EXCLUSIF-CPI: VOICI LES CHARGES FARFELUES RETENUES CONTRE GBAGBO (PREMIÈRE PARTIE)

Le 29 janvier 2013 par IVOIREBUSINESS - DOCUMENT EXCLUSIF CPI.

Version publique expurgée
Document amendé de notification des
charges
ICC-02/11-01/11-357-Anx1-Red 28-01-2013 1/58 CB PT
ICC‐02/11‐01/11 1/57 25 janvier 2013
Original : français N° ICC‐02/11‐01/11
Date : 25 janvier 2013
LA CHAMBRE PRÉLIMINAIRE I
Composée comme suit : Mme la juge Silvia Fernández de Gurmendi, juge
présidente
M. le juge Hans‐Peter Kaul
Mme la juge Christine Van den Wyngaert
SITUATION EN RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE
AFFAIRE
LE PROCUREUR c. LAURENT GBAGBO
Version publique expurgée
Document amendé de notification des charges
Source : Bureau du Procureur
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Document à notifier en application de la norme 31 du Règlement de la Cour à :
Le Bureau du Procureur
Le Conseil de la Défense
Me Emmanuel Altit
Me Agathe Bahi Baroan
Me Natacha Fauveau Ivanovic
Les représentants légaux des victimes
Me Paolina Massidda
Me Sarah Pellet
Les représentants légaux des
demandeurs
Les victimes non représentées
Les demandeurs non représentés
(participations/réparation)
Le Bureau du conseil public pour les
victimes
Le Bureau du conseil public pour la
Défense
Les représentants des États
LE GREFFE
L’amicus curiae
Le Greffier
Mme Silvana Arbia
Le Greffier adjoint
Mr Didier Preira
La Section d’appui à la Défense
L’Unité d’aide aux victimes et aux
témoins
La Section de la détention
La Section de la participation des
victimes et des réparations
Autres
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TABLE DES MATIÈRES
A. INTRODUCTION..................................................................................................................................4
B. L’ACCUSÉ...............................................................................................................................................4
C. EXPOSÉ DES FAITS..............................................................................................................................5
D. COMPÉTENCES RATIONE LOCI, RATIONE TEMPORIS ET RATIONE MATERIAE ...........9
E. EXPOSÉ DES FAITS EN CAUSE AU REGARD DES ÉLÉMENTS DU CHAPEAU DE
L’ARTICLE 7.........................................................................................................................................10
1. ATTAQUE CONTRE UNE POPULATION CIVILE .......................................................................................10
2. CARACTERE GENERALISE OU SYSTEMATIQUE DES ATTAQUES............................................................15
3. POLITIQUE D’UNE ORGANISATION .......................................................................................................16
F. FAITS EN CAUSE AU REGARD DES CRIMES REPROCHÉS..................................................22
1. PREMIER EVENEMENT : ATTAQUES LIEES AUX MANIFESTATIONS DEVANT LE SIEGE DE LA RTI (DU
16 AU 19 DECEMBRE 2010) .....................................................................................................................22
2. DEUXIEME EVENEMENT : ATTAQUE LANCEE LORS D’UNE MANIFESTATION DE FEMMES A ABOBO
(3 MARS 2011).........................................................................................................................................27
3. TROISIEME EVENEMENT : BOMBARDEMENT DU MARCHE D’ABOBO ET SES ENVIRONS
(17 MARS 2011).......................................................................................................................................28
4. QUATRIEME EVENEMENT : LE MASSACRE DE YOPOUGON (12 AVRIL 2011).......................................28
G. FAITS PERMETTANT D’ÉTABLIR LA RESPONSABILITÉ PÉNALE INDIVIDUELLE DE
GBAGBO...............................................................................................................................................29
1. EXISTENCE D’UN PLAN COMMUN ENTRE GBAGBO ET LES MEMBRES DE SON ENTOURAGE
IMMEDIAT ...............................................................................................................................................30
2. LES FORCES PRO‐GBAGBO : UN APPAREIL DU POUVOIR ORGANISE ET HIERARCHISE....................30
3. CONTROLE EXERCE CONJOINTEMENT PAR GBAGBO ET SON ENTOURAGE IMMEDIAT SUR LES
FORCES PRO‐GBAGBO.........................................................................................................................33
4. CONTRIBUTION COORDONNEE PAR GBAGBO ET SON ENTOURAGE IMMEDIAT AYANT ABOUTI A
LA COMMISSION DES CRIMES ................................................................................................................36
5. EXECUTION DES CRIMES RENDUE POSSIBLE GRACE A L’OBEISSANCE QUASI AVEUGLE AUX ORDRES
DE GBAGBO ET DE SON ENTOURAGE IMMEDIAT PAR LES FORCES ACQUISES A LEUR CAUSE.........41
6. CONSTITUTION DES ELEMENTS SUBJECTIFS DES CRIMES REPROCHES................................................42
7. GBAGBO ET SON ENTOURAGE IMMEDIAT ONT MUTUELLEMENT ACCEPTE EN CONNAISSANCE DE
CAUSE QUE LES ELEMENTS OBJECTIFS DES CRIMES PUISSENT SE REALISER DANS LE CADRE DE LA
MISE EN OEUVRE DU PLAN COMMUN.....................................................................................................42
8. GBAGBO CONNAISSAIT LES CIRCONSTANCES DE FAIT QUI LUI ONT PERMIS, AINSI QU’A
D’AUTRES MEMBRES DE SON ENTOURAGE IMMEDIAT, D’EXERCER CONJOINTEMENT UN CONTROLE
SUR LES CRIMES ......................................................................................................................................44
H. EXPOSÉ DES ACCUSATIONS.........................................................................................................45
I. AUTRE QUALIFICATION JURIDIQUE POSSIBLE DES FAITS – ARTICLE 25‐3‐D DU
STATUT.................................................................................................................................................50
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A. INTRODUCTION
1. La présente affaire porte sur la responsabilité pénale de Laurent GBAGBO
(GBAGBO) pour avoir élaboré et mis en oeuvre une politique visant à le
maintenir au pouvoir par tous les moyens, en qualité de Président de la Côte
d’Ivoire, notamment au travers d’attaques soutenues, minutieusement planifiées,
meurtrières, généralisées et systématiques, lancées contre les civils qui
s’opposaient à lui. GBAGBO était le fer de lance de cette politique et au coeur
d’un groupe de personnes chargées d’y donner suite. De la période antérieure à
novembre 2010 à son arrestation le 11 avril 2011, GBAGBO a conçu cette
politique et a planifié, organisé, ordonné, encouragé, autorisé et permis diverses
mesures et actions précises dans le cadre de sa mise en oeuvre. En particulier, il
s’est servi de l’appareil de l’État ivoirien, y compris les Forces de défense et de
sécurité, renforcées par les Jeunes Miliciens et des mercenaires (les « forces pro‐
GBAGBO »), pour la mettre en oeuvre. Il a régulièrement rencontré ses
commandants pour orchestrer l’exécution de cette politique et a ordonné aux
forces pro‐GBAGBO de mener des attaques contre des manifestants civils. Étant
donné que ces offensives soutenues contre des civils s’inscrivaient dans le cadre
des instructions qu’il a données et de la politique qu’il a menée, il s’est bien
gardé par la suite de les dénoncer ou de demander une enquête et d’en punir les
auteurs. Des centaines de ses opposants civils ont été attaqués, tués, blessés ou
victimes de viols dans le cadre de cette politique. GBAGBO est responsable des
crimes qui lui sont reprochés dans le présent document en tant que coauteur
indirect, ainsi qu’il est prévu à l’article 25‐3‐a du Statut de Rome.
B. L’ACCUSÉ
2. Laurent GBAGBO est né le 31 mai 1945 à Mama, un village de la sous‐préfecture
d’Ouragahio situé dans le département de Gagnoa, en Côte d’Ivoire. Il est de
nationalité ivoirienne et membre de la tribu des Bété. GBAGBO est catholique et
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a deux épouses : il est marié légalement à Simone GBAGBO et traditionnellement
à Nadiana BAMBA. Il est devenu Président de la Côte d’Ivoire en octobre 2000.
