Procès de Gbagbo et Blé Goudé: Avant la reprise le 12 novembre prochain, Me Altit dépose une nouvelle requête

Par IvoireBusiness - Procès de Gbagbo et Blé Goudé. Avant la reprise le 12 novembre prochain, Me Altit dépose une nouvelle requête.

Me Emmanuel Altit et le Président Laurent Gbagbo au cours d'une audience à la CPI.

Requête de la Défense afin d’obtenir de la Chambre 1) qu’elle écarte les soumissions orales présentées par la RLV lors de l’audience du 3 octobre 2018 et 2) par conséquent, qu’elle ne prenne pas en compte dans la suite de la procédure les soumissions

Rappel de la procédure. 1. Le 9 février 2018, la Chambre rendait une ordonnance « on the further conduct of the proceedings », dans laquelle elle demandait à l’Accusation de déposer un « updated trial brief » et indiquait : « Once the Defence teams have received the updated trial brief, they will be in a position to make written observations on the continuation

of the trial proceedings. Each Defence team shall indicate whether or not they wish to make any submission of a no case to answer motion or, in any event, whether they intend to present any evidence »1 . 2. Le 19 mars 2018, le Procureur déposait un « Prosecution’s Mid-Trial Brief submitted pursuant to Chamber’s Order on the further conduct of the proceedings (ICC-02/11-01/15- 1124) »2 . 3.

Le 23 avril 2018, la Défense de Laurent Gbagbodéposait des observations3 dans lesquelles elle insistait sur l’utilité qu’il y aurait, à la suite du dépôt du « Mid-Trial Brief » de l’Accusation, de permettre aux équipes de Défense de déposer des requêtes en no case to answer. 4. Le 4 juin 2018, la Chambre rendait un « Second Order on the further conduct of the proceedings » 4 .

Elle demandait aux équipes de Défense de déposer des soumissions« addressing the issues for which, in their view, the evidence presented by the Prosecutor is not sufficient to sustain a conviction ». 5. Le 23 juillet 2018,la Défense de Laurent Gbagbo déposait une requête « afin qu’un jugement d’acquittement portant sur toutes les charges soit prononcé en faveur de Laurent Gbagbo et que sa mise en liberté immédiate soit ordonnée » et les soumissions fondant cette requête5 .6. Le 10 septembre 2018, le Procureur6 et la RLV7 déposaient chacun leur réponse aux soumissions de la Défense de Laurent Gbagbo.

La « réponse » du Procureur comptait 1057 pages. La Réponse de la RLV comptait 101 pages. 7. Le 12 septembre 2018, la Défense de Laurent Gbagbo déposait une requête « concernant la suite de la procédure après le dépôt par le Procureur et par la RLV de leur réponse à la requête de la Défense afin qu’un jugement d’acquittement soit prononcé en faveur de Laurent Gbagbo » 8 . Dans cette requête, la Défense faisait notamment valoir que dans ses soumissions la RLV dépassait le cadre autorisé d’une simple présentation des « vues et préoccupations » des victimes.

La Défense notait que ce faisant, la RLV se comportait en second Procureur. La Défense demandait par conséquent le rejet in limine des soumissions de la RLV ou qu’il soit donné à la Défense le temps nécessaire pour y répondre. 8. Le 14 septembre 2018, le Procureur9 , la RLV10 et la Défense de Charles Blé Goudé11 répondaient à la Défense. 9. Le 21 septembre 2018, la Chambre rendait une « Decision on Defence requests relating to the Prosecutor’s response to the Defence motions for acquittal and to thescheduling of the hearing to be held on 1 October 2018 (filings no. 1208 and 1211) » 12 .

10. Dans cette décision, la Chambre indiquait que « at the opening of the hearing, the Prosecutor shall present orally her response to the Defence’s requests to dismiss the charges. This will allow both the parties and the Chamber to simultaneously obtain in French and in English the concise and focussed submissions originally requested from the Prosecutor in the Second Order. Following the Prosecutor’s presentation, the OPCV will have the opportunity to present their views in a similarly oral, concise and focussed way. Subsequently, theDefence will be given an opportunity to respond orally, and may request to be granted additional time to prepare such response in whole or in part, if need be » 13 . 11.

