Depuis son exil ghanéen Emile Guiriéoulou : “Ce que Tagro m’a dit avant sa mort ”

Publié le samedi 12 novembre 2011 | Notre Voie - Dans la deuxième et dernière partie de l’interview qu’il nous a accordée, Emile Guiriéoulou, ancien ministre de l’Intérieur en exil au Ghana se prononce sur le

Emile Guiriéoulou.

Publié le samedi 12 novembre 2011 | Notre Voie - Dans la deuxième et dernière partie de l’interview qu’il nous a accordée, Emile Guiriéoulou, ancien ministre de l’Intérieur en exil au Ghana se prononce sur le

départ de Mamadou Koulibaly du Fpi, évoque la mort de Désiré Tagro et les atrocités perpétrées par l’armée du Chef de l’Etat Alassane Ouattara à l’ouest.
N.V : Que pensez-vous de la démission de Mamadou Koulibaly du Fpi et la création de son parti ?
E.G : Je trouve que c’est dommage parce que je pense que Mamadou Koulibaly avait sa place au FPI et aurait pu, au sein de ce parti, poursuivre une carrière politique fructueuse. Mais c’est lui seul qui sait où il va et par conséquent le chemin le mieux indiqué pour y arriver.

N.V : Et comment jugez-vous son attitude de ne pas convoquer les sessions de l’assemblée nationale ?
E.G : C’est une démission face à ses responsabilités en tant que président de l’assemblée nationale.
La constitution en son article 62 stipule : «chaque année, l’assemblée nationale se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires. La première session s’ouvre le dernier mercredi du mois d’avril. Elle ne peut excéder trois mois. La seconde session commence le premier mercredi du mois d’octobre et prend fin le troisième vendredi du mois de décembre ». Et comme c’est le Président de l’assemblée nationale qui convoque les sessions, il s’imposait au président Koulibaly de le faire.
Il évoque le fait que la conférence des présidents ne s’est pas réunie. Je pense que c’est un argument qui ne tient pas. D’abord pourquoi n’a-t-il pas convoqué cette conférence dont il est le président ? Donc s’il n’y a pas eu réunion de la conférence des présidents, la faute en incombe à celui qui avait la charge de la convoquer c'est-à-dire le président Koulibaly.
Ensuite, le règlement de l’assemblée n’est pas au-dessus de la constitution. Dès lors que celle-ci a fixé la date d’ouverture des sessions, il n’y a plus lieu à interprétation. La conférence des présidents n’a pas pouvoir de modifier des dates qui sont constitutionnelles. Tout ce qu’elle a à faire c’est de proposer l’ordre du jour de la session.
Donc conférence des présidents ou pas l’Assemblée nationale doit se réunir « de plein droit » et c’est au président de l’institution d’y veiller en convoquant la session avec comme seul point d’ordre du jour l’ouverture de la session.

N.V : L’ouest, votre région d’origine a payé un lourd tribut à la guerre post-électorale.
E.G : Le lourd tribut que paye l’ouest ne date pas de la période post-électorale. C’est depuis 2002 que notre région souffre. De cette date à aujourd’hui nous avons enregistré entre 8000 et 10000 morts sans compter les viols, les destructions et pillages des biens, les profanations de nos lieux et objets sacrés. Des villages entiers ont été incendiés comme celui de Niambly près de Duékoué. Le quartier Diaye Bernard aussi appelé quartier guéré de Duékoué n’existe plus. Des personnes portent à vie les séquelles de la barbarie méchamment déversée sur la région.
Ainsi à Toulépleu, nous avons Lydie, la jeune femme à qui en 2002 les rebelles ont sadiquement proposé soit de tuer son bébé soit qu’elle donne son bras à couper. Elle a offert son bras pour sauver son fils qui a aujourd’hui 9 ans. Il y a aussi la jeune Prisca, violée par 13 rebelles et handicapée à vie.