C. EXPOSÉ DES FAITS
3. En 2002, un coup d’État manqué a entraîné la fragmentation des forces armées
ivoiriennes et s’est terminé par une division de la Côte d’Ivoire en une zone sud
tenue par le Gouvernement et une zone nord contrôlée par les rebelles. En 2007,
un gouvernement de coalition a été établi et le processus de paix qui avait été
entamé, a abouti à l’élection présidentielle de 2010, la première depuis
octobre 2000. La communauté internationale a déployé des efforts considérables
afin d’aider les autorités ivoiriennes à garantir un processus électoral impartial et
équitable.
4. GBAGBO était déterminé à rester au pouvoir. Quelque temps avant l’élection de
2010, aidé par des membres de son entourage immédiat, parmi lesquels Simone
GBAGBO et Charles BLÉ GOUDÉ, il a adopté une politique visant à attaquer son
rival politique Alassane Dramane OUATTARA (OUATTARA) ainsi que des
membres du cercle politique de celui‐ci et des civils considérés comme ses
partisans, dans le but de conserver le pouvoir par tous les moyens y compris la
force létale (la « Politique »). La Politique a été mise en oeuvre par les forces
pro‐GBAGBO, lesquelles, sous l’autorité et le contrôle conjointement exercés par
celui‐ci et son entourage immédiat, ont perpétré des attaques systématiques et
généralisées contre des civils, et notamment les crimes reprochés dans le présent
document.
5. Avant l’élection, GBAGBO a pris des dispositions dans la poursuite de la
Politique pour faire en sorte de se maintenir au pouvoir en cas de défaite
électorale. Il a consolidé son autorité absolue ainsi que le contrôle qu’il exerçait
sur les Forces de défense et de sécurité ivoiriennes (FDS). Celles‐ci étaient
constituées de cinq composantes principales qui ont pris part à la commission
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des crimes : les forces armées (FANCI), la gendarmerie, la garde républicaine
(GR), le Centre de commandement des opérations de sécurité (CeCOS) et la
police. Elles étaient commandées par des personnes fidèles à GBAGBO. Lors de
la crise postélectorale, sur ordre de GBAGBO, leurs opérations ont été
coordonnées par le chef de l’état‐major des forces armées, le général Philippe
MANGOU auquel DOGBO BLÉ a succédé après le 31 mars 2011. GBAGBO a, en
outre, renforcé les FDS, en recrutant systématiquement des Jeunes Miliciens et
des mercenaires, qu’il a intégrés dans la chaîne de commandement des FDS. Ce
dernier s’est également assuré que les forces qui lui étaient restées loyales étaient
entraînées, financées et armées convenablement.
6. Le premier tour de l’élection présidentielle a eu lieu le 31 octobre 2010. Les
favoris étaient GBAGBO, pour la Majorité présidentielle (LMP), une alliance
entre son Front populaire ivoirien (FPI) et d’autres partis politiques, et
OUATTARA, pour le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et
la paix (RHDP). Le RHDP est une alliance formée par le Rassemblement des
républicains (RDR) – dirigé par OUATTARA –, le Parti démocratique de Côte
d’Ivoire (PDCI) et d’autres partis politiques. Dès ce moment là, les forces de
l’ordre se sont adonnées à des violences.
7. Le second tour de l’élection présidentielle a commencé le 28 novembre 2010 et le
scrutin a été clôturé le 1er décembre 2010. Le 2 décembre, le Président de la
Commission électorale indépendante (CEI) a annoncé les résultats provisoires et
déclaré que OUATTARA avait remporté 54,1 % des voix et GBAGBO 45,9 %. Le
3 décembre, le Président du Conseil constitutionnel, un allié de GBAGBO, a
invalidé la décision de la CEI et annoncé la victoire de celui‐ci. Les deux
candidats se sont proclamés simultanément Président de la Côte d’Ivoire.
Cependant, le 3 décembre, le Conseil constitutionnel a fait prêter serment à
GBAGBO pour un nouveau mandat présidentiel. Peu après, OUATTARA prêtait
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serment par écrit en tant que Président de la République. Les deux camps ont
alors formé leur gouvernement respectif.
8. Lors de la crise postélectorale, des milliers de partisans de OUATTARA se sont
rassemblés dans les rues d’Abidjan et dans d’autres parties du pays pour
réclamer la démission de GBAGBO. La communauté internationale, dont l’ONU,
l’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO) et l’Union européenne, a également reconnu la victoire de
OUATTARA et exhorté GBAGBO à céder le pouvoir.
9. Dès la fin du processus électoral, GBAGBO a mobilisé les forces qui lui étaient
subordonnées et leur a donné l’ordre de coordonner leurs activités dans le but
d’appliquer la Politique. Il a autorisé l’usage de la force létale à l’encontre des
civils.
10. OUATTARA et des membres de son gouvernement nouvellement élu étaient
basés au Golf Hôtel de Cocody, un quartier d’Abidjan. Ils se trouvaient sous la
protection des forces de maintien de la paix de l’ONUCI. Dès l’annonce des
résultats provisoires de l’élection par la CEI, GBAGBO a donné l’ordre à ses
forces armées d’assiéger le Golf Hôtel et ses résidents. Ce siège, qui a été
maintenu pendant toute la durée de la crise postélectorale, s’est notamment
traduit par le harcèlement des soldats de l’ONU, de violentes offensives dirigées
à l’encontre des partisans présumés de OUATTARA dans les environs du Golf
Hôtel et l’attaque de ce bâtiment à l’arme lourde.
11. Tout au long de la crise postélectorale, GBAGBO a tenu des réunions et maintenu
un contact régulier avec son entourage immédiat, dont Simone GBAGBO,
Charles BLÉ GOUDÉ et les principaux commandants des FDS, afin de faire le
point sur la Politique et d’en coordonner la mise en oeuvre. Il a également donné
à ses subordonnés des instructions pour appliquer la Politique et a été tenu au
courant des réunions organisées par ceux‐ci à cet effet. Simone GBAGBO et
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d’autres membres de l’entourage immédiat de GBAGBO ont également donné
des consignes concernant l’application de la Politique. Cependant, ces dernières
étaient toujours communiquées au vu ou au su de GBAGBO et avec son
autorisation.
12. Les ordres de GBAGBO et des membres de son entourage immédiat étaient
transmis par les commandants des FDS à leurs subordonnés respectifs et
exécutés par les forces pro‐GBAGBO. Celles‐ci ont fait usage du « répertoire
complet de ce que les militaires [avaient] » y compris les « armes de guerre »
pour disperser les manifestants.
13. En conséquence, la mise en oeuvre coordonnée de la Politique a abouti à des
attaques systématiques et généralisées à l’encontre des civils pris pour des
partisans de OUATTARA, et aux crimes reprochés en l’espèce. Du 27 novembre
2010 au 8 mai 2011, les forces pro‐GBAGBO ont attaqué les civils considérés
comme partisans de OUATTARA. Elles ont tué plus de 700 personnes, en ont
violé plus de 40, en ont arbitrairement arrêté au moins 520 et ont infligé à plus de
140 personnes de grandes souffrances et des atteintes graves à l’intégrité
physique. Ces crimes ont été commis avec une intention discriminatoire pour des
motifs d’ordre politique, national, ethnique et religieux.
14. Le 25 février 2011, la Côte d’Ivoire était devenu le théâtre d’un conflit armé ne
revêtant pas un caractère international entre les forces pro‐GBAGBO et les forces
fidèles à OUATTARA. Ces dernières comprenaient les Forces nouvelles
(rebaptisées par la suite Forces républicaines de Côte d’Ivoire – FRCI) et
disposaient du soutien d’un groupe de défense issu de tribus et appelé les dozos,
et d’un groupe de miliciens burkinabè. Les FRCI avançaient du nord au sud de la
Côte d’Ivoire pour atteindre Abidjan le 31 mars 2011. À partir de ce moment‐là,
un grand nombre d’officiers des FDS ont déserté, et GBAGBO et les membres de
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son entourage immédiat en sont venus à s’appuyer de plus en plus sur les Jeunes
Miliciens et les mercenaires pour mettre en oeuvre la Politique.
