Descente punitive des éléments des Frci: Le chef de terre de Yakassé-Mé trouve la mort; Des portés disparus; 4,5 millions de F CFA exigés aux villageois

Publié le vendredi 17 juin 2011 | Soir Info - Des blessés graves, mort du chef de terre, habitations saccagées et pillées. Le dimanche 5 juin 2011, Yakassé-Mé, comme bien de

localités, a avalé, sans aucun digestif, la dose de plombs chauds que lui ont administrée des éléments des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (Frci) de ce secteur. Cette sous-préfecture d'Adzopé (Tronçon Abidjan-Adzopé) a eu sa part de douleur et continue de verser des larmes, en attendant de s'acquitter de la somme de 4,5 millions de F CFA que leur réclament des Frci

Publié le vendredi 17 juin 2011 | Soir Info - Des blessés graves, mort du chef de terre, habitations saccagées et pillées. Le dimanche 5 juin 2011, Yakassé-Mé, comme bien de

localités, a avalé, sans aucun digestif, la dose de plombs chauds que lui ont administrée des éléments des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (Frci) de ce secteur. Cette sous-préfecture d'Adzopé (Tronçon Abidjan-Adzopé) a eu sa part de douleur et continue de verser des larmes, en attendant de s'acquitter de la somme de 4,5 millions de F CFA que leur réclament des Frci

Yakassé-Mé, gros village au relief accidenté, ''héberge'' une population cosmopolite. Autochtones, allochtones et allogènes s'adonnent à de nombreuses activités génératrices de revenus, dans une belle harmonie. '' Cette hospitalité est malgré tout une fierté pour le peuple Attié de Yakassé-Mé qui a accueilli sur ses terres tous ses ''frères'' venus d'ailleurs '', confie Adomon Charles, paysan, ressortissant du village. Ce dimanche 12 juin 2011, en fin d'après- midi, le soleil avait retiré ses rayons de cette localité paisible qu'arrosait une fine pluie. A l'entrée principale de Yakassé-Mé qui côtoie l'axe Abidjan-Adzopé, des vendeurs à la criée et autres commerçants hèlent d'éventuels clients. Ce n'est pas la grande affluence en ce lieu qui grouille, habituellement, de monde. Des cars, des minicars de transport en commun et des taxis-brousse débarquent ou embarquent des passagers, déchargent ou chargent des bagages de toutes sortes...Au centre du villages, se tient un petit marché qui peu à peu se vide de ses clients. Dans quelques cours, des hommes devisent tranquillement, des femmes s'affairent pour le repas du soir, quand des bambins poussent çà et là des cris joyeux ou des pleurs, perçant de temps à autres le silence du village... Pourtant derrière ce décor, Yakassé-Mé supporte atrocement sa douleur et ses peines, se laisse ronger par ses craintes, suite à la descente musclée, nuitamment, des éléments des Forces républicaines sur ce gros village. Des témoins que nous avons rencontrés lors de notre passage dans le village, nous ont, tous, donné la même version des faits.
En effet, le dimanche 5 juin 2011, en fin de matinée, une dame du village, Apie Valérie, se présente au poste des Frci et se plaint du fait qu'une autre femme du village se paye du bon temps avec son homme et qu'elle en a par dessus...les cheveux. Du coup, des soldats ''républicains'' se jettent dans un véhicule pick-up et foncent en trombe dans le village pour régler cette affaire. Cette conduite est jugée dangereuse par des villageois qui le font savoir ouvertement aux éléments des Frci. Ces derniers n'apprécient pas ces remontrances. '' Vous êtes qui vous, pour nous faire ces remarques ?'', lance aux plaignants un des hommes en tenue. D'un côté comme de l'autre, le ton monte, on décoche des flèches d'injures et d'insultes de toutes natures et la bagarre éclate, puis se généralise. Un soldat Frci ouvre le feu. Trois personnes sont grièvement atteintes, à la cuisse, au bras et à la cheville. Le véhicule pick-up des Frci est détruit. Informé, le chef du village, Nanan Assi Dédé Paul, prend langue avec le chef de poste Frci pour que s'arrête la bagarre. Mais la situation semble incontrôlable. La chefferie s'implique davantage, demande pardon, présente des excuses et avant la tombée de la nuit, elle obtient auprès du commandement des Frci de ce secteur le retour immédiat au calme.
Aux environs de 23 heures, au moment où tout semble se calmer, Yakassé-Mé est assailli par un détachement de soldats Frci, aux sons d'un orchestre de tirs à l'arme automatique. C'est donc cette heure qu'ont choisie les soldats ''républicains'' pour laver ''l'affront'' d'il y a quelques heures. Des habitants sont projetés hors de leurs maisons. Hommes, femmes, enfants, de tous âges, sont battus, torturés. De nombreuses habitations sont saccagés, des biens sont emportés. Les veinards trouvent refuge dans la brousse et dans les villages environnants. Le chef du village, qui n'en revient pas, est séquestré et molesté. On lui reproche de cacher des armes chez lui. La porte de sa chambre est fracturée et toute sa cour est passée au … fusil fin. Le chef de terre, N'da Becho Fulgence, dans sa fuite, ne peut supporter la cacophonie des tirs. Il pique une crise cardiaque ( selon les premiers signes cliniques relevés à l'hôpital d'Adzopé) et meurt. Une véritable nuit d'enfer ! Au petit matin du lundi 6 juin, un silence de cimetière recouvre Yakassé-Mé. Quelques jours plus tard, au cours d'un conseil tenu par la chefferie, 45 blessés sont enregistrés, et le constat est fait de nombreux villageois portés disparus. Grâce au concours de l'Opération des nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci), les blessés sont évacués à l'hôpital d'Adzopé. A ce jour, il plane une menace sur les autochtones. Les éléments des Frci leur exigent le paiement de la somme 4,5 millions de F CFA, représentant la valeur, selon eux, de leur véhicule pick-up, détruit par les jeunes du village, lors des affrontements, sous peine d'une autre descente