Il ressort donc clairement de cette décision que l’audience que les Juges avaient prévue de tenir avait pour objectif principal de permettre à la Chambre et à la Défense de prendre connaissance de la position du Procureur et de la RLV sous une forme concise et détaillée, qui plus est en français, de façon à répondre aux inquiétudes de la Défense concernant l’absence de tout élément émanant du Procureur et de la RLV en français.

En ce qui concerne la question soulevée par la Défense de la nature de la réponse de la RLV, les Juges considéraient que « the Single Judge is not persuaded that this is the case, especially in light of the Defence’s sweeping statement that only one paragraph of the OPCV Response actually deals with the victims’ views and concerns. This is unsubstantiated and exaggerated. In the absence of any detailed submissions in this regard, the Defence’s request is rejected » 14 . 12. Les 1er, 2 et 3 octobre 2018, le Procureur présentait à la Chambre, aux Parties et à la RLV une version raccourcie de sa réponse à la requête en non-lieu total déposée par la Défense de Laurent Gbagbo. 13.
Le 3 octobre 2018, la Représentante légale des victimes présentait oralement, à son tour, des observations. 14. Le 3 octobre 2018, la Chambre prononçait un ajournement de l’audience jusqu’au 12novembre 2018, afin de permettre aux équipes de Défense de préparer une réponse orale aux soumissions orales du Procureur et de la RLV15 .II. Discussion. 1.Sur le rejet des soumissions orales présentées par la RLV le 3 octobre 2018. 15.

Dans sa décision du 21 septembre 2018, la Chambre avait été très claire : il s’agissait pour le Procureur et la RLV de présenter oralement des « concise and focussed submissions » en réponse à la demande de non-lieu présentée par la Défense. Autrement dit, il s’agissait de permettre au Procureur et à la RLV de présenter à la Défense leur position, sous une forme suffisamment concise et détaillée pour permettre à la Défense d’y répondre dans un second temps. Les Juges, en ajournant au 12 novembre 2018 l’audience, donnaient la possibilité à la Défense d’utiliser ce laps de temps pour analyser les présentations orales du Procureur et de la RLV afin de pouvoir y répondre de façon détaillée et approfondie.

16. De manière plus concrète, ce sont les transcrits français des audiences des 1 er , 2 et 3 octobre 2018 qui devaient permettre à la Défense de Laurent Gbagbo de prendre connaissance de la position tant du Procureur que de la RLV à propos de la demande en nonlieu de la Défense. Ces transcrits constituent donc la base de travail de la Défense. Et c’est à ce qu’il y est dit que la Défense est censée répondre à partir du 12 novembre 2018. 17.

Or, les soumissions présentées oralement par la RLV le 3 octobre 2018 ne donnent en aucune manière à voir sa position concernant la requête en non-lieu présentée par la Défense de Laurent Gbagbo ; elles ne donnent même pas un aperçu de ce que la RLV a pu développerdans ses soumissions écrites déposées le 10 septembre 2018. 18.

En effet, le 3 octobre 2018, la RLV a consacré dans le cadre d’une intervention de 43 minutes, 1) 14 minutes à conforter la position juridique que le Procureur venait d’exposer concernant l’élément contextuel des crimes contre l’humanité, sans jamais rapporter cette réflexion juridique à un quelconque cas concret ou sans jamais même mentionner les victimes et 2) 29 minutes à essayer de démontrer que le Procureur s’était trompé en renonçant à fonder ses allégations à l’encontre de Charles Blé Goudé sur les incidents des 3 et 17 mars 2011.

Plus même, la LRV a tenté de convaincre la Chambre de revenir sur la décision du Procureur en présentant à la Chambre une démonstration juridique et factuelle à charge contre les Accusés qu’elle demandait aux Juges de substituer à celle du Procureur, lui reprochant de nepas être assez rigoureux. : « Ainsi, contrairement à ce qu’avance l’Accusation, il y a, à notre sens, au moins…ou, du moins, à ce stade des procédures, un lien entre M. Blé Goudé et les incidents des 3 et 17 mars » 16 . 19.

Autrement dit, la RLV a agi pendant les 14 premières minutes comme un second Procureur, cherchant à conforter du mieux possible la démonstration juridique du Procureur concernant les éléments contextuels des crimes contre l’humanité et a agi pendant les 29 autres minutes de sa présentation comme – peut-on dire – premier Procureur, tentant de dessiner et de faire adopter par la Chambre un cadre de charges plus sévère que celui présenté par le Procureur. 20. Ce faisant, la RLV a dépassé le rôle qui lui est attribué par le Traité de Rome. 21.