15. Le 11 avril 2011, à la suite d’opérations militaires menées par des forces fidèles à
OUATTARA et soutenues par l’ONUCI et les troupes françaises de l’opération
Licorne, GBAGBO fut arrêté par le gouvernement de OUATTARA et assigné à
résidence. Les forces pro‐GBAGBO ont continué de commettre des crimes contre
les civils pris pour des partisans de OUATTARA jusqu’au 8 mai 2011 au moins.
Les crimes en question s’inscrivaient dans le cadre d’une attaque généralisée et
systématique menée contre la population civile à l’initiative de GBAGBO et de
son entourage immédiat dans la poursuite de la Politique.
D. COMPÉTENCES RATIONE LOCI, RATIONE TEMPORIS ET
RATIONE MATERIAE
16. La République de Côte d’Ivoire n’est pas un État partie au Statut de Rome.
Cependant, le 1er octobre 2003, par déclaration datée du 18 avril de cette même
année, le Gouvernement de la Côte d’Ivoire a reconnu la compétence de la Cour
pour juger les crimes commis sur le territoire ivoirien à compter du
19 septembre 2002. Cette déclaration autorise donc la Cour à exercer sa
compétence conformément à l’article 12‐3 du Statut de Rome.
17. Le 14 décembre 2010, le Procureur, le Président et le Greffier de la Cour ont reçu
une lettre de M. OUATTARA, en sa qualité de Président de la Côte d’Ivoire,
confirmant la prorogation de la validité de la Déclaration du 18 avril 2003. Une
deuxième lettre à cet effet a été reçue le 4 mai 2011.
18. Le 23 juin 2011, l’Accusation, ayant conclu qu’il existait une base raisonnable
pour ouvrir une enquête, a demandé à la Chambre préliminaire III l’autorisation
d’enquêter sur la situation en Côte d’Ivoire à compter du 28 novembre 2010, au
titre de l’article 15‐3 du Statut de Rome. Le 3 octobre 2011, la Chambre
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préliminaire a autorisé l’Accusation à enquêter sur les crimes relevant de la
compétence de la Cour commis depuis le 28 novembre 2010 dans le cadre de
cette situation.
19. Tous les crimes reprochés en l’espèce ont eu lieu sur le territoire de la Côte
d’Ivoire après le 28 novembre 2010. Le meurtre, le viol et autres formes de
violence sexuelle, la persécution et d’autres actes inhumains constituent des
crimes contre l’humanité définis à l’article 7 du Statut.
E. EXPOSÉ DES FAITS EN CAUSE AU REGARD DES ÉLÉMENTS DU
CHAPEAU DE L’ARTICLE 7
1. Attaque contre une population civile
20. Entre le 27 novembre 2010 et le 8 mai 2011, les forces pro‐GBAGBO ont dirigé
contre des civils pris pour des partisans de OUATTARA des attaques durant
lesquelles elles ont tué plus de 700 personnes, en ont violé plus de 40, en ont
arbitrairement arrêté au moins 520 et ont infligé à plus de 140 personnes de
grandes souffrances et des atteintes graves à l’intégrité physique. Ces attaques
comprennent les quatre événements visés dans le présent document ainsi que
d’autres énoncés dans la présente partie.
21. Les forces pro‐GBAGBO ont pris pour cible les habitants des quartiers d’Abidjan
considérés comme des bastions de OUATTARA (notamment Abobo, Adjamé,
Koumassi et Treichville), ainsi que ceux des nombreuses communautés de l’ouest
de la Côte d’Ivoire traditionnellement acquises à la cause de ce dernier. A Abobo,
quand les forces pro‐GBAGBO sortaient du Camp Commando, elles tiraient
n’importe où et des civils étaient tués ou blessés. Partout où le RDR faisait des
manifestations, des civils étaient tués. Par ailleurs, les cibles étaient souvent
choisies pour des motifs ethniques (Baoulé, Dioula, Mossi, Malinké, Sénofou),
religieux (musulmans) ou nationaux (des citoyens d’États ouest‐africains tels que
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le Mali, le Burkina Faso ou le Nigéria ainsi que des Ivoiriens d’ascendance ouestafricaine),
car les membres de ces groupes étaient considérés comme des
partisans de OUATTARA. Les maisons de ces derniers étaient souvent marquées,
soit avec les lettres D (Dioula) ou B (Baoulé) à la craie blanche, soit avec une croix
peinte en noir, pour que les assaillants puissent les identifier. De même, les forces
pro‐GBAGBO et, en particulier, les Jeunes Miliciens identifiaient souvent les
cibles de ces attaques en procédant à des contrôles d’identité aux barrages
routiers installés illicitement et attaquaient les quartiers ou les institutions
religieuses généralement fréquentés par les partisans de OUATTARA.
22. Bien que les FDS aient parfois participé à des opérations militaires contre le
prétendu commando invisible, groupe armé basé à Abobo et censé être acquis à
la cause de OUATTARA, les attaques dont il est question en l’espèce ont été
commises à l’encontre de civils dans le cadre de la Politique, qui consistait à
attaquer les partisans présumés de OUATTARA afin de maintenir GBAGBO au
pouvoir coûte que coûte. Ainsi qu’il est précisé dans d’autres parties du présent
document, les attaques ont été orchestrées et dirigées par GBAGBO et ses
proches.
23. Ces attaques ont commencé au second tour de l’élection. Le 27 novembre 2010,
vers 9 heures du matin, des forces pro‐GBAGBO ont ouvert le feu à la mairie
d’Abobo et fait 5 victimes civiles. Du 27 au 29 novembre 2010, les FDS ont
violemment réprimé des manifestations menées à Abobo par les jeunes du RHDP
pour protester contre le couvre‐feu, faisant 12 morts. Durant la même période, les
Jeunes Miliciens ont tué un Malien à un barrage routier après avoir accusé les
Maliens d’avoir voté pour OUATTARA.
24. Dans la nuit du 1er au 2 décembre 2010, des éléments du CeCOS ont fait irruption
au quartier général du RDR à Wassakara (Yopougon) et ouvert le feu sur des
partisans du RHDP réunis dans le bâtiment, faisant au moins six morts et au
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moins 14 blessés. Sept autres personnes ont été arrêtées et détenues. Le
3 décembre 2010, des éléments des FDS, dont des membres de la police, ont
ouvert le feu sur des personnes dans le quartier d’Abobo, faisant trois morts. Le
lendemain, les FDS ont abattu deux civils à Port‐Bouët. Entre le 16 et le
19 décembre 2010, les forces pro‐GBAGBO ont tué au moins 54 personnes et ont
blessé au moins 50 personnes à Abidjan pendant et après la manifestation des
partisans de OUATTARA qui se rendaient au siège de la RTI. Le 25 décembre
2010, des Jeunes Miliciens, aidés par des éléments des FDS, ont mené une
opération contre le quartier général du PDCI – allié politique de OUATTARA –
blessant 11 personnes, dont trois par balle.
