M. Didier Julia (député Ump de Seine-et-Marne) à propos de la crise ivoirienne : «Le gouvernement français s’est mis dans une impasse»

Publié le vendredi 18 fevrier 2011 | Le Temps - Didier Julia, député Ump de Seine-et-Marne et membre de la commission des Affaires étrangères, reste fidèle à ses idées. Tout le monde reconnaît qu’il a toujours eu une vision juste des problèmes liés à

Publié le vendredi 18 fevrier 2011 | Le Temps - Didier Julia, député Ump de Seine-et-Marne et membre de la commission des Affaires étrangères, reste fidèle à ses idées. Tout le monde reconnaît qu’il a toujours eu une vision juste des problèmes liés à

l’Afrique et au monde arabe. Cette semaine, il évoque l’actualité et se prononce pour ce qu’il appelle «la diplomatie parlementaire». En effet, l’Elysée et le Quai d’Orsay viennent d’interdire à des députés Ump de se rendre en Côte-d’Ivoire. Or, Didier Julia estime que la diplomatie parlementaire doit jouer son rôle. Des propos qui risquent encore de déplaire à Michèle Alliot-Marie… Didier Julia était l'invité de Yannick Urrien, mercredi 16 février à 8h10.

Pour commencer, comment réagissez-vous à l’actualité en Egypte ?

Cela correspond très bien à l'état de la société égyptienne. Là-bas, l'armée joue un rôle très important. Les militaires ont d'ailleurs un traitement qui est 20 à 50 fois supérieur à celui d'un travailleur égyptien et ils constituent l'ossature de la société égyptienne. Par conséquent, ils ont cherché à maintenir leur rôle de stabilisateurs du pays en ne s'accrochant pas à un président complètement rejeté par la rue. Ils ont donc trouvé une solution tout-à-fait remarquable, à savoir dissoudre le parlement, faire de nouvelles élections transparentes et réformer la Constitution vers davantage de légalité.

En Tunisie, les choses se sont calmées sur le territoire, mais on commence à voir arriver des premiers afflux d'immigrés en Europe du Sud. Comment interprétez-vous cela ?

C'est tout simplement lié au fait que la police tunisienne des frontières ne fait plus son travail. Vous aviez jadis des bateaux de surveillance qui interdisaient de quitter la Tunisie pour partir au large.

Ces bateaux ne patrouillent plus et, maintenant, n'importe qui peut prendre un petit bateau pour partir au large… C'est simplement l'abandon des contrôles aux frontières.

Pour terminer sur ces deux pays, que pensez-vous de l'inquiétude que l'on entend parfois formuler sur un éventuel risque islamique ?

Ces révolutions sont essentiellement des révolutions populaires pour avoir plus de liberté et un niveau de vie et de développement économique supérieur. Rappelez-vous : c'est l'augmentation du prix des matières premières qui a provoqué ces révolutions, c'est-à-dire le fait que les gens ne pouvaient plus vivre. Rendez-vous compte, le salaire moyen d'un ouvrier en Tunisie est de 70 euros par mois ! Donc, c'est un problème majeur. Puis, il y a une chose que le gouvernement français n'a pas du tout vue, c'est qu'il y avait une véritable dictature politique. Là-bas, lorsque l'on parlait de politique, il fallait baisser la voix et se tourner vers le mur, sinon on allait en prison…

Naturellement, aucun touriste n’a pu voir cela… Mais il y avait véritablement une dictature politique très présente.

Finalement, avec votre constat, on peut écarter un risque islamique…

Il n'y a aucun risque islamiste. Le risque islamiste a toujours été invoqué pour justifier le maintien des dictatures… Les dictateurs disaient : «Si ce n'est pas moi, ce sont les islamistes…» C'est absurde. Il s'agit véritablement d'un réveil démocratique du monde arabe et c'est ce qui est extrêmement intéressant et passionnant. C'est une révolution qui va se perpétuer et qui va montrer l'ouverture du monde arabe vers la démocratie.

La communauté internationale a paradoxalement soutenu ceux qui se sont maintenus en Tunisie et en Égypte contre le peuple, mais en Côte d'Ivoire cela semble être l'inverse… N'est-ce pas surprenant?

