Fermeture de la frontière ivoiro-ghanéenne : Dr Séraphin Yao Prao, enseignant-chercheur à l’Université de Bouaké «Les deux pays perdent énormément»

Publié le lundi 24 septembre 2012 | Nord-Sud - «Premièrement, au niveau du commerce intra-régional, les flux commerciaux entre les deux pays vont baisser. Et pourtant, nombreux sont les commerçants qui vivent du commerce transfrontalier entre les deux pays.

Dr Séraphin Yao Prao, enseignant-chercheur à l’Université de Bouaké.

Publié le lundi 24 septembre 2012 | Nord-Sud - «Premièrement, au niveau du commerce intra-régional, les flux commerciaux entre les deux pays vont baisser. Et pourtant, nombreux sont les commerçants qui vivent du commerce transfrontalier entre les deux pays.

L’observation des échanges permet de comprendre la foule d’enjeux, d’acteurs et de pratiques qui sous-tendent les dynamiques sociétales et économiques qui tirent à hue et à dia les populations et l’espace transfrontalier. Les flux commerciaux transfrontaliers sont tridimensionnels : les flux de proximité avec les échanges entre localités villageoises proches, de courte distance organisés autour de villes proches des frontières et de longue distance avec les grandes villes comme point de départ (généralement les capitales d’États ou les ports côtiers) vers les pays limitrophes mais transitant par les villes régionales.

Avec cette fermeture des frontières entre les deux pays, les commerçants qui gagnent leur pitance avec le commerce transfrontalier sont désormais au chômage technique et cela va rétroagir sur la demande globale. En tant que l’une des principales portes d’entrée en Côte d’ivoire, Noé est un important centre de transit et de transaction. Beaucoup de personnes rencontrées, ici, reconnaissent que c’était un centre d’affaires et de trafic caché, et que l’argent y circule beaucoup. Deuxièmement, avec cette fermeture, l’ensemble des compagnies aériennes (c’était avant la réouverture de la frontière aérienne) exerçant en Côte d’Ivoire se voit interdire d’embarquer les passagers de/vers accra. Le trafic aéroportuaire prend donc un coup. Cette décision va obliger les compagnies aériennes à modifier leurs plans de vols avec tous les corollaires imaginables. Or on perd beaucoup en argent et en crédibilité puisque l’aéroport international Félix Houphouet-Boigny est en quête de reconnaissance. Troisièmement, les conflits entre les deux Etats sont préjudiciables.

Les deux pays étudient d’ailleurs les moyens de réactiver la commission bilatérale chargée de dynamiser la coopération politique et économique. Plusieurs grands projets comme l'autoroute reliant Abidjan à Accra seront également évoqués. De même que la question des passages frauduleux de cacao entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, mais aussi la coopération dans le domaine agricole ou la sécurisation de la frontière terrestre (700 km). Il y a également l’important gisement pétrolier mis au jour par le géant russe Loukoil et son partenaire américain VancoEnergy. Une découverte annoncée par la compagnie pétrolière nationale Ghana national petroleum, et qui vient compléter celle réalisée en 2007, du champ Jubilee dont les réserves ont été estimées à 1,8 milliard de barils. Problème: la frontière maritime entre les deux voisins n'a jamais été formellement établie, même si ceux-ci respectent depuis les indépendances une «ligne médiane». Abidjan a envoyé une lettre au Ghana et aux Nations unies pour faire valoir ce qu'elle estime être son droit. Ces deux pays doivent éviter les accros diplomatiques car les intérêts économiques sont énormes.»

Propos recueillis par Ahua K
Des Ivoiriens bloqués à la frontière

Publié le lundi 24 septembre 2012 | Nord-Sud

La mesure de fermeture de la frontière ivoirienne avec le Ghana commence à faire des victimes. Plus d’une centaine de personnes, en majorité des Ivoiriens, sont bloquées à Noé, depuis vendredi dernier. Elles ont voulu contourner la frontière officielle, en passant par la voie lagunaire. Elles ont été cueillies par des éléments des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire en patrouille le long de la frontière. On dénombre plusieurs commerçantes, qui au dire de certaines comme dame Kouassi, ont plutôt fui la souffrance qu’elles enduraient au village de Elubo (première ville ghanéenne en quittant la Côte d’Ivoire). «Je ne savais pas que la frontière était fermée. Cela fait un mois que je suis partie faire des achats au Togo. Et c’est depuis le jeudi que nous avons quitté le Togo pour Abidjan. Je ne savais pas que la frontière était fermée, sinon je serais restée auprès des amis au Togo là-bas. Je n’ai plus d’argent. Hier j’ai acheté un seau d’eau à 400 francs pour me laver à Elubo, je ne peux pas continuer dans ça, je préfère qu’on m’amène à la Dst ou à la Maca (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, ndlr) plutôt que de retourner au Ghana. La vie est chère là-bas et depuis la fermeture de la frontière, tout a augmenté au Ghana», raconte-t-elle, visiblement très fatiguée. Comme elle, beaucoup préfère la souffrance de la Côte d’Ivoire à celle du Ghana. D’autres, selon le sous-préfet, se disent prêts à se jeter dans la lagune Tanoé, si on les forçait à retourner à Elubo. Les autorités sous-préfectorales sont pour l’heure très embarrassées et déclarent attendre les instructions de la hiérarchie. Au moment où nous quittions les lieux, l’on procédait à leur recensement.

