert à la curiosité du public » que, M.
Tiburce Koffi a fait publier, précisément à la
veille du scrutin, augurant de la fin inéluctable
de Laurent Gbagbo, au soir du 31 octobre
dernier, « comme l'étreinte dernière que se
donnent ceux qui partent pour ne plus se revoir ni
plus revenir… ». D’ailleurs, il le dit très
Le Filament No: 10 du 15 Novembre 2010 Page 8
explicitement et énergiquement dans son
épitre : « A l'approche de ce jour fatidique, je te
souhaite d'avoir le temps (après le ballet des
flagorneurs de la cour), de repasser rapidement dans
ta mémoire le film de tes 10 années de règne
anarchique et criminel pour comprendre ceci :
aucun peuple sérieux ne peut se permettre de
reconduire un dirigeant improductif et dangereux
comme toi. Un conseil donc : accepte de partir du
palais présidentiel dans l'élégance du grand
perdant. Accepte la défaite évidente qui t'attend.
C'est la dernière porte que l'Histoire t'ouvre pour
te permettre une possible réhabilitation après la
tourmente que nous a servie ton régime nocif. Fin
de règne donc pour toi, Gbagbo Laurent, fils de
Mama ! La Côte d'Ivoire est en route pour la IIIème
République ». Sans commentaire !
Que recherche Tiburce Koffi ?...
Cette déclaration à caractère divinatoire
montre que M. Tiburce Koffi avait cru ne plus
jamais rien attendre de Laurent Gbagbo. Il
pensait, en astrologue, en « devin » ou en mage
politique, dire l’oracle (épitre est un terme
biblique) et en même temps, en sacristain,
sonner le glas, et en même temps, être des tout
premiers à crier : « Vive le Roi ! », bien entendu
le nouveau, c'est-à-dire M. Henri Konan Bédié.
Voilà pourquoi, à quelques heures du scrutin,
il prophétise, sur un ton fort pathétique : « Fin
de règne donc pour toi, Gbagbo Laurent, fils de
Mama ! La Côte d'Ivoire est en route pour la 3ème
République. Ce sera, inévitablement, l'oeuvre des
vrais héritiers d'Houphouët. Ceux du RHDP. Le
grand jour est donc proche pour la réhabilitation de
la Mémoire du Grand homme que tu as salie. Et ce
sera ainsi, pour que soit rétablie la légalité
républicaine rompue imprudemment un mauvais
jour du 24 décembre 1999, sous tes soins ».
Malheureusement, M. Tiburce Koffi a tout
faux, lui qui entendait, de cette façon, en
fanfare, redorer son blason, autrement dit,
convaincre solennellement M. Bédié et
s’installer définitivement dans ses grâces et
dans son estime. Mauvais calculs ! M. Tiburce
Koffi perd de vue qu’il faut toujours et
beaucoup réfléchir avant de poser certains
actes, et que M. Henri Konan Bédié ne lui
pardonnera jamais ce gros coup de massue
fatal sur sa nuque, je veux parler de l’opprobre
de la « Lettre Ouverte » publiée par M. Tiburce
Koffi dans le journal Le Jour n° 1270 du 30 avril
1999, où il témoigne publiquement de
l’incapacité notoire et irréfutable de cet homme
à gérer intelligemment notre pays… Pour ceux
qui ignoreraient l’existence et la teneur de cette
autre « épitre offerte, (en 1999), à la curiosité du
public, comme l'étreinte dernière que se donnent
ceux qui partent pour ne plus se revoir ni plus
revenir», en voici un extrait : « … Monsieur le
Président (Henri Konan Bédié), vous et vos amis et
partenaires du pouvoir politique, seuls élus au
banquet de l’abondance et de la jouissance, n’avez
pas le sens du sacrifice. Vos préoccupations
essentielles semblent être les suivantes : continuer
dans la culture du gaspillage et du clinquant,
sacrifier le peuple, bloquer les salaires, hausse sans
cesse et fantaisiste des prix, absence d’une politique
sociale réelle du logement… Ici, en Côte d’Ivoire, on
ne pense plus, on mange et on cherche à manger,
car le savoir ne donne plus accès ni au respect ni au
travail… ».
Pourquoi M. Tiburce Koffi procède-t-il
toujours ainsi ?
