Interview - Alassane Ouattara hier sur France 24 hier - « L’option militaire ne veut pas dire que la Côte d’Ivoire sera embrassée. Il suffit de sortir Laurent Gbagbo, de l’emmener, et de le sortir du palais présidentiel »

Publié le jeudi 6 janvier 2011 | IvoireBusiness
Alassane Dramane Ouattara, Président de la République du Golf,

Alassane Ouattara, Président reconnu par l'Onu et la France.

Publié le jeudi 6 janvier 2011 | IvoireBusiness
Alassane Dramane Ouattara, Président de la République du Golf,

reconnu par l’Onu et toute la Communauté internationale, est resté égal à lui-même hier lors de son interview à France24. Sa patience envers son ennemi Laurent Gbagbo a des limites. Il appelle urgemment la Cedeao à déclencher une opération militaire pour le déloger du Palais présidentiel afin qu’il s’y installe. Pour lui, cette action militaire peut se faire sans effusion de sang. Il rejette du revers de la main, la main tendue par son rival et la juge même dépassée.
Nous vous livrons ici l’intégralité de ses propos à France24.

Eric Lassale

Bonjour Alassane Ouattara, comment vous sentez-vous, et est- ce qu’on peut présider, diriger un pays, quand on est assiégé avec ses proches collaborateurs et ministres dans un hôtel ?

Oui, il faut faire pour le mieux. Ce n’est pas facile, mais vous savez que, quand on assume ses responsabilités on le fait dans toutes les circonstances. Nous sommes dans un hôtel, c’est vrai ; mais j’ai formé un gouvernement provisoire de 13 membres. Donc nous essayons de gérer au mieux, toutes les questions liées à la sécurité, aux finances et à la communication. Ce n’est pas facile, mais essayons de faire bouger les choses.

On a le sentiment que la situation est complètement bloquée. C`est-à-dire que vous et Laurent Gbagbo restez sur vos positions et que rien n’avance. Qu’est ce qui vous faite tenir dans ces conditions ?

Je dois vous dire que la situation est bloquée du fait de Laurent Gbagbo. Il a perdu les élections, il s’accroche et ne veut pas partir. Plus de 54% des Ivoiriens ont voté pour moi, dans la transparence à travers des élections démocratiques qui ont été à notre demande supervisées par les Nations Unies. Et le voilà qui crée cette situation inédite mais bien malheureuse.

Pour en sortir M. Ouattara, il y a une brouille de possibilités. On en parle beaucoup de l’option de l’asphyxie financière, et aussi de l’option militaire. Est-ce que vous pensez que l’heure est venue pour l’option militaire et qu’il n’ya plus rien n’à négocier ?

J’ai dit à Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir. Les chefs de l’Etat de la CEDEAO le lui ont dit le 5 décembre dernier. Et ils lui ont répété la même chose, le 28 décembre passé. Il ne veut pas partir, donc il assumera les conséquences. Je suis pour la paix dans mon pays. Je préfère une solution pacifique, une solution négociée. Alors j’espère que dans les prochains jours, puisqu’il a promis de donner une réponse aux trois chefs de l’Etat, il le fera pour que nous puissions avancer. La Côte d’Ivoire ne peut pas rester dans cet état. Ça fait cinq semaines que j’ai été élu massivement par les Ivoiriens avec une participation sans précédent dans des élections démocratiques. Malgré cela, il s’accroche, il utilise des artifices, qui bien entendu ne sont pas acceptables. Que Laurent Gbagbo quitte le pouvoir pour permettre à la Côte d’Ivoire de revenir à la normalité et pour les Ivoiriens de profiter du changement qu’ils ont voulu en me portant à la Magistrature Suprême.

M. Ouattara, ce que vous dites, pratiquement tout le monde le dit ; que Laurent Gbagbo quitte le pouvoir. Mais la question, c’est pendant combien de temps cette situation peut durer ? Ou est-ce qu’il faut avoir là maintenant recours à l’option militaire. Ou il faut lui laisser du temps. Est-ce qu’il a envie de gagner du temps ?

Laurent Gbagbo tente de gagner du temps et ça tout le monde le sait. C’est tout simplement pour pouvoir recruter les mercenaires et les miliciens pour tuer les Ivoiriens. C’est tout simplement pour gagner du temps pour exporter des valises d’argent dans des pays amis, et la Côte d’Ivoire ne peut pas rester dans cette situation le plus longtemps. Les Ivoiriens en votant plus de 54% pour me porter à la Magistrature suprême. C’est 400 000 voix de plus que j’ai obtenu face à lui.

Le débat n’est plus là aujourd’hui M. Ouattara ?