CM, envoyé spécial à Noé

Abidjan perd 150 milliards

Publié le lundi 24 septembre 2012 | Nord-Sud

Selon les statistiques fournies par l’Association pour la promotion des exportations de la Côte d’Ivoire (Apexci), les échanges entre la Côte d’Ivoire et le Ghana pèsent 5% de l’économie nationale, soit environ 150 milliards FCFA. En fermant la frontière, le 21 septembre dernier, voilà ce que risque de perdre la locomotive de l’Union économique et monétaire ouest- africaine (Uemoa) par an. Contrairement à la Côte d’Ivoire, selon l’Apexci, il n’existe aucun chiffre fiable pour le Ghana sur ce que représentent ses échanges avec la Côte d’Ivoire. Car, la grande partie des acteurs de ce pays coopère de façon informelle avec son voisin. Cependant, tous les économistes s’accordent à dire que la fermeture de la frontière va causer d’énormes préjudices financiers aux deux Etats. Par ailleurs, au niveau scolaire et dans le domaine de la santé, il y a une coopération importante. Surtout pour les populations qui sont aux frontières. En tout état de cause, la crise ouverte suite à l’attaque du poste frontalier de Noé aura des effets socio-économiques néfastes sur les populations.

48 heures après la fermeture de la frontière : Comment les populations vivent le blocus

Publié le lundi 24 septembre 2012 | Nord-Sud

48 heures après la fermeture de la frontière terrestre avec le Ghana, les conséquences sur les usagers et sur les populations ivoiriennes et ghanéennes commencent à se faire sentir.

Noé, dernière ville ivoirienne, au Sud-est de la Côte d’Ivoire, vit ses moments de crise depuis l’attaque de vendredi dernier. Située à 53 km du chef lieu de région, Aboisso, Noé est aujourd’hui une ville fantôme. Depuis les événements récents, s’y rendre est devenu un véritable parcours du combattant. L’expérience tentée hier nous a permis de constater l’effectivité de la fermeture de la frontière terrestre avec le Ghana. A la gare routière d’Aboisso où des passagers se bousculaient par le passé en vue de prendre un ticket de voyage, c’est le calme plat. Cependant, nous réussissons à emprunter le chemin grâce à une bonne volonté qui s’y rendait. Les véhicules se comptaient sur le bout des doigts. d’Aboisso à Noé en passant par Mouyassué, Ehania, le constat est le même. Aucun Woyo (véhicule banalisé de transport en commun), aucun Dyna, aucun 504, visible. Des véhicules qui, une semaine auparavant, se disputaient la chaussée pour se rendre à Noé. Après une 1 heure de route, nous voilà au cœur du canton Sotchi. Boutiques, magasins, banques ont baissé pavillon.

Après quelques prises de vue de camions stationnés à l’entrée de la ville, nous sommes interpellé par un adjudant de la police frontalière. « Qui vous en a donné l’autorisation ? », interroge-t-il. Après quelques explications, tout rentre dans l’ordre et l’officier nous conduit à sa base. Là, nous rencontrons le lieutenant Dao et le commandant Yéo des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci). Mais les deux officiers font la fine bouche. Rien à déclarer. Approchés, les services de la police frontalière nous autorisent à photographier le grand portail qui sert de frontière. Ses deux battants métalliques sont hermétiquement fermés. Quatre camions-remorques sont stationnés juste en face. Nous dénombrons en tout une quarantaine de camions de marchandises maliens et ghanéens garés hors du périmètre des douanes. Les apprentis et chauffeurs devisent autour de leurs théières. Julien Akessé, transitaire se dit peiné par la situation. « J’ai une trentaine de dossiers à régler. Malheureusement avec la fermeture de la frontière, les services de la douane ne travaillent pas »,se désole-t-il. Pourtant, il trouve salutaire la décision. « Je suis d’accord avec la décision du président Ouattara de fermer momentanément la frontière. Nous voyons beaucoup de choses ici à Noé. Les Ghanéens ne jouent pas franc jeu. A la veille de l’attaque, les mouvements des soldats ghanéens tout au long de la frontière avec Noé, laissaient croire qu’ils étaient au courant de quelque chose » relate-t-il. Pour sa part, Karim Koné, un apprenti-chauffeur dit attendre avec patience la réouverture de la frontière. « Je ne transporte que des nattes, donc je n’ai pas de pression.

Ce qui n’est pas le cas pour mon collègue dont le camion contient des produits périssables. Nous qui faisons le commerce international nous sommes habitués à cela », a-t-il signifié. Il faut toutefois signaler que la situation se dégrade d’heure en heure. La majorité des commerçants qui résident à Noé ont tous des boutiques et magasins à Elubo. Certains craignent donc de perdre leurs biens qui, si la situation perdure, peuvent être pillés par des personnes indélicates. Selon des sources dignes de foi, la faim commence à se faire sentir à Elubu, puisque pour l’essentiel, c’est en Côte d’Ivoire que les Ghanéens s’approvisionnent en denrées alimentaires.

Camara Madjer, envoyé spécial à Noé