25. Durant tout le mois de janvier 2011, les forces pro‐GBAGBO ont violemment
attaqué les partisans de OUATTARA à Abidjan ainsi que dans d’autres parties
du pays, dont Gagnoa, Divo et Daoukro. Le 4 janvier 2011, par exemple, la police
et les gendarmes ont utilisé des balles réelles et des gaz lacrymogènes contre des
personnes non armées qui se trouvaient à l’intérieur des bureaux du PDCI à
Abidjan. Ils ont alors tué un militant de ce parti et en ont blessé grièvement
quatre autres. Ils ont également arrêté 136 partisans du RHDP, dont 19 femmes et
plusieurs enfants. Entre les 11 et 12 janvier, des éléments des FDS ont attaqué le
quartier connu sous le nom de PK18, à Abobo, à bord de véhicules de la police et
du CeCOS, faisant au moins neuf morts. Le 12 janvier, un groupe de Jeunes
Patriotes (cf. par. 64) a battu à mort trois ressortissants maliens à Abobo. Le
13 janvier, de Jeunes Patriotes qui tenaient un poste de contrôle ont tué deux
jeunes partisans du RHDP. Le 20 janvier, des soldats des FDS ont ouvert le feu,
sans faire preuve de discernement, sur des civils non armés dans la ville de
Gagnoa, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, tuant et blessant de nombreuses
personnes. Du 18 au 20 janvier 2011, en réaction à un appel du RHDP à la
désobéissance civile dans tout le pays, les forces pro‐GBAGBO ont brutalement
réprimé des manifestations. Le 19 janvier 2011, par exemple, des gardes
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républicains ont tué deux partisans du RHDP et en ont blessé 17 dans la
commune d’Attécoubé. Le 19 février 2011, au rond‐point près de la mairie
d’Abobo, alors que des membres du RDR préparaient un meeting, les forces pro‐
GBAGBO ont tué deux personnes et brûlé leur matériel. Le même jour à
Koumassi, les forces de Laurent GBAGBO ont attaqué un meeting du RDR,
faisant des morts. Toujours en février 2011, à la Riviera, les forces de l’ordre ont
appelé des miliciens pour attaquer des femmes du RHDP qui devaient protester
contre le blocus de l’hotel du Golf. Le 25 février, à Abobo, des forces pro‐
GBAGBO ont violé neuf femmes politiquement engagées en faveur de
OUATTARA. Ce même jour, des Jeunes Miliciens soutenus par la police ont
attaqué les personnes qui avaient trouvé refuge autour et dans les prémises
d’une mosquée à Yopougon, faisant au moins deux morts, dont le gardien de la
mosquée, et au moins cinq blessés.
26. Le 3 mars 2011, les forces pro‐GBAGBO ont tué sept femmes qui avaient pris part
à une manifestation de partisanes de OUATTARA à Abobo. Le 17 mars 2011, les
forces pro‐GBAGBO ont tué au moins 25 personnes et blessé au moins
40 personnes au marché d’Abobo ou dans les environs en bombardant au mortier
un secteur densément peuplé. Durant la deuxième quinzaine de mars 2011, des
forces pro‐GBAGBO, dont des membres du CeCOS, de la BAE et de la garde
républicaine, ont continué de tirer à l’arme lourde sur les partisans de
OUATTARA à Yopougon, Williamsville, Attécoubé, Adjamé et Abobo. Les FDS
ont alors tué au moins 40 personnes parmi lesquelles des femmes, des enfants et
des personnes âgées.
27. En mars 2011 également, les FDS et les Forces nouvelles loyales à OUATTARA se
sont directement affrontées. Au cours de leurs offensives militaires, les forces
pro‐GBAGBO ont commis des crimes à grande échelle contre les civils assimilés à
des partisans de OUATTARA, et notamment lors des trois offensives suivantes
lors desquelles des civils ont délibérément été pris pour cible. Le 22 mars 2011,
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des forces pro‐GBAGBO comprenant des mercenaires venus du Libéria ont
attaqué le quartier des immigrés de la ville de Bédi‐Goazon, dans l’ouest de la
Côte d’Ivoire, tuant au moins 37 immigrés ouest‐africains. Le 25 mars 2011, des
Jeunes Miliciens et des mercenaires du Libéria ont attaqué des civils partisans de
OUATTARA à Bloléquin, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, en représailles à la
progression de forces pro‐OUATTARA dans la région. Les assaillants se sont
livrés au massacre systématique de plus d’une centaine d’hommes, de femmes et
d’enfants originaires de groupes ethniques de l’ouest de la Côte d’Ivoire et de
pays voisins de la région. Le 28 mars 2011, le même groupe des forces pro‐
GBAGBO a lancé une offensive contre des civils à Duékoué, tuant plusieurs
partisans présumés de OUATTARA parmi lesquels un imam et trois
ressortissants ouest‐africains.
28. En outre, les forces pro‐GBAGBO menaient systématiquement des attaques
contre d’autres personnes d’origine ouest‐africaine, pour la plupart des
Burkinabè et des Maliens, considérés comme favorables à OUATTARA. Entre le
début des violences postélectorales et le 10 avril 2011, les forces pro‐GBAGBO, et
plus particulièrement les Jeunes Miliciens et les mercenaires, ont brûlé vifs ou
exécuté 80 civils d’origine ouest‐africaine à Port‐Bouët et Yopougon. Entre le 24
et 28 février 2011, les Jeunes Patriotes ont roué de coups, brûlé ou abattu
plusieurs étrangers et des partisans présumés de OUATTARA à Yopougon,
parfois en présence des forces de police. Les 28 février et 8 mars 2011, des
éléments des FDS en patrouille à Yopougon et à Treichville ont tué plusieurs
ressortissants ouest‐africains. Le 1er mars 2011, à Abidjan, une unité du CeCOS a
brûlé vifs deux Nigériens en invoquant, ce faisant, un discours enflammé de BLÉ
GOUDÉ tenu quelques jours auparavant. Les 4 et 8 mars 2011, environ
150 Jeunes Miliciens armés de machettes et de haches ont scandé « [TRADUCTION]
tuer, brûler, tuer, brûler, vous devez tous partir » lorsqu’ils ont fait irruption et se
sont livrés au pillage dans les étalages de nombreux marchands ouest‐africains
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de Yopougon. Le 2 avril 2011, les Jeunes Miliciens ont tiré sur quatre
ressortissants burkinabè à Port‐Bouët. Le 10 avril, des miliciens ont tué cinq
personnes d’origine dioula à Yopougon parce qu’ils les prenaient pour des
partisans de OUATTARA.
29. Après l’arrestation de GBAGBO le 11 avril 2011, les forces qui lui étaient fidèles
ont continué de commettre des crimes dans le cadre d’une attaque généralisée et
systématique déclenchée par GBAGBO et son entourage immédiat contre une
partie de la population civile et dans la poursuite de la Politique. Entre les 5 et
8 mai 2011, des mercenaires du Libéria à la solde de GBAGBO ont tué, alors
qu’ils battaient en retraite le long de la côte, entre 120 et 220 civils pris pour des
partisans de OUATTARA.
2. Caractère généralisé ou systématique des attaques
30. Les attaques étaient généralisées et systématiques. Elles étaient généralisées car :
a) les attaques se sont étalées sur plus de cinq mois (du 28 novembre 2010 au
8 mai 2011) ; b) au cours de cette période, leur intensité et leur nombre étaient
considérables ; c) elles ont fait un grand nombre de victimes (1 351 au moins) ;
d) un grand nombre d’incidents se sont produits ; et e) les attaques se sont
réparties sur l’ensemble du pays, y compris dans la région densément peuplée
d’Abidjan et de nombreuses localités dans l’ouest de la Côte d’Ivoire (Bedi‐
Goazon, Bloléquin, Duékoué et Gagnoa), ainsi que dans les régions côtières du
pays (département de Sassandra).
31. Les attaques étaient systématiques car : a) la Politique à l’origine de ces attaques
a été adoptée au sommet de l’État ; b) la mise en oeuvre de cette politique a été
coordonnée conjointement par GBAGBO et son entourage immédiat ; c) les forces
officielles de l’État, en particulier les FDS, ont joué un rôle majeur dans la
conduite des attaques et ont agi de concert avec des assaillants n’exerçant aucune
fonction officielle (des mercenaires et les Jeunes Miliciens) ; d) le recours à la
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violence n’était pas fortuit et les victimes étaient visées car elles étaient
considérées comme des partisans de OUATTARA ; e) les forces de l’ordre
présentes sur les lieux n’intervenaient parfois pas pour protéger les victimes mais
participaient au contraire à la commission des crimes ; et f) les faits particuliers
qui se sont déroulés épousaient un modèle habituel étant donné que dans
nombre d’attaques : les personnes prises pour cible étaient identifiées lors de
contrôles d’identité à des barrages routiers illégaux, des attaques étaient lancées
contre des quartiers ou des institutions religieuses généralement fréquentés par
les partisans de OUATTARA, des armes lourdes étaient utilisées dans des
quartiers densément peuplés pour disperser les manifestants acquis à la cause de
OUATTARA.
