Décès de Abou Drahamane Sangaré : Le récit d’un samedi noir

Par IvoireBusiness - Décès de Abou Drahamane Sangaré. Le récit d’un samedi noir.

Le Président du FPI Sangaré Aboudramane, avec Yacouba Gbané directeur du quotidien Le Temps, lors d'une visite au siège du journal à Abidjan. Image d'archives.

Samedi 3 novembre 2018. Il est 9 heures. Le soleil distille ses premiers rayons. Assis seul dans le salon, je me prépare à aller la conférence de presse que doit animer Koua Justin, président de la jeunesse Eds, secrétaire général adjoint et porte-parole du Fpi, au jardin municipal de Marcory. Le volet communication de cette cérémonie était à notre charge.

Chose bizarre je commence à entonner un cantique chrétien : « Il est écrit pour l’éternité, personne ne pourra l’effacer, il est écrit pour l’éternité ». Et nous enchaînons avec l’hymne des supporters du club mythique de football anglais Liverpool. Ils la chantent pendant les rencontres de cette équipe. « «You will never wallk alone». C’est-à-dire: «Vous ne marcherez jamais seuls».

Et notre épouse me dire : «Aujourd’hui, tu es content. Et tu chantes». Et nous lui répondit en ces termes : « Il y a des jours comme ça ». Quelques instants, après nous recevons deux messages Sms.

Lesquels messages disent : « Bonjour cher Dp du groupe Cyclone. On prend que le président Abou Drahamane Sangaré serait décédé ce samedi 3 novembre matin. Pouvez-vous confirmer ou infirmer cette information ?». Nous sommes perplexes et dubitatives. Et nous essayons de rentrer dans notre réseau pour avoir la véracité de l’information. Tous nos interlocuteurs mettent sur le compte des rumeurs. Tout un coup nous commençons à avoir froid. Et nos membres tremblent.

Et notre épouse ayant constaté un changement de comportement, nous demande : «Qu’est-ce qui se passe ?». La réponse : «Rien». Pas convaincue, elle réplique: «Ce n’est pas toi qui chantait tout suite ? Ou bien tu caches quelques choses ? Il faut me dire». Notre réponse : «Ça va aller». Dans les pensées et réflexions, notre téléphone sonne. Au bout de fil, un fidèle lecteur du journal Le Temps: «Monsieur Gbané bonjour, il y a des rumeurs qui circulent qui font état du décès du président Abou Drahamane Sangaré ».

Notre réaction est la suivante : « De quel Sangaré parlez-vous ? Non ce n’est pas vrai. Je viens d’échanger avec quelques membres du Fpi. Ils m’ont simplement dit que ce sont des rumeurs. Ce sont des histoires. Mais nous allons nous informer encore. On ne sait jamais». C’est ainsi que nous tentons de joindre en vain Koua Justin et Dahi Nestor. Fait curieux, ces deux personnalités ne ferment jamais leur portable. Nous commençons à prendre au sérieux cette information.

Jardin municipal de Marcory, les militants pas informés

9 h 30 mn, alors nous décidons de nous rendre sur les lieux de la conférence de presse. C’est-à-dire au jardin municipal de Marcory. A peine qu'avons-nous mis les pieds au sein de cette établissement que notre téléphone sonne. Au bout du, fil Koua Justin : «Conseiller, il faut annuler la conférence de presse. Il y a urgence. Il faut dire aux militants que nous avons réunion d’urgence.

A cet effet, la conférence est annulée. Il faut présenter toutes nos excuses aux militants et aux journalistes. Il faut me trouver au lieu habituel». Il ne nous laisse pas le temps de lui demander ce qu’il en est de l’information du décès du président Abou Drahamane Sangaré. Il accroche. Mais dans sa voix, nous avons toute suite compris. Le décès du gardien du Temple est réel.