N.V : Comment expliquez-vous cette tragédie ?
E.G : Comment expliquer cela ? Nous-mêmes nous nous posons la question. Parce que le peuple Wê ne peut être pris à défaut sur son sens de l’hospitalité et du partage pour avoir accueilli à bras ouverts des frères venus des autre régions de la Côte d’Ivoire ainsi que des pays voisins et offert à ceux-ci ses terres sans calcul ni réserve. Alors pourquoi tant d’animosité contre un peuple si accueillant ? En effet, aucun des 6 départements du pays Wê n’a été épargné.
-Dans le département de Kouibly, nous nous souvenons du massacre d’une cinquantaine de paysans dans le village de Souébli-Mahébli ( Soumahé) en 2002.
-Pour Bangolo, l’assassinat en 2003 sur l’axe Bangolo-Duékoué de plus de 70 personnes froidement abattues alors qu’elles fuyaient les atrocités commises par les rebelles dans leurs villages sans oublier l’extermination systématique des Wê dans les sous-préfectures de Zou et Kahin.
-Duékoué qui a connu le summum de l’inhumanité des rebelles avec le drame de Guitrozon et Petit-Duékoué en 2005 et plus récemment les 1000 personnes tuées par les FRCI fin mars, début avril 2011. Au cours de cette période, ces forces pro-Ouattara qui ont opéré à Duékoué avaient manifestement une volonté d’extermination systématique des Wê, un vrai génocide, comme l’attestent les nombreux témoignages recueillis.
-Guiglo n’a pas échappé à la barbarie avec notamment ces 20 personnes tuées nuitamment en 2007 dans leur campement dans le village de Zouan. A Kaadé, Guinkin, Bédi-Goazon, les populations pleurent encore ce chef de village décapité dont la tête a été emportée par ses meurtriers, ou ce bébé « râpée » sur une broyeuse de manioc ainsi que les nombreux morts et disparus.
-Bloléquin : Zéaglo, Béoué, Pohan, Doké, Blédi-Diéya, etc. chaque village du département a son lot de martyrs de 2002 et de 2011.
-Toulépleu, avec ses centaines de morts en 2002 et près de 150 personnes exécutées en 2011, a décidé de ne jamais oublier en érigeant des monuments à ses morts à Sahibli, Guiéllé et Séizaibli.
Punit-on ces populations pour leur engagement politique en faveur du Président Laurent Gbagbo ? Ce serait alors grave pour la démocratie et même l’avenir de la Cote d’Ivoire en tant que nation.
Peut-être aussi que les gens ne pardonnent pas aux Wê d’avoir refusé d’accepter la rébellion en 2002 dans leur région mais surtout de s’être organisés pour non seulement résister mais repousser les rebelles envahisseurs afin de mettre fin au génocide des leurs.

N.V : Etes-vous sûr qu’il n’y a pas d’autres raisons ?
E.G : Nous continuons de nous interroger et le temps nous permettra certainement de trouver une réponse. Mais des pistes commencent à se des-siner.
En effet, quand un ministre de la République, en l’occurrence le ministre de la défense Koffi Koffi Paul, répondant aux populations de Tai meurtries par les tueries qui venaient d’y être opérées et qui se sont confiées à lui sur les exactions et méfaits des FRCI leur dit : « ceux qui ne veulent pas voir les FRCI n’ont qu’à changer de pays et aller vivre ailleurs » que doit-on en penser ? Surtout quand ces propos menaçants et méchants rappellent étrangement ceux tenus il y a une vingtaine d’années par Léon Konan Koffi, lui aussi ministre de la défense à l’époque, toujours à Taï quand cette localité avait été attaquée.
Alors nous nous interrogeons : veut-on par ces massacres massifs, répétés et ciblés contraindre les populations Wê à « changer de pays et aller vivre ailleurs » en abandonnant leurs terres afin que d’autres se les approprient ?
Le journal français Le Nouvel Observateur dans sa livraison du 12 mai 2011 sous la plume du journaliste Jean Paul Mari qui a fait un reportage sur Duékoué parle « d’une épuration ethnique » et nous en donne des détails éloquents du genre « laissez nous faire. On va en finir avec ces agoutis » ou bien « on va vous tuer tous, jusqu’au dernier » ou encore « nous prendrons vos femmes, vos terres, vos champs et vous mangerez de la boue ».
Mais Dieu est grand, cela ne se réalisera jamais car un adage Wê dit que « les poissons ne finissent jamais dans la rivière ».
Je salue donc tous ces parents, ceux restés au pays comme ceux réfugiés au Liberia, leur adresse ma compassion, les assure de mon soutien et de ma solidarité dans ces moments difficiles qu’ils traversent. Malgré l’éloignement, je suis à leurs côtés et leur demande de continuer de demeurer dignes malgré la douleur qui les étreint et les difficultés du moment, de ne pas céder au découragement afin d’honorer la mémoire de nos nombreux martyrs. Mais également d’être sans haine ni rancœur.

N.V : Que dites-vous quand certains partisans de M. Ouattara originaires de l’ouest accusent les cadres LMP comme vous d’être responsables de ce massacre ?
E.G : De la pitié pour ces personnes. Les faits sont si récents qu’on ne peut les travestir aussi simplement en espérant pouvoir en tirer des gains politiques car les nombreux témoins de ces faits horribles sont encore vivants et ne sont pas amnésiques.
C’est l’histoire qui nous jugera tous un jour dans la région. Je n’ai donc pas d’autres commentaires pour le moment.

