Manifestations contre un 3e mandat : Depuis Londres, le Pr Koudou Kessié dénonce une trahison de son serment constitutionnel par Alassane Ouattara

Par Ivoirebusiness - Manifestations contre un 3e mandat. Le Pr Raymond Koudou Kessié, depuis Londres, dénonce une trahison de son serment constitutionnel par le Président Alassane Ouattara.

Londres le 21 août 2020. Manifestation devant l'Ambassade de Côte d'Ivoire. Au centre, le Pr Koudou Kessié Raymond, vice-président du FPI.

A la manifestation éclatée contre un 3e mandat constitutionnel du président Alassane Ouattara ce vendredi 21 août 2020 en Côte d'Ivoire et au niveau de la diaspora, le Pr Koudou Kessié, ex-Ambassadeur de Côte d'Ivoire en France et vice-président du front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo, a dénoncé en meeting ce jour devant l'ambassade de Côte d'Ivoire à Londres, une grave trahison de son serment constitutionnel par le président ivoirien. Ci-dessous, le texte intégral de son important discours transmis à Ivoirebusiness.

UN TROISIÈME MANDAT DE M. OUATTARA EST UNE TRAHISON DE SON SERMENT CONSTITUTIONNEL

En prenant la parole devant vous, je voudrais tout d’abord rappeler brièvement quelques dispositions de notre Constitution relatives aux manifestations de rues. J’indiquerai ensuite qu’un troisième mandat de M. Ouattara sera un acte de trahison en tant que Chef d’État.

D’abord trahison de son serment constitutionnel (article 58 de la Constitution), trahison ensuite de son obligation de veiller au respect de la Constitution (article 54 de la Constitution) et trahison enfin de la parole donnée (Message à la Nation du 5 Mars 2020). En troisième lieu, je dirai pourquoi notre mobilisation contre la violation de la constitution doit concerner tous les camps. Je terminerai mon propos en invitant la communauté internationale à agir maintenant pour prévenir une grave crise à notre pays.

1. L’ARTICLE 20 DE LA CONSTITUTION ET LA LOI GARANTISSENT LES LIBERTÉS DE MANIFESTATIONS DE RUES

L’article 20 de la Constitution dispose que « les libertés (…) de manifestation pacifiques sont garanties par la loi. » En décrétant une interdiction générale des marches, le pouvoir viole par conséquent la Constitution. Il est par ailleurs bon de rappeler au pouvoir que les libertés de manifestations comme les marches ne sont pas sous le régime de l’autorisation préalable mais celui de la déclaration. Les organisateurs d’une manifestation doivent informer les autorités afin que celles-ci prennent toutes les dispositions sécuritaires utiles et les encadrent sur l’itinéraire choisi.

Par ailleurs, le pouvoir ne doit pas traiter les associations ou partis politiques de façon discriminatoire en prenant toutes les dispositions pour garantir, encadrer et accompagner les manifestations de rues de ses partisans alors qu’il réprime celles de l’opposition et de la société civile.

Comment peut-on admettre du reste qu’un Ministre de la République puisse dire aux manifestants « qu’ils auront ce qu’ils méritent » et aux forces de l’ordre « qu’aucun agent des forces de l’ordre ne sera condamné pour quelques motifs que ce soit.» Une invitation à réprimer et à exercer des violences contre des manifestants aux mains nues.

Les conséquences sont déjà énormes puisque l’on enregistre au moins cinq pertes en vie humaines, plus d’une centaine de blessés, d’importantes destructions de biens. Amnesty International vient de documenter ces violences et la complicité des forces de l’ordre avec les supplétifs pro-Ouattara (loubards, microbes et autres dozos).

2. EN RÉFÉRENCE À L’ARTICLE 55 DE LA CONSTITUTION SI M. OUATTARA NE RENONCE PAS À UN TROISIÈME MANDAT IL VIOLERA LA CONSTITUTION

L’Article 55 de la Constitution dispose que « le Président de la République est élu pour cinq ans…Il n’est rééligible qu’une fois. » Aprѐs deux mandats consécutifs en effet, le Président ne peut pas se présenter immédiatement à l’élection présidentielle qui suit. Il pourrait être à nouveau candidat rien qu’après le mandat de son successeur.