Mais dans la cour, sur les visages des militants et sympathisants venus assister à la conférence de presse, aucun signe de détresse, de tristesse et de désolation. C’est la joie. C’est les salutations militantes et amicales. Ce sont les retrouvailles pour les uns et les autres. Des jeunes habillés dans des tee-shirts à l’effigie du Président Laurent Gbagbo. Des jeunes et femmes, en provenance des quatre coins d’Abidjan, commencent à affluer. Ils arrivent par groupe.

La salle est déjà pleine. Le Dj distille les chants patriotiques. Une fois les consignes reçues, nous appelons autour de nous Francis Beugré, fédéral Jfpi Abidjan-sud, Claude Dassé, Secrétaire national chargés des victimes de guerre, des exilés et des réfugiés, Souleymane Timité dit Lago, responsable Abidjan-sud. Sans leur donner l’information du décès du président Abou Drahamane Sangaré, nous chargeons Beugré d’annoncer aux militants et sympathisants dans la salle l’annulation de la conférence.

Raison: une réunion d’urgence vient d’être convoquée. Et nous, nous sommes chargés d’informés les journalistes. C’est ce qui est fait. La salle se vide de son beau monde. Un militant, ayant reçu un message informe les militants du décès. Nous tentons toute suite de recadrer les choses. «Ce sont des rumeurs. La conférence est annulée.

Parce qu’il y a une réunion d’urgence ». Mais les supputations vont bon train. Certains militants pensent que ce report est du à des informations sur une probable arrestation des leaders de la Jeunesse Eds. «On ne se fâche pas les gars. Ils ont des informations que nous n’avons pas. La sécurité de nos leaders est très importante. Ce n’est que partie remise», font-ils remarquer. D’autres militants pensent qu’on leur cache quelques choses. Ils viennent vers nous. «Frère journaliste, dites-nous la vérité.

Si le président Sangaré est décédé dites-nous quelques choses», implorent-ils. Notre réponse: «Il ne s’agit pas de la mort de quelqu’un. Il y a une réunion d’urgence à la résidence du Président Laurent Gbagbo. Restez à l’écoute. Vous serez informé de l’issue de cette réunion ». Une dame s’écroule et commence à pleurer à chaudes larmes. Nous lui demandons de d’essuyer ses larmes. Car ce sont des rumeurs. C’est ainsi elle se lève et essuie ses larmes. Et de lancer : « Merci mon fils de me soulager. Je ne pleure plus».

Silence de mort au lieu habituel

10 heures, après ce moment, nous nous engouffrons dans le véhicule de commandement de Pascal Houédji, membre du bureau national de la Jfpi et Secrétaire national adjoint chargé à l’organisation. Destination, le lieu habituel. Et nous sommes en compagnie de Claude Dassé Désiré, Secrétaire national chargés des victimes de guerre, des exilés et des réfugiés et de Moussa Doumbia, Secrétaire national chargé des fédérations des grands lacs.

Dans la voiture, tout le monde veut avoir la confirmation ou l’infirmation du décès du président Abou Drahamane Sangaré par nous. Nous leur disons que ce sont des rumeurs. « Quelles rumeurs ? Gbané dit nous la vérité. Il n’y a rien a cacher », lance Moussa Doumbia. Nous maintenons notre propos : «Ce sont des rumeurs ». Entre temps, leurs portables sonnent. Ils ne savent quoi dire à leurs interlocuteurs.

Un seul mot sort de leurs bouches : « Ce sont des rumeurs ». Nous sommes assaillis par les coups de fil des confrères nationaux et internationaux. Et nous leur tenons le même discours : «Ce sont des rumeurs». Le trajet pour arriver au lieu habituel devient long. C’est un silence de cimetière dans la voiture. On arrive au lieu habituel. C’est un calme plat.

