Première interview depuis le 31 octobre/ Guillaume Soro crache du feu: "Ouattara n'a pas été élu président, ni à la régulière, ni constitutionnellement"."C’est un coup d’Etat"

Par Générations nouvelles - Première interview depuis le 31 octobre 2020! Guillaume Soro à cœur ouvert “Pourquoi j’ai quitté la France”."Ouattara n'a pas été élu président, ni à la régulière, ni constitutionnellement"."C’est un coup d’Etat, au même titre que le général Gueï".

Guillaume Soro, président de GPS. Image d'archives.

Après plusieurs semaines de silence, Guillaume Soro, se lâche ! Dans cette interview exclusive qu’il a accordée à Générations Nouvelles, le président de Générations et peuples solidaires (GPS), répond à plusieurs questions liées à l’actualité nationale.

Depuis la fin des évènements qui ont marqué l’élection présidentielle de 2020, vous vous faites de plus en plus discret, contrairement à vos habitudes. Pourquoi ce silence ?

Je le suis parce que, quand ce que vous avez à dire n’est pas plus beau que le silence, on se tait ! Plus sérieusement, après la rude bataille menée contre le 3ème mandat, j’ai consacré mon temps à la réflexion prospective et à la rédaction du cadre stratégique et d’orientation de GPS 2021-2025. Et cela prend du temps.

Avant cette date du 31 octobre 2020, vous sembliez n’avoir aucun doute sur le fait que le Président Alassane Ouattara ne serait pas le prochain Président de la Côte d’Ivoire. Avec du recul aujourd’hui, ne trouvez-vous pas que c’était présomptueux ?

Présomptueux ? Non. Dans une bataille politique, mieux vaut être audacieux, offensif et courageux. Ceci dit, peut-on dire que Ouattara est un président élu ? Non. Ni à la régulière ni constitutionnellement. Puisque pour moi, c’est un coup d’Etat, au même titre que le scenario du général Gueï.

Vous avez certainement eu connaissance du sobriquet ‘’Anselmo Bruit’’ que des Ivoiriens vous ont donné à la suite de tout cela. Comment l’avez-vous pris ?

Je ne le savais pas. C’est mon fils de 22 ans qui, le premier, m’en a parlé et expliqué. Parce qu’il fallait que j’en comprenne le sens ! Qu’est-ce que nous en avons rigolé ! Les Ivoiriens ont de l’humour que j’apprécie.

L’unité d’action de l’opposition que vous aviez appelée semble avoir duré le temps de la période de l’élection présidentielle. Les dissensions au sein de celle-ci semblent renaître. Pourtant, vous semblez accroché à ce concept. Ne vous bercez-vous pas d’illusions ?

Je suis volontiers optimiste et je crois encore à la capacité de l’opposition à surmonter les divergences, dans l’intérêt du peuple. En tout cas, je continuerai à prôner l’union de celle-ci.

Que pouvez-vous nous dire sur les motivations qui ont fondé la mise sur pied du Conseil national de transition (CNT), et surtout ne pensez-vous pas que l’opposition a manqué de préparation et de stratégie en mettant en place ce Conseil ?

L’épisode du CNT demeure une impréparation tactique. Si l’opposition avait été plus cohérente, peut-être que le destin de la Côte d’Ivoire serait différent. Mais cela aussi fait partie du combat des peuples. Et le combat pour la démocratie n’est pas le courant d’un long fleuve tranquille.

Le régime en place à Abidjan semble déterminé à aplanir les tensions avec l’opposition, des discussions bilatérales et multilatérales ont même lieu. Votre formation politique, GPS, est-elle associée à ces discussions ?

Non. Disons les choses ainsi. Par contre, mes alliés y ont vu une opportunité politique. Et c’est tant mieux.

Êtes-vous ouvert au dialogue avec le pouvoir en place ?

Le Président Félix Houphouët-Boigny a fait du dialogue une seconde religion. Mais pas à n’importe quel prix ! Pas le dialogue de la soumission ni de l’humiliation. Vous savez, le dialogue doit être sincère. Le dialogue des braves ! Mais pas le dialogue du plus fort ou du maître et de l’esclave. Dans une République, un tel dialogue n’est pas constructif.

Reconnaissez-vous aujourd’hui Alassane Ouattara comme le Président de la République de Côte d’Ivoire ?