3. Politique d’une organisation
i) GBAGBO et son entourage immédiat constituaient une organisation
32. GBAGBO et son entourage immédiat, comprenant notamment Simone GBABGO,
Charles BLÉ GOUDÉ et divers membres de la galaxie patriotique, des hommes
politiques et des hauts dirigeants des forces pro‐GBAGBO, constituaient une
organisation au sens de l’article 7‐2‐a. Ils avaient les moyens d’accomplir des
actes qui portaient atteinte aux valeurs humaines fondamentales et de mener des
attaques généralisées ou systématiques contre la population civile : a) ils
exerçaient conjointement un contrôle et une autorité de jure et de facto sur les
forces pro‐GBAGBO ; b) ils agissaient au travers de structures et d’institutions de
l’État ainsi que d’organisations affiliées de fait à celui‐ci; c) ils veillaient au
financement de ces forces et leur fournissaient des armes ; et d) ils leur donnaient
des instructions et étaient tenus informés par elles des événements sur le terrain.
En outre, GBAGBO et son entourage immédiat ont planifié et mis en oeuvre les
attaques lancées contre des civils et ont contrôlé, au travers des forces pro‐
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GBAGBO, des parties du territoire ivoirien, dont la ville d’Abidjan, où ont été
commis les crimes reprochés dans le présent document.
ii) Politique consistant à lancer de violentes attaques contre la population civile afin de
maintenir GBAGBO au pouvoir
33. GBAGBO et les membres de son entourage immédiat ont adopté la Politique
consistant à lancer de violentes attaques contre son opposant politique,
OUATTARA, les membres du cercle politique de ce dernier et les civils perçus
comme ses partisans, afin de maintenir GABGBO au pouvoir par tous les
moyens, y compris par le recours à la force létale. L’existence et la nature de la
Politique reposent sur les éléments ci‐après.
34. Premièrement, entre le 27 novembre 2010 et le 8 mai 2011, les forces
pro‐GBAGBO ont lancé des attaques généralisées et systématiques contre des
civils qu’elles prenaient pour des partisans de OUATTARA. Lesdites attaques
visaient ces personnes et suivaient un modèle et un mode opératoire habituels.
GBAGBO et les membres de son entourage immédiat se sont servis de leur
position pour organiser, former, financer et armer les forces pro‐GBAGBO
placées sous leur autorité et leur contrôle.
35. Deuxièmement, GBAGBO a montré publiquement qu’il était disposé à recourir à
la violence contre ses opposants politiques afin de rester au pouvoir. Avant la
tenue de l’élection, il avait déclaré qu’il n’accepterait pas une défaite électorale. Il
avait annoncé : « [TRADUCTION] Je ne serai pas battu. J’y suis, j’y reste. » Le slogan
de sa campagne politique était « [o]n gagne ou on gagne » –ce qui signifiait que
ses partisans n’accepteraient pas qu’un autre candidat soit élu à sa place. Selon
certains témoins, ce slogan électoral signifiait que GBAGBO et son entourage
immédiat avaient l’intention d’utiliser tous les moyens qui seraient nécessaires
pour maintenir GBAGBO au pouvoir. Son camp avait également un autre slogan
inventé par BLÉ GOUDÉ : « il n’y a rien en face. C’est maïs ». D’après un témoin,
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cela signifiait qu’il n’y avait pas d’autre candidat que GBAGBO aux
présidentielles. Plusieurs mois avant l’élection, celui‐ci a informé les membres
d’une Compagnie Républicaine de Sécurité (CRS – une des unités de la police)
de la lutte à mener contre les « bandits », terme également employé par son
entourage immédiat pour désigner OUATTARA et ses sympathisants. GBAGBO
déclarait aussi de façon répétée, y compris à son entourage immédiat: « Si je
tombe, vous tombez aussi » . Toujours avant l’élection, il est allé à la rencontre
des Jeunes Patriotes à Yopougon et les a incités à se battre pour protéger la
nation et ne pas laisser le pays aux mains des ennemis. Aussi, les jeunes patriotes
recouraient‐ils eux‐mêmes à la violence contre les militants pro‐OUATTARA.
36. Après l’élection, GBAGBO a continué de montrer qu’il aurait recours à la
violence pour se maintenir au pouvoir. GBAGBO est « prêt à tout » et est
clairement dans une logique de violence. Dans son discours du 21 décembre 2010
par lequel il s’adressait à la République, il a indiqué que la reconnaissance de la
victoire de OUATTARA par la communauté internationale constituait une
déclaration de guerre contre la Côte d’Ivoire. Le 31 décembre 2010, dans une
interview télévisée, il a fait savoir que même s’il ne croyait pas que la crise
déboucherait sur une guerre civile, les pressions constantes exercées par ses
opposants politiques, y compris l’ONU, « [TRADUCTION] rendraient un
affrontement plus probable ». Le même jour, il s’est adressé à la nation et a
déclaré que, comme en 2002, il n’abandonnerait pas et resterait au pouvoir. Le 3
mars 2011, le jour même de l’incident de la marche des femmes à Abobo, il
instruit au cours du Conseil des ministres le porte‐parole de dire qu’il va rester
debout. Le 9 avril 2011, GBAGBO a ordonné aux forces qui lui étaient fidèles de
poursuivre le combat contre « OUATTARA et ses terroristes ».
37. Les membres de l’entourage immédiat de GBAGBO se sont fait l’écho de ses
déclarations et ont indiqué qu’ils auraient recours à tous les moyens nécessaires,
y compris à la violence meurtrière, pour le maintenir au pouvoir. Le
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22 janvier 2011, MANGOU a déclaré devant des milliers de jeunes au quartier
général des FDS à Abidjan : « S’il faut se battre jusqu’à ce qu’on perde notre vie,
nous allons le faire. […] [N]ous n’accepterons pas que quiconque vienne ici pour
toucher à un seul cheveu du Président [GBAGBO] ». Le 22 février 2011, le
premier ministre souligne qu’il «faut […] utiliser […] le terme « terroristes »,
pour les manifestants». Lors du conseil de gouvernement du 29 mars 2011, «le
ministre de la communication recommande des actions de terreur en réplique». BLÉ
GOUDÉ a incité les jeunes à plusieurs reprises à recourir à la violence contre les
opposants politiques de GBAGBO. En outre, le 26 mars 2011, un journaliste
britannique a interviewé BLÉ GOUDÉ et lui a demandé s’il s’inquiétait du fait
que ses rebelles armés pouvaient échapper à son contrôle. Ce dernier a répondu :
« dans une révolution, il y a forcément des dommages collatéraux […] nous
devons nous battre pour notre liberté […] ». C’est le même BLÉ GOUDÉ qui
donnait l’ordre aux leaders de la Galaxie patriotique Serge Kassy, Dakoury
Richard ou Jean Yves Dibopieu de « faire les barrages dans les rues,» de
« contrôler les étrangers» de «faire la chasse aux hommes qui portaient le grisgris
» car ils étaient considérés «comme des rebelles […] ils venaient du nord».