Dans ma quête de réponse à cette interrogation
et au regard de ses sentiments contradictoires,
parfois inconvenants, je me suis intéressé, audelà
des mots, à l’état de santé moral et
psychologique de M. Tiburce Koffi. Je ne
reviens plus sur cette affaire de « dépendance »
qui, comme je l’avais dit hier, est la raison
Le Filament No: 10 du 15 Novembre 2010 Page 9
fondamentale de son « dérèglement ». Ce
dérèglement, qu’on nomme, en psychologie,
paranoïa, appartient au groupe des psychoses et
se caractérise, entre autres, par un délire
systématisé sans affaiblissement des capacités
intellectuelles, par un orgueil démesuré ou une
hypertrophie du MOI mêlée de susceptibilité,
d’angoisse de persécution, de jugement faux
ou mensonge, de rigidité du psychisme,
d’agressivité, de désir de vengeance, etc. De ce
point de vue, on note ici que le langage de M.
Tiburce Koffi est caractérisé par une réelle
surestimation de lui-même, une autoproclamation,
un orgueil anormalement
développé et associé à l’agressivité, un
raisonnement apparemment logique mais
reposant sur des illusions, des erreurs, des
postulats faux et parfois grossiers, comme par
exemple sur Houphouët Boigny ou sur
Laurent Gbagbo, selon qu’il veut présenter une
image méliorative de l’un et une image
péjorative de l’autre, selon qu’il veut diaboliser
ou louanger.
Il faut savoir que le dérèglement naît, bien
souvent, soit d'un conflit psychologique et
affectif, soit d’une affectivité anormale ou
manquante ; ce qui suppose que, pour
comprendre les propos et les agissements de
l’individu concerné, il faut faire une
investigation dans son enfance et dans sa
jeunesse, c'est-à-dire interroger son milieu
familial et ethnique, ses relations avec ses
parents et ses collègues ; il faut détecter ses
frustrations, ses ambitions inassouvies, ses
désirs insatisfaits, etc., lesquels, il faut le
savoir, génèrent de la souffrance et influencent
l’élaboration du sens de la réalité et de la
vérité.
M. Tiburce Koffi souffre énormément de ce
mal qu’il reconnaît lui-même, en ces termes :
« Je continuerai à écrire pour dire mon mal ».
Malheureusement, trop souvent, ce mal le
dessert. Il lui fait faire de mauvais choix et des
dérives, comme cela a, à juste titre, été relevé et
souligné ci-dessus par notre ami.
Un exemple parmi tant d’autres, c’est sa vision
de la fuite, voire de l'exil, révéré par André
Breton et autres surréalistes comme étant «
l'acte surréaliste par excellence lié aux
turbulences politiques et sociales défavorables
à la quiétude, à l'action politique, à la création
artistique, à la production littéraire… ». L’exil
ou la fuite dans une situation de menace se
mue, aux yeux de Tiburce Koffi, en fait de
traîtrise, de trahison et de couardise : « Le
courage, ton fameux courage, parlons-en, Laurent.
Dis-moi un peu : pourquoi as-tu fui, en 1982, pour
aller te cacher en France pendant près de sept ans ?
''Pour des raisons sécuritaires, car ma vie était en
danger'', as-tu dit. Moi, je te réponds : pendant que
tu te terrais en France, hors de portée de la colère
d'Houphouët, n'y avait-il pas d'opposant ici, en
Côte d'Ivoire ? Oui, Laurent, oui, il y en avait. Tu
sais leurs noms (j'en fais partie), et j'épuiserais mes
pages à les citer, tous. Si toi, le fuyard, se qualifie
aujourd'hui de courageux, de quels qualificatifs
désignera-t-on ceux d'entre nous (dont moi) qui
sommes restés ici, sur place, pour résister au
pouvoir d'Houphouët ? Lequel d'entre nous a-t-il
été tué par le régime d'Houphouët ? Aucun. Voistu
donc Laurent, quand on a fui une colère aussi
terrible que soit celle d'un Houphouët (qui fut
pourtant loin d'être un chef criminel), quand on a
abandonné le champ de combat et qu'on s'est tenu
loin, très loin de la répression, pendant sept ans,
pour écrire quelques livres au ton dénonciateur, on
ne se targue pas d'être un homme courageux ! Le
courage, ce fameux courage ! Voyons, Laurent : où
t'a-t-on capturé, en février 1992 ? Dans l'entrepôt
d'un immeuble, au Plateau, dit-on. Que faisais-tu
en cet endroit, toi le preux, le courageux, le brave ?
Tu fuyais la répression policière suite aux actes
posés par tes militants hystériques que tu avais
gonflés à bloc pour cette marche insurrectionnelle.
Tu avais donc abandonné l'armée de tes militants ;
et, après avoir détalé comme un forban pourchassé,
tu es allé te cacher en cet endroit…».