Pour que le procès puisse se dérouler de manière harmonieuse, il est indispensable que Défense et Accusation soient placées sur le même plan, ce qui postule par exemple qu’elles disposent des mêmes pouvoirs procéduraux et des moyens leur permettant d’enquêter pour pouvoir construire un cas.

C’est à cette condition d’égalité qu’il peut exister un rapport dialectique entre Défense et Accusation et par conséquent une réelle dynamique permettant de faire advenir une vérité, la vérité judiciaire. 22. Toute rupture de l’égalité entre Défense et Accusation entraine l’impossibilité qu’une dynamique constructive puisse être engagée et par conséquent entraine l’impossibilité qu’une vérité judiciaire, fondée de façon logique sur la dialectique entretenue par les Parties, puisse émerger. C’est pourquoi il ne peut y avoir qu’un Procureur, pour éviter que la Défense ait à se défendre sur plusieurs fronts.

Autrement dit, pour éviter qu’elle soit placée en positiond’infériorité. Voilà la raison d’être de l’interdiction de l’existence d’un second Procureur. 23. Il s’agit là d’un principe essentiel qui fonde la possibilité qu’existe une procédure équitable et efficace. 24.

Quelle est alors la place des victimes ? Le Traité de Rome est particulièrement clair et acréé un statut spécifique pour les victimes afin d’éviter qu’elles se voient octroyer un rôle de Partie, ce qui aurait pour conséquence de détruire l’équilibre de la procédure au détriment de la Défense. Ce statut est celui de participant. Par définition, un participant ne peut pas être une Partie. C’est d’ailleurs pour cela que les participants ne peuvent intervenir qu’après y avoir été autorisés par la Chambre (Article 68(3)).

Autrement dit, leur intervention, dans le cadre du procès pénal, n’est possible que ponctuellement, et à condition qu’elle n’entraîne pas un déséquilibre préjudiciable à la Défense. 25. Apparaît donc là, la ligne de démarcation entre un participant et une Partie : le participant ne peut en aucune manière jouer le rôle d’une Partie, sous peine de détruire le caractère équitable de la procédure.

Et l’intervention du participant est de plus limitée à un seul aspect spécifique : permettre d’éclairer les Juges en leur donnant à entendre les « vues et préoccupations » des victimes. Il s’agit des « vues et préoccupations » de personnes réelles, de victimes, et non des « vues et préoccupations » abstraites et théoriques d’un second Procureur.26.

Autrement dit, les victimes, si elles peuvent par exemple exprimer des vues et préoccupations tenant au fait que si la procédure s’arrêtait, elles ne sauraient pas vers qui se tourner pour obtenir justice, ne peuvent pas développer une argumentation juridique pour refuser à la Défense la possibilité d’un non-lieu ou, une fois cette possibilité accordée, pour lui refuser le non-lieu sur des bases juridiques.

Elles peuvent encore moins se substituer, comme l’a fait la RLV le 3 octobre 2018, au Procureur pour requérir à sa place, de façon plus sévère. 27. La jurisprudence est constante et claire : « La participation (…) vise à donner aux victimes la possibilité d’exprimer leurs vues et préoccupations sur des points concernant leurs intérêts personnels.

Comme la jurisprudence de la Chambre d’appel l’établit de façon définitive, cela ne les assimile pas à des parties à la procédure devant une chambre, puisque leur participation se limite aux questions soulevées dans le cadre de cette procédure qui concernent leurs intérêts personnels et, en outre, à des stades de la procédure, et d’une manière, qui ne portent préjudice aux droits de l’accusé et qui sont pas contraires aux exigences d’un procès équitable et impartial » 17 .28.

Les Parties dessinent le cadre et déterminent la nature du procès selon les documents qu’elles décident de divulguer et les témoins qu’elles décident d’appeler. La substance du procès et sa dynamique sont donc fonction de la dialectique engagée par les Parties. Bien entendu, ceci postule un équilibre absolu entre Accusation et Défense. Toute intervention d’un tiers détruit cet équilibre et remettrait en cause l’équité de la procédure.