N.V : Le gouvernement Ouattara jure que Gbagbo sera transféré à la Cpi. Quel commentaire ?
E.G : Sur ce dossier, il y a tellement d’incohérences.
Premièrement, monsieur Ouattara dit sans cesse que Gbagbo va aller à la CPI. Mais est-ce lui qui en décide ? Lui, il ne peut que dire qu’il va porter plainte mais ce que la CPI va décider de faire ne dépend pas de lui. Ses déclarations voudraient-elles signifier qu’il connait d’avance la réponse de la CPI avant même l’instruction du dossier ? Y aurait-il alors une connivence ou un agenda caché entre la CPI et Ouattara ?
Deuxièmement, si, en Côte d’Ivoire, le pouvoir judiciaire est indépendant pourquoi est-ce M. Alassane Ouattara qui décide des affaires dont elle peut connaitre ou pas? Et qui fait qu’aujourd’hui, notre justice, dessaisie par lui, est déclarée incompétente pour juger des affaires relatives à des crimes de sang.
Troisièmement, la Côte d’Ivoire n’a pas ratifié le statut de Rome instituant la CPI et elle ne peut pas le faire dans l’immédiat en raison d’un arrêt du Conseil Constitutionnel qui stipule que certaines dispositions de ce statut sont contraires à notre constitution conformément à l’article 86. En conséquence, la ratification ne sera possible qu’après révision de la loi fondamentale, laquelle révision ne peut se faire que par voie référendaire étant donné que les dispositions constitutionnelles concernées sont relatives à l’exercice du mandat présidentiel (voir l’article 126 de la constitution).
Or, en l’absence de ratification du statut de Rome qui la crée, la CPI n’a pas compétence pour juger des citoyens ivoiriens.
La reconnaissance par le gouvernement ivoirien de la compétence de la Cpi ne peut tenir lieu de ratification. Elle l’autorise tout juste à enquêter. En effet, si le Conseil Constitutionnel a estimé que la ratification en l’état actuel de notre législation n’est pas constitutionnellement possible, ce n’est pas une déclaration de reconnaissance qui le serait. Or la ratification n’est autorisée que par la représentation nationale qu’est le parlement. L’exigence de ratification en plus d’être constitutionnelle est aussi une mesure de bonne gouvernance en raison du principe de la séparation des pouvoirs sinon la signature d’une convention internationale ou d’un traité par l’exécutif aurait pu suffire pour engager un Etat.
Enfin, au-delà de tout ce qui précède, qui peut dire qu’il a vu Gbagbo Laurent tuer quelqu’un en Côte d’Ivoire pour se permettre de l’accuser de crimes de sang ?
Maintenant, si on dit que des personnes placées sous son autorité en tant Chef de l’Etat ont commis des crimes de sang et qu’il en porte de ce fait la responsabilité, alors monsieur Alassane Ouattara devra aussi répondre des crimes commis par les FRCI depuis le 17 mars 2011 au moins, notamment les 1000 morts de Duékoué.
Parce que leur responsabilité a été clairement établie par des organisations internationales qu’on ne peut soupçonner d’être pro-Gbagbo ni même de sympathie pour celui ci.
Que Soro Guillaume soit, dans ce cas, aussi poursuivi pour les crimes de la rébellion des Forces Nouvelles depuis le 19 septembre 2002. Des responsabilités qu’il revendique même dans ses récentes déclarations.

N.V : Votre camarade Désiré Tagro tué lors de l’arrestation du président Gbagbo a été inhumé le samedi dernier. Quel souvenir gardez-vous de lui ?
E.G : Désiré Tagro, paix à son âme, est une grande perte non seulement pour le FPI mais également pour la Côte d’Ivoire toute entière. C’est un haut cadre compétent, un homme de qualité qui vient de nous quitter dans la fleur de l’âge. Je constate, malheureusement sept mois après, que nous n’avons aucune information relative à l’enquête supposée ouverte sur son assassinat. Le procureur semble peu pressé de dénouer ce dossier.
Désiré Tagro était pour moi plus qu’un camarade, c’était un frère et un ami. Bien que nous nous connaissions déjà en tant que militants au sein du FPI, c’est à partir de 2007 que nos relations se sont véritablement renforcées quand, nommé ministre de l’intérieur, il a bien voulu m’associer aux réflexions et travaux relatifs à la décentralisation en ma qualité de président de la commission des affaires générales et institutionnelles de l’assemblée nationale.
C’est de cette collaboration qu’est née notre amitié. Entre lui et moi, le courant passait très bien et il m’a dit un jour, en novembre 2009, qu’il avait beaucoup de plaisir à travailler avec moi.
Je garde de lui l’image d’un homme engagé, intelligent, à l’esprit vif. C’était aussi un homme dont le franc-parler dérangeait beaucoup de gens. Mais, malgré les apparences, c’était un homme généreux qui n’hésitait pas à aider son prochain.
Je retiens également qu’il était très attaché au président Laurent Gbagbo et loyal envers lui. Je me souviens, comme si c’était d’hier, de la dernière fois où je l’ai vu. C’était le 4 avril 2011 à la résidence du Chef de l’Etat à Cocody. Ce jour-là, il nous a dit, de façon prémonitoire, en riant : « je viens de dire au président que ma proximité avec lui, à partir de maintenant, n’est plus seulement idéologique et politique mais physique et géographique; c'est-à-dire que je ne le quitterai plus d’un pas. S’il est quelque part, je suis à côté et si quelque chose doit lui arriver ça m’arrivera d’abord ».
C’est vraiment un grand homme que nous pleurons et ma peine est d’autant plus grande que, comme beaucoup d’autres de ses amis, je n’ai pas pu être à ses obsèques. Je présente mes condoléances à son épouse, ses enfants, à mon ami Zokou Gogoua René et tous les parents du défunt. Que Dieu reçoive son âme dans la paix.