En reniant la parole donnée, M. Ouattara ne cherche qu’à s’accrocher au pouvoir au mépris du principe de l’alternance et de la Constitution. Personne à part lui, ni dans son camp ni dans le camp opposé, n’est à la hauteur des défis à relever. Il faut enfin savoir que l’article 183 sur la continuité législative ne remet pas les compteurs à zéro comme il le pense. Les constitutionnalistes sont formels.

3. EN RÉFÉRENCE À L’ARTICLE 58 DE LA CONSTITUTION SI M. OUATTARA NE RENONCE PAS À UN TROISIÈME MANDAT IL TRAHIRA SON SERMENT CONSTITUTIONNEL

Conformément à l’article 58 de la Constitution, il a « juré solennellement de respecter et de défendre fidèlement la constitution, que le peuple lui retire sa confiance et qu’il subisse la rigueur des lois s’il trahit son serment ». S’il ne renonce donc pas à se présenter pour un troisiѐme mandat, M. Ouattara trahira son serment constitutionnel, et par cet acte que nous qualifions de haute trahison, il mérite, le moment venu, de subir la rigueur des lois.

4. EN RÉFÉRENCE À SON MESSAGE À LA NATION DU 5 MARS 2020 SI M. OUATTARA NE RENONCE PAS À UN TROISIÈME MANDAT IL TRAHIRA SA PAROLE DONNÉE À LA NATION

C’est devant les députés et sénateurs réunis en congrѐs du Parlement le jeudi 5 mars 2020 à Yamoussoukro, que le chef de l'État ivoirien a annoncé à la Nation, qu’il a « décidé de ne pas être candidat en 2020.»

Le Président français Emmanuel Macron, s’invitant dans le débat électoral ivoirien, s’était empressé de « saluer la décision historique du Président Alassane Ouattara, homme de parole et homme d’État, de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Ce soir, la Côte d’Ivoire donne l’exemple". Rien que cinq mois aprѐs, l’homme de parole proclamé et salué comme exemple par M. Macron a renié sa parole, le 6 août 2020. Pourvu qu’il se ressaisisse.

5. C’EST MAINTENANT QUE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE DOIT RÉAGIR/AGIR

Le médecin après la mort, nous n’en voulons plus. ONU, UA, UE, CEDEAO, CPI, c’est maintenant qu’il vous faut réagir/agir pour des élections inclusives, crédibles, non violentes et non volées car la Côte d’Ivoire ne veut pas d’une autre crise meurtrière et fratricide.

C’est le lieu de rappeler également à la communauté internationale que Laurent Gbagbo et Blé Goudé ne peuvent pas continuer d’être contraints à un exil qui ne dit pas son nom. Le pouvoir ivoirien avait justifié leur transfѐrement par le fait que leur jugement en Côte d’Ivoire aurait été contesté. Justice leur a donc été rendue par la CPI qui les a acquittés. Rien ne justifiait donc un procѐs en Côte d’Ivoire pour leur distribuer une peine de 20 ans. Sauf qu’il fallait les exclure du jeu politique et électoral.

Chers amis, si à l’occasion de simples manifestations pacifiques de rues, nous déplorons des morts et de nombreux blessés graves, qu’en sera-t-il alors de l’élection présidentielle elle-même ? L’on ne peut pas accepter une élection dont les dés sont pipés avec une liste électorale truquée, une CEI déséquilibrée et non consensuelle, un Conseil Constitutionnel et un découpage électoral d’avance acquis au pouvoir.

Il s’y ajoute l’exclusion de hautes personnalités comme Laurent Gbagbo du scrutin électoral. Alors, je vous le demande solennellement, vous qui êtes venu à la présente manifestation : Pouvez-vous accepter un scrutin électoral avec une telle exclusion ? [Le public répond Non !] Je vous ai compris. J’exhorte donc le pouvoir ainsi que la communauté internationale à entendre cette voix de la sagesse et de la raison venue de Londres.

Par Professeur Raymond Koudou Kessié, Vice-président du FPI
Au sit-in de Londres du 21 août 2020