C’est pourquoi le Statut précise que les victimes ne sont pas Parties au procès et ne peuvent intervenir que sous certaines conditions. 29. Dans ces circonstances, il convient que la Chambre rejette les soumissions orales de la RLV, comme dépassant le cadre de sa participation, puisqu’en agissant comme second Procureur, la RLV a rompu l’équilibre de la procédure et donc a porté atteinte à l’équité du procès. 30. Ses soumissions doivent être d’autant plus rejetées que la RLV ne s’est pas conformée aux instructions de la Chambre et n’a pas présenté oralement sa position en réponse à la demande de non-lieu de la Défense ce qui empêche cette dernière de préparer une réponse.2.Sur la non prise en compte des soumissions écrites déposées par la RLV le 10 septembre 2018. 31.

Il convient de relever que la RLV n’a pas respecté les instructions de la Chambre portant sur le déroulé de l’audience des 1er, 2 et 3 octobre 2018. Il était attendu de la RLV qu’elle présente en audience et de manière concise la teneur de sa réponse écrite – déposée le 10 septembre 2018 – à la requête de la Défense en non-lieu total. 32.

Or, il n’en a rien été : comme rappelé supra, la RLV a consacré la quasi-intégralité de sa réponse orale à d’une part conforter la position du Procureur, d’autre part à tenter de convaincre la Chambre d’aller plus loin que le Procureur dans la définition des charges. Plutôt qu’à la Défense, c’est donc au Procureur qu’aura répondu la RLV.33. La RLV a choisi de ne pas faire figurer au dossier une version concise et détaillée (« concised and focussed ») des « vues et préoccupations » des victimes qu’elle représente concernant la demande de « non-lieu », préférant transformer son intervention en réquisitoire.

La conséquence de ce parti-pris en est que ces victimes n’auront pas été entendues lors de l’audience. 34. La conséquence en est aussi que la Défense ne sera pas en mesure de répondre aux remarques écrites de la RLV concernant la demande de non-lieu lors de l’audience le 12 novembre 2018 puisqu’elle 1) ne dispose pas de transcrits français présentant la position de la RLV sur lesquels baser une réponse et 2) puisqu’il sera matériellement impossible aux services de traduction de la Cour de fournir en temps utile à la Défense une version française des soumissions écrites de la RLV. 35.

La présentation orale devait donner à voir et à comprendre en français la position de la RLV concernant la demande de non-lieu. Le fait que la RLV n’ait pas fait de présentation orale concise et détaillée de ses soumissions écrites interdit à la Défense de savoir de quoi sont faites ces soumissions écrites. Par conséquent, la Défense soumet respectueusement que ce sont ces soumissions écrites elles-mêmes de la RLV qui devraient dès lors ne pas être prises en compte lors de la suite de la procédure.

Plus particulièrement, la Défense soumet respectueusement que la Chambre ne devrait pouvoir se fonder, dans sa décision concernant le non-lieu, sur un argument développé par la RLV dans ses soumissions écrites – sur un argment auquel la Défense n’aura donc pas été en mesure de répondre. Agir autrement romprait le caractère contradictoire de la procédure et l’équité du procès. 36.

Notons qu’il était d’autant plus important que la RLV se plie à l’exercice décidé par les Juges et qu’elle expose de manière détaillée et exhaustive sa position en audience, que c’était là, la seule occasion pour que la Défense prenne connaissance en français des « vues etpréoccupations » des victimes à la fin du cas du Procureur.

Le fait que la RLV a choisi de n’appeler aucun témoin, aucune victime qui présente des « vues et préoccupations », qu’elle n'a presque pas déposé de documents au dossier de l’affaire, rendait d’autant plus indispensable que la Défense sache à ce stade de la procédure quelle était sa position. Autrement dit, au lieu de faire usage des moyens procéduraux lui permettant de faire figurer les « vues et préoccupations » des victimes qu’elle représente au dossier de l’affaire, la RLV a préféré jouer le rôle de second Procureur.

PAR CES MOTIFS, PLAISE À LA CHAMBRE
DE PREMIÈRE INSTANCE I,
DE : - Rejeter les soumissions orales présentées
par la RLV le 3 octobre 2018 ;
- Ecarter des débats lors de la suite de la procédure
les soumissions écrites déposées
par la RLV le 10 septembre 2018.
Emmanuel Altit Conseil Principal de Laurent Gbagbo