Le Filament No: 10 du 15 Novembre 2010 Page 10
C'est à croire qu'il faut clouer au pilori nos
compatriotes Francis Wodié, Ahmadou
Kourouma, Yao Ngo Blaise, Sokoury Marcel,
Pascal Kokora, Marcel Amondji, Pascal Koffi
Téya, Nicolas Agbohou, Bernard Doza, Sylvain
de Bogou, Paulin Djité et bien d'autres (dont
un certain Léandre Katouho Sahiri) qui,
sachant d’Esope que « face à plus fort que soi,
rivalité ou résistance ne sont pas de mise » et
mettant en avant ou observant que " « dans un
pays où le bon sens ne protège plus, la sagesse
enseigne et commande de fuir », ont pris,
courageusement, de gré ou de force, le chemin
de l'exil et ont, dans leurs pays d’accueil,
réalisé de grandes choses (études, publications,
diplomatie, etc.) qui font honneur à la Côte
d’Ivoire...
C'est aussi à se demander si André Breton
n'aurait pas eu tort de lancer, en 1922, cet appel
célèbre : « Lâchez tout…/ Lâchez votre femme…/
Lâchez vos espérances et vos craintes / Semez vos
enfants au coin d'un bois / Lâchez la proie pour
l'ombre…/ Lâchez au besoin une vie aisée, ce qu'on
vous donne/ Pour une situation d'avenir… » ?...
C'est à s'arracher les cheveux que de croire que
les Mongo Béti, Wole Soyinka, Voltaire, Emile
Zola, Samuel Beckett, Luis Mizon, André
Siniavski, Mario Goloboff, Salman Rushdie,
Fernando Arrabal et tant d'autres sont des
lâches, des couards pour avoir, à un moment
donné de leur vie, opté pour l'exil en vue
d’éviter d'être emportés par le tourbillon des
turbulences politiques et sociales de leurs pays.
Et, l'on sait que, en général, en leurs terres
d'exil, les exilés ne perdent en rien leur dignité
(sauf s'ils se comportent mal), et souvent
posent des actes déterminants qui font
honneur à leurs pays d'origine. D’ailleurs, l’on
sait que la révolution roumaine qui a emporté
la dictature de Ceausescu est, d'abord et avant
tout, l'oeuvre des exilés roumains en France.
Alors !…
Et, je suis fort aise d'en parler, parce que c'est
ce que j'ai dû, moi aussi faire, en 1987, c'est-àdire,
n’en déplaise à Tiburce Koffi, fuir mon
pays qui puait l'injustice et l'arbitraire et où, au
mépris des Droits de l'Homme, M. Houphouët
Boigny se disait avoir la paix comme religion
et, contradictoirement, chérissait l'injustice et le
clamait, en se frappant la poitrine, comme s'il
ne s'agissait pas d'un vice, comme s’il ne faisait
pas ainsi mal à des êtres humains... En effet,
Houphouët Boigny claironnait « Je préfère
l'injustice au désordre », contrairement à Paul
Claudel qui affirme que « le désordre est le délice
de l’imagination et de la création », contrairement
à Colette Becker qui soutient que « L'injustice et
le mal viennent de l'ignorance ». Et moi, en
accord avec Claudel et Becker, j'avais fui
l'ordre et l'injustice d'Houphouët Boigny,
quoique les soi-disant Houphouétistes, toute
honte bue, l’en vénèrent et l’en encensent et
revendiquent la « réhabilitation de la Mémoire du
Grand homme » dont ils se réclament
pompeusement.
Laurent Gbagbo n’est pas Créon
M. Tiburce Koffi, au risque de finir un jour
dans un asile et de peur d’écourter inutilement
son espérance de vie, se devrait, comme je le
lui avais déjà conseillé, très amicalement, de
sortir des sentiers battus de la dépendance,
prendre réellement conscience de son
dérèglement et chercher à en guérir, pour
pouvoir mettre sa plume, sa belle plume, sa
très belle plume, (et ce serait malhonnête et
indécent de ma part de ne pas le lui
reconnaître) désormais au service de causes
plus nobles que celles qui le desservent
inopportunément. Ne serait-ce, d’abord et
avant tout, que pour lui-même. Car, certes,
Laurent Gbagbo n’est pas Créon et ne lui fera
pas subir le sort d’Antigone. Mais, attention !
Tout le monde n’est pas Laurent Gbagbo...
C’est ce que je pense.
Léandre Sahiri, Directeur de publication de Le Filament.