Exactement ! Le débat n’est pas là, mais c’est lui qui porte le débat sur le chapitre en demandant un comité d’évaluation et demande des choses qui sont dépassées. Il n’est pas question d’un comité d’évaluation. Laurent Gbagbo a perdu les élections qui ont été suivies par tout le monde. Les Ivoiriens ont démontré leur volonté de changement. Que Laurent Gbagbo accepte le verdict des urnes.

Vous ne lui donnez pas d’ultimatum. Vous ne dites même pas, il faut partir avant tel jour ou telle heure, sinon, c’est l’option militaire ?

Je ne le fais pas parce que je suis un homme de paix. Je suis un enfant de Félix Houphouët-Boigny. Je crois en la paix. C’est pour cela que pendant toutes ces semaines, je lui ai tendu la main. La communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest m’a consulté avant de venir en Côte d’Ivoire. J’ai donné mon accord, parce que je tiens à ce que l’issue soit pacifique. Mais, Laurent Gbagbo ne veut rien entendre. En réalité, ceci démontre que, ce n’est pas un homme d’Etat. Il n’aime pas les Ivoiriens. Il ne tient qu’à sa propre personne, et à s’accrocher à un pouvoir qu’il est en train d’usurper.

Alors qu’est ce qu’il faut faire s’il ne quitte pas ? Et ça peut durer combien de temps cette situation ? Vous assiéger à l’Hôtel du Golf ?

Vous savez que le fait que je sois à l’hôtel du Golf n’est pas le plus important. Tous les jours depuis trois semaines, vous avez des assassinats dans les quartiers populaires d’Abidjan. Vous avez des tueries, des viols. Ce sont des comportements inadmissibles. A l’Hôtel du Golf, moi, j’arrive à travailler. C’est vrai avec une équipe retreinte, j’aimerais avoir la totalité de mon gouvernement, exercer pleinement mes fonctions. Mais, cela n’est pas le plus important. Le plus important, c’est de préserver la paix en Côte d’Ivoire.

Si l’important c’est de préserver la paix en Côte d’Ivoire. Ça veut dire que pas d’option militaire. Je ne comprends pas exactement votre position ?

Non ! Je n’ai pas dit cela. Ma position est de dire que les chefs de l’Etat de la CEDEAO ont pris une décision. Ils ont demandé à Laurent Gbagbo de partir dans un délai. Il ne l’a pas fait. Ils ont envoyé plusieurs missions ici mais Laurent Gbagbo s’entête. Les chefs d’Etat de la CEDEAO ont indiqué que s’il s’entêtait d’user de tous les moyens y compris la force pour le déloger du Palais.

Visiblement M. Laurent Gbagbo à l’air de ne pas prendre cette menace au sérieux. Peut-être que ce que vous dites aujourd’hui va le renforcer dans cette idée qu’au fond, on n’osera venir le déloger par la force ?

Si, je pense qu’il sera responsable de la situation qu’il va vivre. L’option militaire ne veut pas dire que la Côte d’Ivoire sera embrassée. Il suffit comme cela a été fait ailleurs de venir sortir Laurent Gbagbo, de l’emmener, et de le sortir du palais présidentiel. Cette opération est possible. S’il continue, c’est à cela qu’il s’expose. Les risques de guerre civile que j’entends n’existent pas du tout. Il faut que Laurent Gbagbo comprenne qu’il s’agit de sa seule personne et du groupe de personnes qui le soutienne. La grande majorité des Ivoiriens veut la paix. Je signale que dans les Casernes les militaires ont voté pour moi à plus de 63%, le 28 novembre. Et aujourd’hui, ce chiffre doit largement dépasser. Par conséquent, il n’a ni le soutien des militaires. En réalité, il n’a ni le suffrage universel.

Vous pensez qu’il y a une possibilité que l’armée bouge contre Laurent Gbagbo ?

Je félicite d’ailleurs les Forces de défense et de sécurité pour leur esprit. Ce sont des miliciens qui assassinent les honnêtes citoyens ivoiriens dans les quartiers populaires et l’armée a tout fait en certaines circonstances pour arrêter cela. Nous voulons la paix en Côte d’Ivoire, nous ne voulons pas d’affrontements entre militaires.

Est-ce que vous êtes d’accord pour qu’on recompte les voix ?

Non, il n’en est pas question. Le processus a été surveillé tout au long par le Premier ministre, par le Représentant du facilitateur et par le Représentant du Secrétaire général de Nations Unies. Moi je détiens dans mon ordinateur, les 22 000 procès-verbaux. Ce travail a été déjà fait. Je vous dis que c’est une stratégie pour Laurent Gbagbo de gagner du temps. Même le Conseil Constitutionnel a les mêmes chiffres me donnant 54,10% des votes. Alors, ce qui se passe, voici un conseil constitutionnel aux ordres, qui se lève et annule les votes des citoyens de sept départements du Nord. C’est inacceptable ! Le Conseil constitutionnel avait le choix, soit d’annuler le scrutin ou de le valider. Mais il ne peut annuler des scrutins dans un certain nombre de départements.