Aux alentours de la même période, Simone GBAGBO a communiqué son
intention de se battre jusqu’au bout et de mettre en oeuvre tous les moyens
nécessaires à cette fin. Elle a encouragé les autres membres de l’entourage
immédiat de GBAGBO à « résister » afin de maintenir son mari au pouvoir. En
outre, lors d’un rassemblement ayant réuni 4 000 partisans de GBAGBO le
15 janvier 2011, alors que les violences politiques avaient déjà éclaté et que de
nombreux crimes visant les partisans de OUATTARA avaient été commis par les
forces pro‐GBAGBO, Simone GBAGBO a déclaré : « Le temps des débats sur les
élections de GBAGBO Laurent, des chefs bandits, ce temps‐là est passé. [Nous
devons] récupérer la totalité du territoire ivoirien […]. C’est le travail bien sûr
des [FDS], mais c’est aussi notre travail. Il faut les appuyer ». C’est aussi avec
l’accord de Simone Gbagbo, lors d’une réunion convoquée par elle à la résidence
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présidentielle en mars 2011, qu’une liste de membres du RHDP dont il fallait
brûler les maisons a été donnée. Les forces pro‐GBAGBO, y compris les Jeunes
Miliciens, adhéraient également à la Politique. Ils ont mis en oeuvre le plan
commun de façon cordonnée et ont exprimé leur détermination à la mettre en
oeuvre par le recours à la violence. Il est possible de déduire que les forces pro‐
GBAGBO avaient souscrit à la Politique du fait que les dirigeants politiques et
militaires, dont GBAGBO et les membres de son entourage immédiat, avaient
adopté cette dernière et travaillaient à sa mise en oeuvre.
38. Troisièmement, le siège du Golf Hôtel – base de OUATTARA et de son cabinet –
tenu par les forces pro‐GBAGBO avait pour objectif d’empêcher OUATTARA de
prendre ses fonctions de Président de la Côte d’Ivoire et d’être en contact avec
ses sympathisants. Dans la suite des événements, les FDS seront couramment
utilisées pour empêcher les regroupements.
39. Quatrièmement, GBAGBO et son entourage immédiat se rencontraient
fréquemment pour discuter de la mise en oeuvre de la Politique. Au cours de ces
réunions, les commandants de GBAGBO l’informaient de l’évolution de la
situation sur le terrain et ce dernier leur donnait des instructions dans le cadre
des opérations afin de coordonner la mise en oeuvre de la Politique. Le
3 décembre 2010, une réunion a été organisée à la résidence présidentielle afin de
mobiliser tous les services concernés des autorités ivoiriennes, y compris les FDS,
à l’appui de la Politique. Tout au long de la crise postélectorale, des réunions
étaient tenues presque quotidiennement à l’état‐major général entre les membres
de l’entourage immédiat de GBAGBO, notamment les principaux généraux des
FDS, afin de coordonner la mise en oeuvre de la Politique. GBAGBO était tenu
informé du contenu de ces réunions et il s’entretenait en tête à tête avec les
commandants de haut rang des FDS pour faire le point sur ces réunions. De plus,
après l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection, Simone GBAGBO a
convoqué des « réunions de crise » tous les jours à la résidence présidentielle.
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Des ministres du Gouvernement, comme les ministres de la défense, de
l’intérieur et des finances, les hauts dirigeants du FPI et souvent GBAGBO luimême
assistaient à ces réunions. Elles visaient à s’assurer que celui‐ci se
maintienne au pouvoir et à coordonner les activités de son entourage immédiat
et de ses forces pendant la crise.
40. Simone GBAGBO a également convoqué des réunions du Congrès national de la
résistance pour la démocratie (CNRD), dont elle était la secrétaire générale. Le
CNRD constituait une plate‐forme politique comprenant le FPI et d’autres partis
pro‐GBAGBO, ainsi que des organisations de jeunes de la Galaxie patriotique,
notamment les Jeunes Patriotes. L’un des buts déclarés du CNRD était de
s’assurer de la réélection de GBAGBO. Lors d’une de ces réunions, fin 2010,
Simone Gbagbo note : « incitation à 1 réplique par les FDS à armes réelles ». Le
10 mars 2011, Simone GBAGBO a noté, entre autres : « nous avons choisi le
Pr[ésident] G[BAGBO] L[aurent]. […] [N]ous avons choisi de résister à ceux qui
veulent nous enlever notre pays. […] [N]ous continuons la croisade ». Le fait
qu’elle ait mentionné la mobilisation, la formation et l’armement des jeunes
permet de déduire qu’il s’agissait d’une croisade violente. Simone GBAGBO a
également précisé qu’« [i]l [fallait] se battre et triompher », et a en outre indiqué
afin d’y parvenir qu’ils allaient « consulter le P[résident de la] R[épublique] ».
41. Cinquièmement, lors des fréquentes réunions susmentionnées, les participants
ont délibérément évité de débattre de la nécessité de mettre un terme au
massacre généralisé des civils, en dépit des critiques largement diffusées dans les
médias visant les forces pro‐GBAGBO, et aucune véritable enquête interne sur
les personnes portant la responsabilité de ces crimes n’a été menée. Avant la crise
postélectorale, GBAGBO a dit à ses forces de ne pas remettre en question la
légalité des ordres émanant de leurs supérieurs et leur a laissé entendre qu’elles
ne seraient pas sanctionnées quelles que soient les mesures qu’elles prendraient.
Les autorités judiciaires ont également donné carte blanche aux forces pro‐
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GBAGBO. Cette volonté récurrente de ne pas intervenir malgré les meurtres de
civils, largement dénoncés par les médias, démontre également que GBAGBO et
son entourage proche cautionnaient ces attaques. Au reste, ces attaques n’étaient
pas sans précédent : à titre d’exemple, en mars 2004, les forces de GBAGBO ont
réprimé avec l’usage des armes des manifestants qui protestaient contre lui.
42. Sixièmement, jusqu’à l’arrestation de GBAGBO en avril 2011, celui‐ci et son
entourage immédiat n’ont jamais renoncé au pouvoir et ont continué d’ordonner
des mesures destinées à la mise en oeuvre de la Politique. L’entourage immédiat
de GBAGBO n’a pas renoncé à la Politique après l’arrestation en question et a
continué, au moins jusqu’au 8 mai 2011, à prendre des mesures en vue de
reconquérir coûte que coûte le pouvoir.
F. FAITS EN CAUSE AU REGARD DES CRIMES REPROCHÉS
1. Premier événement : attaques liées aux manifestations devant le siège de la
RTI (du 16 au 19 décembre 2010)
43. Le 16 décembre 2010, les partisans de OUATTARA, tous des civils, se sont
dirigés vers les locaux de la Radiodiffusion‐Télévision Ivoirienne (RTI) à Cocody
pour introniser le nouveau directeur général de cette institution nommé par
OUATTARA. Le contrôle de la RTI était crucial sur le plan stratégique, la RTI
soutenait le LMP depuis des années et diffusait des programmes au soutien de
GBAGBO et les alliés de GBAGBO s’en servaient pour diffuser des messages de
haine contre des groupes ethniques, politiques, religieux et nationaux perçus
comme favorables à OUATTARA, ce qui a alimenté les tensions et exacerbé les
problèmes de sécurité. Les éléments des FDS, dont les forces armées, la police, la
gendarmerie, le CeCOS et la garde républicaine, appuyés par les Jeunes Miliciens
et des mercenaires, ont réprimé cette manifestation dans la violence, violence que
les FDS n’ont cessé d’infliger dans divers quartiers d’Abidjan entre le 16 et le
19 décembre 2010. Les forces pro‐GBAGBO ont tué 54 personnes au moins, en
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ont blessé grièvement 54 autres et ont violé 17 femmes et jeunes filles au moins.
Il s’agissait de victimes civiles.
44. Les éléments de preuve recueillis montrent que cette attaque soutenue qui s’est
poursuivie avait été planifiée et organisée au sommet de l’État par GBAGBO et
son entourage immédiat. La veille, le chef de l’état‐major avait convoqué une
réunion avec le haut commandement des FDS afin de discuter des instructions
qu’il avait reçues de GBAGBO et des mesures qui devaient être prises en vue de
la manifestation annoncée. Les forces armées, la gendarmerie, le CeCOS et la
police devaient être positionnés dans le périmètre de la tour de la RTI et dans
d’autres quartiers d’Abidjan pour empêcher la « libération » de celle‐ci par les
partisans de OUATTARA et disperser les cortèges de gens marchant sur la RTI.
