La démocratie en Afrique francophone sous la Présidence Macron : La désillusion de la diaspora africaine, Par Pr Marc-Arthur Diaye

Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions - La démocratie en Afrique francophone sous la Présidence Macron. La désillusion de la diaspora africaine, Par Pr Marc-Arthur Diaye.

Pr Marc-Arthur Diaye.

L’élection du Président Macron a suscité beaucoup d’espoir en Afrique et parmi la diaspora Africaine en Europe et aux Amériques (Etats-Unis, Canada,…). Le principal élément d’espoir était que, Macron jeune Président, arrivé au pouvoir sans le soutien formel d’aucun appareil politique traditionnel mais avec le ralliement de la société civile française, n’aurait eu aucune accointance avec le personnel politique traditionnel en Afrique francophone.

De ce fait, l’espérance était que s’ouvrirait peut-être enfin une ère de respect des constitutions nationales, de respect des droits des oppositions politiques et de respect de transitions démocratiques pacifiques, de la part des chefs d’état d’Afrique francophone.

La création par le Président Macron du Conseil Présidentiel pour l’Afrique apparaissait alors comme une belle initiative permettant de mieux prendre en compte, dans l’élaboration de la stratégie française en Afrique francophone, les aspirations profondes des populations.

La plupart des hommes/femmes politiques dans tout pays, à quelque niveau qu’ils soient, souhaite durer politiquement dans le temps. En Afrique francophone, l’algorithme des chefs d’étatpour durer est connu et consiste à minimiser deux « risques » de perte du pouvoir, l’un externe et l’autre interne.

Le risque externe est celui qui provient principalement des grands pays occidentaux, notamment la France. Il s’agit de toute action que pourrait entreprendre ces pays en vue d’un changement de pouvoir dans le pays Africain concerné. Le risque interne provient de l’opposition politique interne.

Dans un pays normal, le risque interne n’en est pas un. Il fait en effet partie intégrante du jeu démocratique. Les oppositions politiques exercent leur droit constitutionnel d’opposition dans un esprit de responsabilité. Dans un pays normal, le risque externe est géré par la diplomatie et par les services de sécurité.

En Afrique francophone, le risque externe est géré via une allégeance totale des chefs d’état africains sur les positions économiques, militaires, politiques et diplomatiquesdes grands pays occidents. Ils ne ménagent aucun effort pour leur plaire. Le risque interne est par contre géré par ces chefs d’état par une répression, un bafouillement des libertés individuelles et hélas parfois par la nomination aux postes importants des personnes issues de leur groupe ethnique.

L’on peut se demander comment des chefs d’état ayant pour la plupart fait de brillantes études universitaires, pouvaient brimer leurs propres peuples, violer les constitutions de leurs pays, truquer les marchés publics, piller les biens publics, falsifier les concours d’entrée dans la fonction publique, nommer des personnes sur la base de leur appartenance ethnique, etc… et dans le même temps, faire preuve d’aplaventrisme.

En fait leur comportement est rationnel car des deux risques de perte du pouvoir auxquels ils font face, le risque externe leur semble être celui qui aura les conséquences les plus certaines et les plus sérieuses.Ainsi leur comportement apparemment schizophrène est en réalité une décision rationnelle basée sur le désir de conservation le plus longtemps possible du pouvoir d’état.

Le Président Macron a été élu au mois de mai de l’année 2017. Il a depuis connu les réélections d’IBK en juillet 2018, de Macky Sall en février 2019, de Paul Biya et Faure Gnassingbé en février 2020. Ces élections évidemment n’étaient pas démocratiques et concernant le Mali, nous connaissons la suite.

Ce que les chefs d’état d’Afrique francophone ont retenu de ces réélections sous la Présidence Macron est que les affaires continuent comme avant, et que le Président Macron, outre quelques discours pleins de bons sentiments, ne fera rien pour la démocratie en Afrique francophone.

C’est donc en toute confiance qu’Alassane Dramane Ouattara, le Président Ivoirien de 78 ans, se présente pour un troisième mandat de cinq ans à la tête de la Côte d’Ivoire lors de l’élection qui aura lieu à la fin octobre. Il y a déjà 7 civils tués par les forces de sécurité et les milices pro-Ouattara, et pas un seul mot de protestation de la diplomatie Française.

N’oublions pas la Guinée d’Alpha Condé, cet homme politique de 82 ans pourtant classé à gauche qui rempile, avec le soutien de son sherpa Bernard Kouchner (installé à Conakry), pour un troisième mandat en octobre 2020. Macron connaîtra ensuite les élections présidentielles au Burkina Faso en novembre 2020, au Niger et en République Centrafricaine en décembre 2020, au Bénin en mars 2021 et enfin celles au Tchad en avril 2021.

Nous aurons d’ici à la fin de son quinquennat, toute latitude pour apprécier ce qu’il fera ou du moins ce qu’il ne fera pas pour la démocratie en Afrique. Cependant deux équations ne sont pas prises en compte dans le raisonnement « à l’ancienne » de Le Drian, de Franck Paris et des« conseillers Afrique » du Président Macron. La première est que l’Afrique francophone est un immense champ de ruine et de désespoir que veut fuir à tout prix la majorité de sa jeunesse.

Quid de la profondeur stratégique de la France ? La Côte d’Ivoire par exemple qui est pourtant l’un des pays les plus riches d’Afrique francophone n’est en termes de PIB par tête que le 22eme en Afrique (sur 54). Une pleine démocratie et une bonne gouvernance permettraient en réduisant le risque politique de sortir la dette Ivoirienne de la classe des dettes hautement spéculatives (classement B+). Un objectif réaliste atteignable à moyen terme
peut être que la dette souveraine Ivoirienne soit classée BBB (triple B).

Cela permettrait à la fois de diviser par deux ou trois le taux d’intérêt que paye la Côte d’Ivoire sur sa dette souveraine et d’avoir accès aux financements des fonds de pension (US notamment). En effet ces fonds parmi les plus riches au monde n’investissent statutairement pas dans des titres spéculatifs (comme la dette Ivoirienne).

Par ailleurs, le classement triple B encouragerait d’autres fonds à intervenir beaucoup plus massivement sur la place financière Ivoirienne (BRVM) en achetant des actions d’entreprises.

La deuxième équation non prise en compte est que la diaspora africaine en France en est, en moyenne,à sa troisième génération et est fortement imprégnée des valeurs démocratiques. L’indifférence supposée du Président Macron vis-à-vis du sort de la démocratie en Afrique francophone peut détourner de lui l’électorat que représente la diaspora africaine.

Alors que j’avais, à titre personnel, appelé la diaspora africaine à voter Macron au premier tour des élections présidentielles de 2017, je dois reconnaître que les seuls soutiens politiques reçus par les personnes qui se battent avec courage pour la démocratie en Afrique, sont venus des mouvements écologistes ou de la gauche dite « radicale » (LFI, PCF, …).

Par Marc-Arthur Diaye
Professeur des Universités
à l’Université Paris 1 Pantheon-Sorbonne