Quand on a choisi ses adversaires en prenant le soin d’écarter les opposants avec des arrestations et des blocus ; quand on a violé la Constitution ; quand on a fabriqué des scores de 103% dans des bureaux de vote ; quand on affirme qu’on a gagné de haute lutte une élection face à un ‘’adversaire’’ comme Kouadio Konan Bertin dans tout le personnel politique ivoirien, je vous pose la question de sincérité : y a-t-il eu vraiment une élection en Côte d’Ivoire ?

Depuis plusieurs mois, l’on assiste à la libération progressive de vos partisans incarcérés, les derniers en date étant ceux de Korhogo. Ces libérations sont-elles consécutives à des discussions souterraines entre vous et le pouvoir en place à Abidjan ?

J’assiste à la libération de mes partisans et je m’en réjouis, même si dans un État de droit, ils n’auraient jamais dû être arrêtés. Ces libérations sont le fait du prince, puisqu’ils sont devenus encombrants.

Nous avons assisté au départ de plusieurs de vos cadres et alliés, comment pouvez-vous expliquer ces départs ?

Vous savez, la victoire a plusieurs pères et la défaite est orpheline. Pensez-vous qu’ils seraient partis si j’avais été élu Président de la République à l’issue d’un scrutin constitutionnel régulier ? Ils seraient les premiers à se bomber la poitrine, s’arrogeant la victoire. Je profite encore pour présenter mes condoléances à la famille d’un illustre fils de la Côte d’Ivoire, M. Laurent Dona Fologo, avec qui j’ai partagé des sentiments affectueux réciproques. Rappelez-vous, il nous avait dit qu’on sèche le linge là où le soleil brille. Visiblement, ceux qui sont partis, on peut supposer qu’ils sont de fervents adeptes de cette théorie.

Ceux-ci pourtant après leur départ semblent vous reprocher votre vision et surtout vos méthodes. Ce qui nous amène à vous demander sans détours si vous avez tenté ou aviez envisagé d’empêcher les élections en déstabilisant le pays par un coup d’Etat militaire et/ou civil ?

Il fallait bien qu’ils inventent des raisons pour justifier le lâchage. Eux qui, hier, exaltaient la rébellion contre Gbagbo. On accuse son chien de rage que lorsqu’on veut le tuer ! Il semble qu’au Rhdp, on soit le bienvenu et surtout valorisé que lorsqu’on dit les pires calamités sur mon compte, donc à qui mieux mieux.

En ce qui me concerne, je suis dans ma deuxième vie : celle du combat politique et démocratique.

Le gouvernement et une frange de la population semblent pourtant eux-aussi convaincus que vous aviez l’intention d’attenter à la sûreté de l’État. Pourquoi, selon-vous, cette étiquette de déstabilisateur ou de putschiste vous colle tant à la peau ?

Quand le régime actuel, issu de la rébellion et qui bénéficie encore des fruits de celle-ci sans vergogne, décide à coup de propagande de me clouer au pilori, c’est un raccourci simplet. Je vous rappelle que je n’ai plus l’âge des coups d’Etat. Je suis désormais cinquantenaire. Une sorte de vieux soldat qui a pris sa retraite. J’ai su apprendre de mes erreurs. Dorénavant, je suis dans l’arène politique.

Tout récemment, l’un des organes de votre mouvement a appelé à la fusion des partis et mouvements politiques qui vous avaient choisi comme référent politique. Vous-même avez par la suite publié un communiqué pour y répondre favorablement puis énoncer les grandes lignes de ce que vous avez appelé la fusion. Cependant, le Mouvement pour la promotion des valeurs nouvelles en Côte d’Ivoire (Mvci) a émis ses observations concernant ce projet de fusion, en décidant de se tenir à l’écart de toutes les actions de GPS. N’est-ce-pas là un désaveu de la part du plus ancien parti qui se réclame proche de vous ? Espérez-vous encore une participation de ce parti à GPS ?

Vous parlez d’unanimité ! Jésus ou Muhamed ont-ils fait l’unanimité ? Et là, on parle de religion ! Alors, à fortiori en politique ? Bien souvent, l’on n’est pas prophète chez soi.

