Procès de Bouake : l'omerta jusqu'au bout

Par Marianne.net - Procès de Bouake. L'omerta jusqu'au bout.

Michèle Alliot-Marie, Jacques Chirac et Dominique de Villepin, lors d'une cérémonie aux invalides. AFP

Compte rendu
Par Michel Galy , Politologue

Quatre anciens ministres, le responsable Afrique de Jacques Chirac à l'Élysée : c'était journée VIP au procès Bouaké. Ils ont dit leur vérité : ni coupable, ni responsable du fiasco de l'époque ayant abouti à laisser partir les auteurs de l'attaque et les mercenaires slaves qui les accompagnaient. Les familles des victimes resteront avec des questions sans réelles réponses.

L'omerta. Le silence. Le mensonge. Souvent ce « procès de Bouaké » tient du simulacre. Petites mains et grands personnages y mentent éhontément, au grand dam des familles des neuf disparus et des trente victimes françaises du 6 novembre 2004 à Bouaké, deuxième ville de Côte d’Ivoire.

Simulacre et grande confusion aussi. Qui, dans la salle où s'est installée la Cour d'assises pour juger des faits survenus 17 ans plus tôt, connaît et maîtrise vraiment les dessous tortueux des réalités ivoiriennes et ouest-africaines. La Côte d'Ivoire, les quatre juges d’instruction qui se sont succédé n'ont jamais pu y aller pour enquêter.

La plupart des magistrats ou des avocats présents n'ont qu'une vague idée du contexte africain. Les médias ou journalistes « spécialisés » ne sont pas venus en nombre. Pour les uns et les autres comme pour les familles, peu de mémoire et pas de recours à l’histoire. Résultat : on assiste à un procès franco-français.

Alors qu'en vérité tout devrait ramener l'audience erratique aux relations entre le pouvoir de Laurent Gbagbo, le président légitime, et une rébellion instrumentalisée et installée avec l'aide de l’armée française au nord de la Côte d'Ivoire, depuis 2002.

Ou encore au rôle du corps expéditionnaire français de la force Licorne, avec ses deux camps, et enfin à la population ivoirienne dans sa diversité.
"La faute à pas de chance"

Il est si franco-français ce procès que nul témoin ivoirien n'est prévu. L'audition de Mathias Doué, ex-chef d’État-major, du général Mangou et de Cadet Bertin, conseiller militaire du président Gbagbo, a été refusée à l'avocat Jean Balan en 2016.

D’ici la fin de la semaine, il y aura pourtant trois anciens ministres de Gbagbo dans la salle d’audience : était-il si difficile de les interroger ou de les convoquer comme témoins à la barre, en contrepoint des auditions des militaires tel le général Poncet, le chef de Licorne ou le général Bentégeat, à l'époque chef d’État-major des armées ?

Quid de la connotation françafricaine de l'affaire ? Qu'allait donc faire, après le bombardement de leur base de Bouaké, la colonne de chars du commandant Patrick Destremau se dirigeant vers Abidjan.

Un coup d'État pour dégager Gbagbo et installer Mathias Doué au pouvoir ? Pure invention, pas crédible, ont dit les militaires. Il faut donc croire leur version : si 60 blindés français se sont retrouvés, prêts à tirer, opercules ouverts devant la présidence ivoirienne, c'est la faute à pas de chance. Une simple erreur de trajet, des mauvaises cartes…

À ce procès, on ne parlera pas non plus de la haine farouche que vouait le président Chirac à son homologue ivoirien - lequel justement ne voulait pas être son subordonné ou son homme lige, son « sous-préfet » disait-il.

Et pourtant, y compris de l'aveu « off » de certains des acteurs de l'époque, 2004 n'aura été que la répétition générale de 2011, l’année ou comme le dira élégamment Nicolas Sarkozy, « on a enlevé Gbagbo pour mettre Ouattara ».

« Domaine réservé de l’Élysée »

À la barre lundi, Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères à l'époque, a affirmé que la Côte d'Ivoire ressortait du « domaine réservé de l’Élysée ». Dans le gouvernement, elle était la chasse gardée de la Défense. Et effectivement, lors la crise ivoirienne, en matière de décision, les militaires ont pris le pas sur les diplomates.

On restera donc avec des questions sans réponse. Qui a donné l'ordre de détruire les deux Soukhoi ivoiriens : le général Poncet, le général Bentégeat, Jacques Chirac ? Qui a avalisé ou amplifié la riposte, hors la chaîne de commandement et hors de tout fondement juridique ?

Et qui finalement a donné l'ordre de laisser partir, d’un côté les militaires slaves capturés sur l’aéroport d'Abidjan, de l'autre les Biélorusses « retenus » au Togo ?
La bombinette de Michèle Alliot-Marie

Sauvés de la Cour de Justice de la République (CJR) et entendus comme simples témoins, les ministres ont fait ce qu'on imaginait qu'ils feraient : se dédouaner de toute responsabilité.

Respectivement à l'Intérieur et Premier ministre, Dominique de Villepin et Jean-Pierre Raffarin ont pointé du doigt Michèle Alliot-Marie, alors à la Défense. « Ce n'était pas assez important pour que j'en aie connaissance » a dit l'un.

Conseiller Afrique de l’Élysée, Michel de Bonnecorse a botté en touche : « On était dans une phase militaire, c'était peu important ». Variante de Michel Barnier : l'essentiel était l’évacuation des 7 000 Français menacés par la montée des tensions.

Interpeller et interroger des mercenaires et un pilote biélorusse, responsable et coupable du bombardement de Bouaké, non, ce n'était pas essentiel… Dominique de Villepin, lui a glosé sur un état idéal où les chaînes de commandement sont simples, sans rivalité entre ministres et sans secret d'État.

Un monde merveilleux où la Françafrique n'existe plus. Éphémère avocat au barreau de Paris, il s'est même offert le luxe d’un cours de droit constitutionnel à la Cour !

Il revenait à Michèle Alliot-Marie de clore le ballet des notables. Elle qui a tant varié dans ses déclarations sur l' « affaire de Bouaké » avait une bombinette en réserve : elle aurait demandé à la DGSE de récupérer les Biélorusses à Lomé !

Pourtant, à la surprise générale, l'ex ministre admet avoir eu entre les mains le fameux télégramme diplomatique de l'ambassadeur de France à Lomé, demandant instruction après l’interpellation des mercenaires.

Plus curieux encore, Alliot-Marie est la seule à évoquer les 83 morts et 2 000 blessés ivoiriens de l’Hôtel Ivoire et des ponts d'Abidjan, très peu de temps après Bouaké. Pour « protéger » le camp du 43e Bima à Abidjan.

Étrange équilibre. À Paris on juge des criminels absents que l'on n’a pas voulu interpeller. Mais les morts ivoiriens d'Abidjan n'ont eux jamais eu droit à un procès…

Par Michel Galy,
politologue,
spécialiste de la Côte d'Ivoire

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