Justice: Laurent Gbagbo acquitté, la crédibilité de la CPI enfoncée

Par Marianne - Laurent Gbagbo acquitté, la crédibilité de la CPI enfoncée.

Laurent Gbagbo a été président de la Côte d'Ivoire de 2000 à 2011. - PETER DEJONG / ANP MAG / ANP.

Par Alain Léauthier
Publié le 15/01/2019 à 11:48, modifié le 16/01/2019 à 11:40

L'ancien président de la Côte d'Ivoire Laurent Gbagbo et son co-accusé Charles Blé Goudé ont été acquittés ce mardi 15 janvier de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale, faute de preuves suffisantes à leur encontre. Un nouveau camouflet pour la CPI.

Il est un village de Côte d’Ivoire où la nuit à venir risque d’être courte. A une trentaine de kilomètres de Gagnoa, dans le sud-ouest du pays, Mama compte parmi ses natifs un prisonnier parmi les plus célèbres de la planète. Un ex-prisonnier, faut-il désormais écrire, puisque depuis quelques heures Laurent Gbagbo est officiellement libre de ses mouvements, libre de revenir à Mama, comme il en avait confié le souhait à son biographe français, le journaliste François Mattei.

« Je suis trop content. Cela va au-delà de mes espérances », a très vite réagi Michel Gbagbo, le fils de l’ancien président de la Côte d’Ivoire en commentant la décision de la Cour pénale internationale (CPI) ce mardi 15 janvier de « faire droit aux demandes d’acquittement » présentées par les avocats de son père, poursuivi pour « crimes contre l’humanité. »

Depuis une audience le 13 décembre au cours de laquelle, après quatorze demandes de liberté provisoire refusées, les juges de la 1ère chambre de la CPI avaient accepté d’en examiner une de plus, l’optimisme était de rigueur dans le camp des défenseurs et proches de Gbagbo. Certains s’attendaient ainsi à un possible non-lieu partiel, satisfaisant mais laissant la possibilité à l’accusation de se replier sur des charges moindres.

Mais c’est un verdict d’une toute autre portée qu’a énoncé sur un ton monocorde le juge italien Cuno Tarfusser : « La majorité (des juges de la CPI, ndlr) a considéré que le Procureur n'a pas fourni des preuves suffisantes en vue de démontrer la responsabilité de M. Gbagbo et de M. Blé Goudé (co-accusé et ex-chef des Jeunes patriotes ivoiriens, ndlr) pour les incidents faisant l'objet de l'examen de la Chambre. (…)

En particulier, après un examen rigoureux des éléments de preuve, la Chambre a conclu, à la majorité (deux juges sur trois, ndlr), que le Procureur n'a pas démontré plusieurs éléments essentiels constitutifs des crimes reprochés, y compris l'existence d'un « plan commun » visant à maintenir M. Gbagbo au pouvoir, qui aurait compris la commission de crimes contre des civils « en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation » ; et l'existence de schémas de violence à partir desquels il pourrait être déduit qu'il existait une politique d'attaque contre la population civile ».

Enfin, "la Chambre a conclu, à la majorité, que le Procureur n'a pas démontré que des discours publics de M. Gbagbo ou M. Blé Goudé auraient permis d'ordonner, solliciter ou encourager les crimes allégués. »
La crédibilité de la CPI remise en cause

Sept ans après y avoir été incarcéré le 29 novembre 2011, et trois ans après le début de son procès, le 28 janvier 2016, Laurent Gbagbo devrait donc quitter sa cellule de la prison de Scheveningen à La Haye (Pays-Bas).

Théoriquement le procureur de la CPI, la Gambienne Fatou Bensouda, représentée à l’audience de ce mardi par son substitut Eric McDonald, a la possibilité d’interjeter appel lors d’une audience prévue ce mercredi 16 janvier.

Dans ce cas, l’appel pourrait être suspensif et retarder l’échéance déjà fêtée par une partie des Ivoiriens. Présent à l’audience, Bernard Houdin, conseiller spécial de Laurent Gbagbo, ne croit guère à ce scénario, « les juges ayant vidé de toute substance le dossier d’accusation ».

Pour lui, pas de doute possible : Gbagbo sera libéré. Pas aujourd’hui mais d’ici quelques jours et, dans un premier temps, vraisemblablement à destination d’un pays d’accueil ayant souscrit aux accords de Rome. L’hypothèse de la Belgique, déjà évoquée en décembre pour une possible liberté provisoire, revient avec insistance.