En ce qui concerne le Mvci, je les félicite pour la clarté de leur position. Vous avez la preuve que la démocratie fonctionne dans la grande famille de GPS, et c’est mon aspiration. Nous allons fusionner avec ceux qui le désirent parce que nous avons un dénominateur commun, un idéal commun. Contrairement au Rhdp qui a voulu, par une fusion forcée et contrainte, revenir à un parti unique, en son temps. Faut-il rappeler que l’entreprise consistait, sans dénominateur commun, ni idéal commun, à contraindre des partis politiques différents et même quelques fois antagoniques à la fusion. Ce n’est pas ça la démocratie. Et je l’avais dénoncé. Il faut laisser les choses se faire naturellement. L’histoire nous enseigne bien des cas de fusions réussies de par le monde, et ce depuis le Parti Bolchevique en ex-URSS, en passant par le Parti Socialiste Français (qui est la résultante de la fusion entre la Section Française de l’Internationale Ouvrière dite SFIO et bien d’autres partis) jusqu’au PDCI ou le FPI qui sont eux aussi, les fruits de nombreuses fusions. Mais, le préalable demeure le dénominateur commun.

Qu’entendez-vous par dénominateurs communs ?

Le plus petit dénominateur commun est un langage mathématique. Rapporté en politique, il peut s’entendre en terme de convergence. En utilisant ce terme, je veux tout simplement dire que ce qui rend légitime la fusion, c’est qu’elle se fait avec des entités qui ont strictement le même idéal, la même aspiration, la même idéologie et le même leader accepté et dont on se réclame ! Alors, pourquoi se disperser ? À moins d’avoir d’autres motivations. Mais là n’est pas mon propos car, je respecte fondamentalement le droit à la différence voire à la divergence. Pour conclure : la fusion sera libre, volontaire et sans contrainte.

Après ce communiqué, nous avons pourtant assisté à plusieurs réactions parfois virulentes contre le Mvci et son Président pourtant encore incarcéré parce que réputé proche de vous, de la part de plusieurs de vos partisans, y compris votre conseiller Franklin Nyamsi dans une vidéo qu’il a fini par supprimer. Tout cela ne montre-t-il pas qu’au-delà de la volonté affichée de liberté de d’expression, vous êtes plutôt dans une politique de soumission et de pensée unique, que vous aviez pourtant combattue au sein du Rhdp ?

La famille GPS regroupe et rassemble des femmes et des hommes de tempérament et de sensibilités divers. Et j’ai toujours dit que je croyais au débat, même houleux, qui a toujours fait la richesse de notre famille. Ce qu’il faut craindre, c’est l’absence de débats, qui peut conduire à la dictature. Je peux quelques fois regretter certaines tournures. En même temps, je m’impose d’entendre toutes les opinions et de les écouter. Contrairement à ce qu’on peut penser, la multitude de prises de parole par des partisans ne sont pas l’objet d’un filtre à la stalinienne de ma part. Plus souvent que vous ne l’imaginez, je ne les découvre qu’après coup. Dans les pays non-démocratiques où l’accès aux médias d’État est impossible, les réseaux sociaux deviennent un exutoire. J’ai simplement suggéré au Professeur Franklin Nyamsi de tenir compte de la fragilité inhérente à la vie carcérale de mes compagnons d’infortune. Je pense qu’il m’a compris.

Pourquoi alors toutes les personnes qui ne pensent pas comme Guillaume Soro sont tout de suite attaquées, essentiellement via les réseaux sociaux, sans que votre mouvement n’intervienne pour recadrer les choses ?

Alors, vous me demandez une chose et son contraire ! Vous dites que je brime ceux qui parlent sur les réseaux sociaux et dans le même temps, vous affirmez que je ne les censure pas. Personnellement, je ne crois pas en la censure. Je préfère être l’homme de la synthèse, c’est-à-dire rapprocher les positions pour éviter les affrontements.

Ceci dit, je pense que nous devons être tolérants les uns envers les autres. Vous remarquerez que bien souvent, ceux qui sont l’objet d’attaques, comme vous dites, de mes partisans, sont ceux-là justement qui ont craché dans la soupe pour mieux monnayer leur départ. Une fois partis, ils se sont crus obligés de lancer les premières salves.

Pour en revenir à la fusion, qu’est-ce que le président de GPS que vous êtes, attend précisément de ses partisans dans le cadre de ce projet de fusion ?

L’objectif est de regrouper tous ceux qui ont un dénominateur commun. Au lieu de nous disperser et de demeurer dans une sorte de désordre et de cacophonie, j’ai demandé, au nom de ce que l’union fait la force, de nous rassembler.

Vous avez annoncé une offre politique différente aux Ivoiriens, ce qui semble être du ‘’déjà entendu’’. En quoi l’offre de GPS peut-elle être différente ?