Alain BOUABRE
Photos: Koné A. Karim

Nanan Assi Dédé Paul ( chef de village): `` Nous avons peur ``

Ce dimanche 12 juin 2011, le chef de Yakassé-Mé, Nanan Assi Dédé Paul, est en pleine réunion avec des membres de la chefferie, quand nous lui signalons, par l'intermédiaire d'un de ses sujets, notre intention de le rencontrer pour échanger sur l'événement malheureux qui a secoué le village. Une quinzaine de minutes plus tard, il accepte de parler, en se faisant entouré de ses secrétaires généraux. A l'évocation des faits, nous avons l'impression de remuer le couteau dans la plaie. Avec beaucoup de peine, Nanan Assi relate les faits qui ne s'écartent nullement de la version des témoins rencontrés. '' Si les Frci m'avait laissé le soin de régler cette affaire de jalousie en renvoyant la plaignante vers moi, on n'en serait pas arrivé là. Pour tout litige, il faut d'abord faire appel à la chefferie, comme cela a toujours été le cas. Quand au niveau de la chefferie nous ne pouvons rien faire, alors nous sommes en droit de demander leur appui. Si nous suivons cette démarche, il n'y aura pas de problème'', indique le chef Assi. Il n'a pas caché le fait que la cohabitation entre la population de Yakassé-Mé et les Frci est difficile d'autant plus que ses sujets se plaignent du comportement de ces soldats républicains.'' Tout cela n'est pas fait pour aller à la réconciliation '', fait-il remarquer. Et de se demander si le chef de l'État, Alassane Ouattara, est informé de toute cette situation. '' Nous avons peur et nous ne savons vraiment pas de quoi demain sera fait '', craint-il. Saisi d'une profonde tristesse, Nanan Assi Dédé se lève et nous montre les portes de sa maison fracturées. '' Je n'ai jamais attrapé une arme. Je n'en ai jamais caché chez moi '', explique-t-il, avant de déplorer la mort du chef de terre. '' Beaucoup de vieillards, de nos parents sont jusqu'à présent introuvables '', laisse-t-il entendre. Mais il a tenu particulièrement à remercier le sous-préfet de Yakassé-Mé. '' C'est grâce à lui que beaucoup des nôtres sont encore vivants'', précise-t-il. Pour ce qui est des 4,5 millions de F CFA réclamés par les Frci à propos de la destruction de leur véhicule pick-up, '' chaque famille apporte ce qu'il peut afin que nous puissions faire face à cela '', nous apprend-il, l'air résigné.

A. BOUABRE