N.V : Vous avez été le dernier ministre de l’Intérieur de Laurent Gbagbo. Que pensez-vous de l’intégration à la police de près de 300 ex-rebelles à la police sans concours ?
E.G : Si quelqu’un ignore ce que signifie l’injustice, en voici un exemple concret. Pendant qu’on refuse l’admission de ceux qui ont passé régulièrement leur concours, on fait entrer à la police des personnes sans concours mais uniquement sur la base de leur appartenance à la rébellion. Ceux à qui on a barré de façon injuste la route de l’école de police et dont la liste est disponible sont de toutes les régions de la Côte d’Ivoire et assurément de tous les bords politiques. Leur seul tort, c’est que c’est moi qui est signé le communiqué proclamant les résultats les déclarant admis. Est-ce leur faute ? Auraient-ils dû refuser leur admission ou refuser de se présenter quand ils ont été convoqués pour les épreuves orales ?
Pourquoi eux qui n’ont fait que passer un concours officiel qui date d’ailleurs de 2009 doivent être pénalisés alors que des hauts responsables qui ont collaboré activement avec le ministre de l’intérieur que j’étais sont encore en poste et que certains ont même été promus ?

N.V : Quatre partis membres du Cnrd sont candidats aux législatives prévues pour le 11 décembre. cet acte n’isole-t-il pas la position du Fpi ?
E.G : Le CNRD, n’est pas un parti politique ni un regroupement uniquement de partis politiques. Il y a également en son sein des organisations de la société civile et des mouvements de soutien au président Gbagbo. Et selon sa charte, chaque organisation garde son autonomie. C’est certainement au nom de cette autonomie que ces partis politiques ont décidé d’aller aux législatives pour, disent-ils, prendre au mot le pouvoir qui veut un signal du CNRD. Cela n’isole pas le FPI au sein du CNRD.

N.V : Quel sens donnez-vous à la visite annoncée de M. Ouattara à l’ouest dont vous êtes aussi un des représentants à l’Assemblée nationale ?
E.G : Comme je ne suis pas dans l’organisation de cette visite, je ne saurais lui donner un sens. Par contre je peux dire que les populations espèrent qu’au cours cette visite monsieur Ouattara pourra les écouter et apporter des réponses aux préoccupations qui sont les leurs et qui sont entre autres :
Depuis 2002, des gens qui se réclament de lui les pourchassent tous les jours, les tuent, les exproprient de leurs terres et plantations. Que compte-t-il faire pour mettre fin à cette situation et réparer les préjudices subis ?
Des personnes identifiées comme étant les auteurs de ces crimes, notamment ceux qui ont massacré 1000 des leurs à Duékoué en mars-avril 2011 seront-elles arrêtées et traduites devant les tribunaux pour répondre de leurs actes ?
Quel traitement compte-t-il faire du cas Amadé Ourémi, un ressortissant du Burkina Faso, donc non ivoirien, accueilli généreusement dans la région mais qui depuis 2003 a levé une armée de 400 à 600 combattants et qui sévit dans la forêt classée du Mont Péko et les villages environnants de la sous-préfecture de Bagohouo qui a participé aux massacres des populations au quartier Carrefour de Duékoué, qui a assassiné quatre éléments des FDS dont un officier en décembre 2010 dans la sous-préfecture de Bagohouo et qui est toujours en liberté.
A quand le retrait de la région des chasseurs traditionnels venus du nord que sont les dozos ?

Interview réalisée par
Augustin Kouyo