Déjà, parce que nous sommes nouveaux sur la scène et évidemment ne sommes pas identiques aux autres. Ce qui se fait actuellement a échoué à amener la Côte d’Ivoire à l’émergence et pourtant promise. C’est l’heure de la désillusion pour ceux qui y avaient crû. En ce sens, notre projet de société est totalement différent. Il est créatif et innovant.

Pourquoi tenez-vous tant à diriger la Côte d’Ivoire alors que plusieurs Ivoiriens et observateurs vous accusent d’être principalement à la base de la situation que vous déplorez aujourd’hui ?

Il est facile et même lâche de n’accuser que moi. La Côte d’Ivoire est malade depuis longtemps. La Côte d’Ivoire a connu des rébellions et même des tentatives de sécession alors que je n’étais pas encore né. Vous gagneriez à réviser vos cours d’histoire. La crise actuelle est la mauvaise conjugaison des orientations et des actes de tous les hommes politiques, sans exceptions. Il ne faut pas se défausser. Pour ma part, le benjamin que je suis, a demandé et continue à demander pardon au peuple de Côte d’Ivoire.

Qu’est ce qui a suscité le refus de participer aux élections législatives de la part de votre mouvement ?

Notre mouvement a pris une telle position par soucis de cohérence ! Comment allions nous regarder les familles éplorées dans les yeux et leur dire que le régime inconstitutionnel de Ouattara méritait à tous égards une reconnaissance de notre part ? Nous n’avons pas voulu cautionner une jurisprudence dangereuse non seulement pour la Côte d’Ivoire mais aussi pour l’Afrique toute entière. Nous avons refusé de marcher à reculons de l’histoire. Voyez-vous, depuis que Ouattara a fait ce qu’il a fait, tous les présidents de la sous-région veulent désormais faire des 3èmes mandats et des présidences à vie. Comment allons-nous expliquer cela à nos enfants ? J’ai si honte du mauvais exemple que nous donnons au monde entier.

Pourtant, plusieurs cadres issus de vos rangs ont décidé de concourir. N’est-ce pas là l’émanation de problèmes stratégiques internes ?

Vous savez, je vous ai dit que les uns et les autres sont libres. Notre mouvement a fixé le cap. Maintenant, nous sommes en démocratie et chacun assume sa liberté. C’est pourquoi il faut hâter la restructuration de GPS pour que la discipline ait un sens. Car la liberté, ce n’est pas non plus le libre arbitre. Sinon, ce serait la jungle. La liberté, c’est respecter les règles qu’on s’est librement fixées.

Le Président français, Emmanuel Macron que vous aviez qualifié d’être en accord avec vous, lors d’une rencontre avec vos sympathisants, a donné une réplique contraire dans une interview accordée au journal Jeune Afrique. Il a même affirmé que dans la situation qui prévalait, vous n’étiez plus le bienvenu en France. Comment interprétez-vous cette réaction ?

Le Président français avec qui je partage la proximité de la génération, et j’ai cru un instant de l’amitié, s’est fait le devoir de changer d’avis à un certain moment donné. Il a soutenu la raison du plus fort au détriment de la démocratie. J’ai noté les courriers de félicitation qu’il a adressés aux Présidents Ouattara et Condé. Ce faisant, il adoube les 3èmes mandats en Afrique au nom des intérêts économiques de la France. J’avoue que j’ai été remué. C’est un enseignement que je tire de ce combat.

Êtes-vous interdit de séjour en France ?

Non, pas matériellement. Mais j’ai quitté la France à la suite de ce changement de cap. Vous savez que mes ennemis sont aux aguets et peuvent attenter à mon intégrité physique. À partir du moment où Macron a changé d’avis sur la Côte d’Ivoire, j’ai eu des raisons de croire qu’il ne tenait plus à assurer ma sécurité en France. Quand vous avez de la jugeote, il vaut mieux ne pas insister. Et amicalement, je lui ai fait dire que je m’en allais.

Quelles sont vos rapports à ce jour avec la France et le Président Macron ?

A l’occasion de la nouvelle année, j’ai reçu un message d’amitié et de vœux. Mais je ne peux dire plus.

Pensez-vous pouvoir rentrer en Côte d’Ivoire prochainement ?

Ma vocation est de mourir sur la terre de mes ancêtres et c’est légitime. Vous ne croyez pas ?

Réalisée par Cissé Sindou, Marc Dossa, Bidi Ignace

NB: Le titre est de la rédaction.