Les troupes ont reçu l’ordre d’« empêcher tout accès à la RTI ». Cette opération a
été assimilée à une opération militaire et coordonnée par l’état‐major général des
forces armées, qui a tenu GBAGBO informé de l’évolution de la situation sur le
terrain. D’après un courriel envoyé depuis une adresse électronique du
Gouvernement (RCI République) à la secrétaire particulière de Simone GBAGBO
et au secrétaire du CNRD, de nombreux manifestant pro‐OUATTARA risquaient
d’être tués au cours de cette opération. La veille de la manifestation, un haut
gradé des FDS a averti à la télévision les partisans de OUATTARA que la force
serait employée pour empêcher cet événement.
45. La manifestation du 16 décembre 2010 était censée se dérouler pacifiquement et
les manifestants n’étaient pas armés. Les sympathisants de OUATTARA se sont
rassemblés en grand nombre dans les différents quartiers d’Abidjan avant de se
diriger vers la RTI. De nombreuses forces pro‐GBAGBO lourdement armées,
composées de FDS, de Jeunes Miliciens et de mercenaires, avaient pris position
dans ce quartier et dans d’autres secteurs d’Abidjan. Certains soldats ont tenté de
dissuader les partisans de OUATTARA de participer à cette marche et les ont
prévenus qu’ils seraient tués s’ils s’entêtaient à le faire, ce qui démontre que les
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événements qui se sont déroulés par la suite avaient été planifiés et anticipés. Le
matin du 16 décembre 2010, les corps habillés ont attaqué le siège du PDCI à
Cocody: il y eut des morts et des blessés. Des femmes d’Abobo y avaient passé la
nuit car c’était proche de la RTI et il avait été dit que les forces de Laurent
Gbagbo pourraient empêcher les manifestants de partir d’Abobo. Toujours le
matin du 16 décembre 2010, un commandant de police a donné l’ordre à la radio
de nettoyer la route qui mène du zoo aux locaux de la RTI et d’attaquer la foule
directement sans aucune restriction.
46. Les forces pro‐GBAGBO ont alors lancé des gaz lacrymogènes, des grenades et
des roquettes et ont ouvert le feu sur des manifestants civils dans les différents
quartiers d’Abidjan, faisant au moins trois morts et de nombreux blessés. Une
fois que les manifestants ont été dispersés, les forces pro‐GBAGBO ont pris en
chasse les sympathisants de OUATTARA dans divers quartiers d’Abidjan afin de
dénicher « d’éventuelles poches de résistance », ce qui a fait davantage de morts
et de blessés parmi ces derniers.
47. Par exemple, un jeune homme a été tué par balle dans le quartier de Marcory
lorsque des membres des FDS se sont mis à tirer dans toutes les directions.
Lorsque les policiers se sont aperçus que ce dernier était encore en vie, ils l’ont
abattu. À Abobo, les FDS ont tué au moins six manifestants en lançant des gaz
lacrymogènes dans leur direction avant de les abattre. A Macaci, quatre
personnes ont été blessées dont au moins deux atteintes par des projectiles. Dans
le quartier de Riviera II, un jeune homme pris pour un partisan de OUATTARA a
été tué par un groupe d’une vingtaine de Jeunes Miliciens de la FESCI et un
policier associé au CeCOS. D’autres faits similaires se sont produits dans le
quartier de Cocody, où des éléments des FDS associés aux Jeunes Miliciens et à
des mercenaires ont tué quatre partisans au moins de OUATTARA et en ont
blessé plusieurs autres. Les forces pro‐GBAGBO se rendaient également dans les
hôpitaux à la recherche des blessés pour les tuer. Les FDS, les Jeunes Miliciens et
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des mercenaires ont par ailleurs attaqué des gens qui tentaient de quitter le Golf
Hôtel, où OUATTARA et son gouvernement avaient établi leur base, ou de s’y
rendre. Le 17 décembre 2010, des soldats des FDS ont lancé un raid dans le
secteur de PK18 à Abobo. Ils sont entrés par effraction chez des gens et ont
continué à tirer toute la nuit. Au cours de cet événement, ils ont tué 18 civils au
moins.
48. Les 17 et 18 décembre, des éléments des FDS, dont des CRS, ont pris d’assaut
quatre mosquées à Grand Bassam, Abobo et Williamsville. Ils ont tué une
personne et en ont blessé 29 autres, dont 14 femmes. Le 18 décembre 2010, une
dizaine de policiers ont enlevé deux militants du RHDP qui avaient surveillé le
déroulement des élections dans un bureau de vote à Abobo. Une semaine plus
tard, leurs corps ont été retrouvés à la morgue de Yopougon et présentaient des
blessures par balle dans la cage thoracique. Le 18 décembre, également, des
Jeunes Miliciens pro‐GBAGBO ont assassiné deux étudiants à un barrage routier.
Ils les ont frappés avec des gourdins et des briques après avoir contrôlé leur
identité et les ont tailladés à la machette.
49. Des éléments des FDS ont arrêté des hommes, des femmes et des enfants qui
avaient pris part à la manifestation. Certains ont été amenés à l’école de police de
Cocody. Sur le chemin de l’école et une fois sur place, des policiers ont blessé des
manifestants en leur portant des coups. Ils ont également menacé de tuer les
hommes et de violer les femmes qui avaient participé à la manifestation. L’un des
policiers a déclaré que Laurent et Simone GBAGBO avaient spécifiquement
donné des instructions à cet effet. D’autres manifestants ont été amenés au
CeCOS où ils ont été frappés avec des gourdins, des ceintures et des crosses de
fusils par une dizaine d’officiers qui leur ont également donné des coups de pied.
50. Les forces pro‐GBAGBO ont de surcroît commis des viols et d’autres formes de
violence sexuelle contre des sympathisants présumés de OUATTARA. Le
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16 décembre 2010, des policiers ont violé à l’école de police plusieurs femmes qui
avaient été arrêtées pour avoir participé à la marche vers le siège de la RTI.
[EXPURGÉ]. Ces hommes étaient prêts à violer des femmes, étant donné qu’ils
avaient des préservatifs sur eux. Six femmes, qui avaient été arrêtées le
16 décembre 2010, ont été placées en détention pendant plusieurs jours dans une
maison gardée par des gendarmes. Au cours de leur détention, elles ont été
victimes de viols perpétrés collectivement par un groupe de trois hommes le
18 et le 20 décembre. Le 16 décembre 2010 également, des Jeunes Miliciens ont
violé deux femmes à un barrage routier qu’ils contrôlaient. L’une des victimes
tenait son bébé dans les bras et l’autre était une jeune fille. Ces deux femmes
portaient des T‐shirts affichant leur soutien à OUATTARA. Après le viol de l’une
d’entre elles, ces hommes ont déclaré que la victime devrait appeler OUATTARA
si elle voulait porter plainte. Le 16 décembre également, des membres des milices
de jeunes ont arrêté deux autres femmes au niveau d’un barrage, les ont battues
et ont violé l’une d’entre elles. Des Jeunes Miliciens ont emmené une autre
femme dans un hangar vide, ont jeté son enfant et l’ont violée. Ils ont dit à la
femme qu’ils tueraient tous les Dioulas. Le 17 décembre 2010, huit soldats des
FDS et un milicien sont entrés dans la maison d’une famille d’Abobo où ils ont
violé en réunion une femme et ont tué son mari, militant du RDR – une coalition
de partis politiques soutenant OUATTARA – en la forçant à assister au meurtre.
Après coup, les violeurs ont déclaré à cette femme, qui portait un T‐shirt avec la
photo de OUATTARA, qu’elle devrait aller voir ce dernier pour lui dire qui
l’avait violée. Le 18 décembre, un groupe de soldats et de miliciens ont commis
un viol en réunion contre une jeune fille après l’avoir enlevée de force chez ses
parents à Abidjan et après avoir fouillé la maison sans succès à la recherche
d’armes. Le 19 décembre 2010, six hommes qui ont déclaré être des policiers ont
violé en réunion trois jeunes soeurs qui vivaient à Abobo. Après leur forfait, ils
ont déclaré à leurs victimes qu’elles devraient aller se plaindre à OUATTARA. Ils
ont également enlevé une des victimes qui n’a jamais été retrouvée.