Ce qui me frappe beaucoup, c'est que les événements qui ont secoué le monde ces derniers temps ont montré qu'il y avait de la part de la diplomatie officielle française un formidable éloignement des réalités du terrain et des aspirations des peuples. Comment expliquer qu'au mois de décembre dernier, des élections se soient produites en Égypte dans des conditions scandaleuses, ignobles, indignes, avec des pressions et des violences... De nombreux pays ont exprimé leur réprobation, mais la France a fait un silence total. En Tunisie, lorsque les députés ont prévenu la ministre des Affaires étrangères qu'il y avait un pouvoir politique dictatorial très puissant, eh bien, c'était le silence radio. En revanche - c'est là où il y a deux poids deux mesures - le scandale de l'époque, c'était uniquement la Côte d'Ivoire : la version officielle consistait à dire que le président proclamé élu par les Institutions de son pays, le Conseil constitutionnel, devait être déclaré autoproclamé et qu'une commission indépendante composée d'étrangers et de 80% d'opposants au président sortant devait donner la légitimité à son adversaire ! Ces deux poids deux mesures sont absolument inexplicables. C'est pourquoi, je trouve tout-à-fait légitime le voyage de parlementaires français en Côte d'Ivoire, parce qu'il est à l'honneur de ces parlementaires de vouloir comprendre la réalité du terrain et de ne pas s'en tenir à une diplomatie totalement éloignée du peuple.

Donc, selon vous, il faut que des parlementaires français aillent en Côte d'Ivoire…

Bien sûr ! Il est normal, compte tenu de l'éloignement de la politique officielle des réalités du terrain, que des parlementaires aillent voir sur place ce qui se passe. Ils répondent même à un vœu exprimé par le président Sarkozy pendant sa campagne électorale, où il disait qu'il ne fallait pas confier la diplomatie uniquement aux diplomates professionnels et que les élus devaient s'y impliquer davantage. Le fait d'avoir interrompu le projet de visite de parlementaires français en Côte d'Ivoire est très choquant au moment où la liberté d'expression a remporté une grande victoire en Tunisie et en Égypte. Comment comprendre qu'au même moment, en France, on veuille supprimer la liberté d'une enquête indépendante de la part de parlementaires ?

Vous évoquez ce projet de voyage de parlementaires français en Côte d'Ivoire : l'Élysée et le Quai d'Orsay ont clairement interdit à trois députés de partir…

C'est à contretemps et c'est à l'inverse de l'évolution en Afrique où l'on va vers plus de liberté d'expression. L'intérêt d'un tel voyage de parlementaires, c'est qu'ils venaient par leurs propres moyens et non avec un avion financé par le gouvernement français ou le parlement. En effet, lorsque les parlementaires arrivent en voyage officiel, ils sont figés, ils doivent manier la langue de bois et la conclusion qu'ils tirent généralement, après avoir accumulé de nombreuses informations, correspond exactement à celle dont ils étaient porteurs au départ… Là, il s'agit de parlementaires qui venaient simplement porter un regard indépendant, et aussi objectif que possible, sur la situation ivoirienne.

Ainsi, même si cela met en colère Nicolas Sarkozy ou François Fillon, vous dites à vos collègues parlementaires : ayez un peu de courage, n'oubliez pas que vous êtes des élus de la Nation...

Je dis toute mon estime à ces parlementaires. Le président Obama a rappelé une vérité très profonde, qui est que l'Afrique a besoin que l'on respecte les Institutions des pays en évitant d'entrer dans les questions de personnes. C'est donc dans ce respect que les députés français peuvent aller parler aux représentants du peuple ivoirien, qui traverse des difficultés, pour leur dire leur amitié, leur considération et leur dire que nous avons confiance en eux pour régler eux-mêmes leurs propres problèmes.

Au cours de ces dernières semaines, on a remarqué, notamment lors des questions au gouvernement, que chaque fois que des députés interrogent François Fillon ou Michèle Alliot-Marie sur la Tunisie ou sur l'Égypte, ils sautent comme des cabris : «La Côte d'Ivoire, la Côte d'Ivoire…» Cela semble une obsession…

Je ne critiquerai pas Michèle Alliot-Marie, parce qu'on ne peut pas critiquer quelqu'un qui arrive ministre des Affaires étrangères et qui ne connaît rien du terrain des pays étrangers ! Le fait d'aller en touriste dans un pays comme la Tunisie ne vous ouvre absolument pas les yeux sur la réalité sociale de la Tunisie... Donc, ils cherchent des critiques sur la Côte d'Ivoire et je ne comprends pas l'attitude du gouvernement français à l'égard de la Côte d'Ivoire. Cela justifie donc une visite de parlementaires français dans ce pays. Il y a une espèce de personnalisation du problème de cette présidentielle qui ne nous regarde pas. En d'autres termes, le gouvernement français s'est mis dans une impasse. C'est ce que j'ai dit il y a près de deux mois : on ne se mêle pas des problèmes intérieurs d'un pays indépendant.

In Kernews
(Radio française)