Après l’acquittement, en appel en juin dernier, du Congolais Jean-Pierre Bemba malgré une première condamnation à 18 ans pour « crimes de guerre », celui de l’ancien président ivoirien constitue un nouveau camouflet pour la CPI dont la crédibilité n’a cessé d’être remise en cause au fil du temps. En particulier en Afrique, le continent ayant pour l’instant fourni le plus grand nombre d’accusés…

Dans le cas de Gbagbo, c’est la nature même du procès monté contre lui qui a suscité la réserve, voire les critiques virulentes, non seulement de certains de ses pairs africains mais aussi de nombreux spécialistes du droit.

Rappelons qu’à l’issue de l’élection présidentielle de 2010, dont le Conseil constitutionnel ivoirien proclama Gbagbo vainqueur, une guerre civile larvée ensanglanta l’ancienne colonie française pendant plusieurs mois. Résolument et militairement engagée du côté de son adversaire Alassane Ouattara, lui-même soutenu par les rebelles sécessionnistes occupant le nord du pays et adoubé par la « communauté internationale », la France prit une part active sinon directe à la chute puis à l’arrestation de Gbagbo.

Incarcéré à La Haye après un séjour dans les geôles des « rebelles » à Korhogo, le président déchu dut attendre plus de cinq ans avant de pouvoir s’expliquer. Le temps pour l’accusation de monter un dossier portant sur quatre évènements précis : la répression d’une manifestation « pacifiste », le 16 décembre 2010 devant les locaux de la télévision publique ivoirienne, celle d’une marche de femmes pro-Ouattara, le 3 mars 2011 dans le quartier d’Abobo à Abidjan, le bombardement d’un marché le 17 mars 2011 et enfin, des violences commises unilatéralement par les partisans de Gbagbo dans leur fief de Yopougon, le 12 avril 2011, au lendemain de son arrestation.

Laurent Gbagbo de retour en Côte d'Ivoire ?

Las, avant même l’ouverture du procès, les juges de la CPI avaient demandé à la procureur Fatou Bensouda de revoir sa copie, basée initialement sur une accumulation de simples coupures de presse, des rapports d’ONG et des affirmations trop vagues et imprécises.

Au mois de mai 2013, à en croire un mail que Marianne s’est procuré, lequel était adressé à Luis Moreno Ocampo, le premier procureur de la CPI, les juges avaient d’ailleurs un temps envisagé de relâcher le prévenu. Finalement, il n’en fut rien mais à cette époque, les juges de la chambre préliminaire chargés d’examiner les charges retenues contre lui étaient très divisés sur la question. La juge belge Christine Van Den Wyngaert, en particulier, ne pensait pas le dossier suffisamment solide pour aller au procès.

Elle n’avait pas tout à fait tort : malgré 231 journées d’audience sur le fond et l’audition de 82 témoins supposément à charge, jamais Fatou Bensouda et ses adjoints ne parviendront à établir sérieusement l’implication directe de Laurent Gbagbo dans le massacre de populations civiles.

Juridiquement faible, l’affaire a également pris l’eau de toutes parts sur les plans politique et médiatique. Alors qu’à de rares exceptions, dont Marianne, la plupart des journaux et télévisions s’étaient tranquillement alignés derrière le candidat-élu-démocratiquement, entendez Alassane Ouattara, l’unanimisme a peu à peu cédé la place aux doutes.

Doutes sur les conditions mêmes de la saisine de la CPI, doutes sur son impartialité, en particulier celle de Luis Moreno Ocampo, doutes enfin sur son incapacité, réelle ou délibérée, de « s’attaquer » à l’autre camp, les milices nordistes responsables de massacres à grande échelle dans l’ouest du pays.

A en croire son entourage, Alassane Ouattara a simplement « pris acte » de la décision de la CPI et serait « très calme ». Les grandes manœuvres de la prochaine élection présidentielle, prévue en 2020, ont déjà commencé et l’éventuel retour au pays de son ancien rival pèsera bien sûr dans la balance. La courte guerre civile de 2010-2011 fit officiellement près de 3.000 victimes. Infiniment plus, selon certaines ONG. Pas sûr que les Ivoiriens de tous bords aient envie de refaire le match…

Lire la suite sur...https://www.marianne.net/monde/cote-d-ivoire-la-cpi-acquitte-laurent-gba...