Est-ce que ça veut dire pour autant, M. Ouattara, qu’il n’y a pas eu de fraudes dans le Nord ?

Il n’y a pas eu de fraudes dans le Nord. Nous avons eu le compte-rendu des préfets, du centre du centre de Commandement Intégré (CCI), tant des militaires des Forces Nouvelles que les militaires des Fds. Des leaders religieux se sont prononcés pour dire qu’il n’y a pas eu de fraudes dans les bureaux de vote. Il n’y a pas eu de violence. Tout ce qui est a raconté par Laurent Gbagbo et son camp, sont des mensonges. Les violences nous les avons vécues dans le Sud Ouest. La région d’origine de M. Laurent Gbagbo et ceci est décrié par tous les rapports y compris les rapports des Observateurs étrangers.

Pour résumer, M. Alassane Ouattara, il n’y a plus rien à négocier. Que Gbagbo c’est cela ?

Mais oui ! tout à fait. Il a perdu les élections. Toute la Côte d’Ivoire sait que Laurent Gbagbo a perdu les élections. La Communauté Ouest Africaine, la communauté internationale le savent. Il faut qu’il s’en aille. Vous savez, cette élection était censée être une élection de sortie de crise pour la Côte d’Ivoire. et voici que Laurent Gbagbo nous replonge dans une crise plus sévère que celle dans laquelle nous étions.

La seule chose sur laquelle on peut discuter c’est son pays d’exil enfin ?

Non, il peut rester en Côte d’Ivoire. Moi je suis prêt à ce qu’il puisse jouir de ces droits d’ancien chef d’Etat, qu’il puisse avoir la liberté d’aller et de venir. Je le recevrai pour les conditions de son séjour en Côte d’Ivoire.

Qui a les cordons de la bourse actuellement, est-ce que c’est vous ou c’est Gbagbo ?

Vous savez que le Conseil des ministres de l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine a décidé le 23 décembre qu’il n’y avait aucun doute sur ce sujet. C’est Alassane Ouattara et ses représentants qui ont la signature. Ceci étant, Laurent Gbagbo et sa Garde Républicaine envoient des personnes dans les banques pour braquer les banques, pour prendre des espèces sonnantes et trébuchantes pour les utiliser à des fins macabres. Donc, c’est un comportement d’un hors la loi. Laurent Gbagbo s’expose à des sanctions s’il continue. Il s’expose à une décision de la haute cour de justice en Côte d’Ivoire quand cette cour sera constituée. Il s’expose à des sanctions de la Cour Pénale Internationale. Il faut qu’il s’en aille pour que les Ivoiriens retrouvent la paix.

Est-ce que vous avez beaucoup d’appels téléphoniques régulièrement. Est-ce que Nicolas Sarkozy vous aide. Est-ce que ce sera embarrassant d’avoir le soutien de l’ancienne puissance coloniale ?

Non, point du tout ! Vous savez que les Ivoiriens n’ont aucun problème avec la France. C’est un groupe de personnes qui a développé une telle attitude. Mais c’est totalement faux ! Les Ivoiriens ont d’excellentes relations avec les Français. Et j’ai des appels de Nicolas Sarkozy mais également d’autres dirigeants du monde, aussi bien Afrique qu’à ailleurs. Ce qui est important, c’est d’amener la Côte d’Ivoire à la normalité. J’insiste là-dessus. J’ai été élu pour un mandat de cinq ans. Je viens de perdre un mois en grande partie parce que je suis à l’hôtel. Je veux mettre en œuvre très rapidement le programme pour lequel les Ivoiriens m’ont élu. Je veux améliorer le bien-être des Ivoiriens dans les plus brefs délai. J’ai une responsabilité à l’endroit des Ivoiriens, et j’attends l’exercer rapidement.

Laurent Gbagbo, vous a promis la levée du blocus de l’hôtel, est ce que vous-y croyez ?

Vous savez que les engagements de Laurent Gbagbo n’ont jamais été respectés. Aucun engagement, aucune discussion n’est possible avec lui.

A vous entendre, on a le sentiment que vous pensez, même si vous ne le dites pas, qu’il s’en ira que par la force ?

J’attends la réponse de la conférence des chefs de l’Etat de la Cedeao. Par les entretiens que j’ai eus avec le Président Jonathan engagent sans doute d’appeler un nouveau sommet pour prendre une décision définitive. Si la force est utilisée en Côte d’Ivoire ça sera pour enlever Laurent Gbagbo. Ce n’est pas contre les Ivoiriens ou contre la Côte d’Ivoire. Si Laurent Gbagbo peut nous épargner une action militaire et qu’il revenait à la raison c’est tant mieux !

Propos retranscrits sur France24 par Patrice Lecomte