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51. Bien que ces attaques aient été largement dénoncées, rien ne permet d’affirmer
que GBAGBO et son entourage les ont condamnées, ont tenté d’empêcher
qu’elles ne se reproduisent ou ont cherché à enquêter sur ceux qui y avaient pris
part ou à prendre des sanctions disciplinaires à leur encontre. Il en résulte que
GBAGBO cautionnait ces attaques qu’il utilisait pour se maintenir au pouvoir.
2. Deuxième événement : attaque lancée lors d’une manifestation de femmes à
Abobo (3 mars 2011)
52. Les attaques menées par les forces pro‐GBAGBO contre les partisans de
OUATTARA ont redoublé d’intensité début mars 2011 après les appels à
manifester lancés par OUATTARA. Les forces pro‐GBAGBO ont réagi à ces
manifestations en attaquant la population civile à l’arme lourde.
53. GBAGBO a déclaré à ses forces : « Je veux que vous puissiez tenir. Je ne veux pas
perdre Abobo » ; il a publiquement déclaré qu’il « nettoierait » ce quartier et qu’il
le transformerait en cimetière. Dès le 1 mars 2011, il était prévu d’approvisionner
en armes lourdes additionelles et en renfort, notamment de mercenaires, les
forces pro‐GBAGBO présentes au Camp Commando d’Abobo en vue de parvenir
à la « sécurisation totale » d’Abobo.
54. Le 3 mars 2011, les partisans de OUATTARA se sont rassemblés dans le cadre
d’une marche pacifique dont le point de départ était le carrefour Banco Anador à
Abobo, pour demander la démission de GBAGBO et protester contre les atteintes
aux droits de l’homme qui s’étaient produites dans le quartier. La marche était
organisée par les femmes de tous les partis politiques du RHDP, de la société
civile et d’ONG. Plus de 3 000 femmes se sont réunies audit carrefour pour le
départ de la marche. Elles n’étaient pas armées, brandissaient des branches
d’arbres et des pancartes et scandaient des slogans anti‐GBAGBO. Vers
10 heures, des forces pro‐GBAGBO sont arrivées, y compris des agents des FDS,
à bord de véhicules blindés, dont un tank aux couleurs de l’armée, plusieurs
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camions et un pick‐up vert sur lequel était installée une mitrailleuse lourde.
Soudainement, des membres des forces pro‐GBAGBO ont ouvert le feu sur la
foule. Cette brève mais intense fusillade visant des manifestants pacifistes non
armés avait pour objectif de les disperser et de les dissuader de manifester à
nouveau contre GBAGBO. Ils ont tué au moins sept femmes et ont blessé nombre
d’entre elles. Ils agissaient sur ordre de leurs supérieurs immédiats. Par la suite,
aux environs de 14 heures, des hommes armés en treillis sont allés à l’hôpital
d’Abobo sud ; ils cherchaient à savoir si des corps de femmes s’y trouvaient.
3. Troisième événement : bombardement du marché d’Abobo et ses environs
(17 mars 2011)
55. Le 17 mars 2011, des agents des FDS basés au Camp Commando d’Abobo, ont
tiré au mortier sur une zone fortement peuplée d’Abobo, fréquentée
exclusivement par des civils et où se trouvaient entre autres un marché local, une
mosquée et plusieurs résidences privées. Des mortiers étaient installés au Camp
Commando ; plusieurs obus de mortier ont été lancés en direction du marché et
ses environs. Plus de 25 civils ont été tués et plus de 40 blessés. Au reste, durant
la crise post‐electorale, notamment en mars 2011, il y a eu beaucoup d’incidents
de tirs d’obus à Abobo avec des victimes civiles.
4. Quatrième événement : le massacre de Yopougon (12 avril 2011)
56. Le 12 avril 2011, des Jeunes Miliciens, des éléments de la police et des
mercenaires pro‐GBAGBO ont attaqué plusieurs zones de Yopougon dont
Doukouré, faisant plus de 80 morts et des blessés. Toutes les victimes étaient des
civils originaires du nord de la Côte d’Ivoire et de pays voisins d’Afrique de
l’Ouest. Les auteurs du massacre étaient armés de kalachnikovs et de machettes.
Ils ont attaqué des gens dans la rue, en ont arrêté parfois à des barrages routiers
illégaux et ont pénétré par effraction dans des maisons dont ils appréhendaient
les habitants. Les victimes étaient exécutées sommairement ou brûlées vives. Les
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auteurs de ces faits ont également violé 17 femmes au moins et ont exécuté leur
mari dans certains cas. Pendant le massacre, certains auteurs ont fait
explicitement référence à la Politique et entre autres à leur intention de tuer des
Nordistes. Par exemple, des Jeunes Miliciens qui ont commis un viol collectif sur
une femme lui ont dit qu’elle subissait ce viol parce que ses frères avaient
contribué à l’arrestation de GBAGBO. L’étendue de ces attaques, le nombre des
assaillants et le caractère coordonné de celles‐ci démontrent qu’elles ont été
planifiées au sommet de la hiérarchie.
G. FAITS PERMETTANT D’ÉTABLIR LA RESPONSABILITÉ PÉNALE
INDIVIDUELLE DE GBAGBO
57. La responsabilité pénale individuelle de GBAGBO est engagée pour les crimes
qui lui sont imputés en l’espèce, en tant que coauteur indirect au regard de
l’article 25‐3‐a.
58. Dans sa décision relative à la demande de délivrance de mandat d’arrêt contre
GBAGBO présentée par le Procureur en vertu de l’article 58 du Statut, la
Chambre a relevé que la responsabilité présumée de l’intéressé en tant que
coauteur indirect pouvait « être à nouveau examinée en temps voulu avec les
parties et les participants ». Bien que différentes interprétations de l’article
25(3)a) soient possibles, l’Accusation avance une position qui se fonde sur la
jurisprudence antérieure de cette Cour, en particulier sur les conclusions de la
majorité dans le récent jugement Lubanga, ainsi que sur une analyse des sources
invoquées dans cette jurisprudence et telle qu’avancée récemment dans les
affaires Kenya. L’Accusation affirme que les éléments de preuve énumérés ciaprès
permettent d’établir des motifs substantiels de croire que GBAGBO est
responsable, en tant que coauteur indirect, des crimes reprochés en l’espèce selon
l’une ou l’autre interprétation des éléments propres à cette forme de
responsabilité.
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patriotes pour la libération totale de la Côte‐dʹIvoire (UPLTCI), le Mouvement
des jeunes patriotes, la Fédération estudiantine et scolaire de Côte dʹIvoire
(FESCI), le Front national pour la libération totale de la Côte d’Ivoire (FNLTCI),
et le mouvement des jeunes du FPI, le parti de GBAGBO, et le Groupe
Patriotique pour la Paix (GPP) (considérés ensemble pour les fins de ce
document comme les « Jeunes Miliciens »). La Galaxie patriotique et les groupes
individuels qui la composaient – en particulier les Jeunes Patriotes, un groupe
dont les violentes actions politiques étaient notoires – possédaient une structure
hiérarchisée et performante et bénéficiaient d’une représentation dans chaque
quartier d’Abidjan et dans l’ensemble du pays. BLÉ GOUDÉ était le véritable
chef de la Galaxie patriotique, à laquelle étaient affiliés les Jeunes Patriotes.
65. Avant et pendant la crise postélectorale, GBAGBO et son entourage immédiat
ont systématiquement recruté des milliers de volontaires de la Galaxie
patriotique pour contribuer à l’exécution du Plan commun. Nombre de ces
jeunes suivaient des formations militaires dans des centres officiels des FDS et
recevaient des armes issues, entre autres, de leur armurerie. Les Jeunes Miliciens
menaient des opérations conjointement avec les membres des FDS, sous la
direction d’officiers de ces forces. Ils étaient de fait intégrés dans la chaîne de
commandement des FDS. Ils utilisaient également les bases de celles‐ci, dont le
quartier général de l’armée au camp Gallieni, le quartier général de la
gendarmerie au camp Agban et les postes de police.
c) Les mercenaires

SOURCE ICC/CPI.

SUITE DANS DEUXIÈME PARTIE.