Le gardien nous informe que Koua Justin est sorti avec des amis. Il ne lui pas dit où il allait. Dans la cour des femmes sont à la cuisine. Une dame et un jeune homme assis sur la terrasse en train de suivre une vidéo de manifestation du village. Ici, nous tentons de joindre Koua Justin. Son portable sonne. Mais il ne répond pas. Quelques heures plus tard, il nous rappelle. Nous nous déplaçons pour éviter le regard des autres déjà inquiets. Il nous dit : « Conseiller, la pilule est difficile à avaler, le président Sangaré n’est plus de ce monde. Soyons forts ».

Il raccroche avec quelques sanglots. A peine raccroche-t-il que notre téléphone sonne. Un homme proche de Sangaré, exilé au bout du fil : « Petit Gbané, dit moi que ce n’est pas vrai. Dit-moi quelques choses». Nous répondons pour dire: «Nous ne pouvons pas vous dire que ce n’est vrai. L’information est vraie». Il se met à pleurer. Nous sommes contaminés par ces pleurs. Nous ne pouvons retenir également nos larmes. Et nous revenons sur nos pas pour donner la triste nouvelle aux autres compagnons du jour.

«Chers amis, ce n’est pas une rumeur. C’est la réalité. Le président Abou Drahamane Sangaré est décédé ce matin à la clinique Farah. Koua Justin vient de nous donner l’information». Ce sont des cris. Des sanglots. Le personnel du lieu habituel vient vers nous pour savoir ce qui se passe. Nous leur donnons la mauvaise nouvelle. Ils sont en transe. Personne ne peut calmer l’autre. Et une vieille dame vient vers moi et dit : «Mon fils est-ce que tu n’étais pas trompé. Est-ce que tu as pris compris le message ? ».

A nous lui disons : « Maman, nous ne nous sommes pas trompé. C’est la vérité. Le président Abou Drahamane Sangaré est décédé ». La vieille se met à crier et à pleurer. La jeune fille qui est à la cuisine cours vers nous. « Vous dites quoi même ? ». Le gardien à la porte accourt également. Il interroge. «On dit quoi ?». Personne ne fait attention à lui. «La mort. Oui la mort...Il a pris le combattant. Et non le combat. Essuyons nos larmes et avançons. Le Président Laurent Gbagbo nous a tous engagé à aller jusqu'au bout. Alors en avant ». Tel est le message Sms que je reçois d’un ami mien qui est dans un cabinet ministériel du gouvernement.

A la résidence de Gbagbo, ce n’est pas l’ambiance des grands jours

11h 45mn, Jean-Luc Ouallo, membre de la Jfpi nous demande de le trouver à la résidence du Président Laurent Gbagbo sise à la Riviera Golf. On a du mal à nous lever. Les pas sont lourds. L’émotion est toujours forte.

Que faire ? On se décide à partir à la résidence du Président Laurent Gbagbo. En chemin tout le monde pleure. Sauf le chauffeur qui donne un semblant de sérénité. De ses yeux, des larmes coulent. Mais, il a notre vie entre ses mains. Il essaye de cacher sa tristesse. Il est étreint par la douleur. Les uns et les autres reçoivent des coups de fil. «Le Président Laurent Gbagbo nous a laissé Abou Drahamane Sangaré. Mais celui-ci vient de nous abandonner sans nous dire au revoir. Nous sommes devenus orphelins».

Claude Désiré Dassé répond en langue bété à un interlocuteur qui l’appelle depuis le village : «Sangaré ê Khou». C’est-à-dire: «Sangaré est décédé». Une fois à la résidence du Président Laurent Gbagbo, c’est la tristesse, l’amertume, la désolation. L’atmosphère est lourde. C’est une atmosphère de cimetière. Sur les visages, ce n’est pas la gaieté. Des jeunes et femmes et personnalités commencent à affluer sur les lieux. Tous ont la gorge nouée. Ils sont sans voix. Difficile pour eux de s’exprimer. «Les mots nous manquent.

Les grandes douleurs sont muettes», lancent-ils en sanglots. Joël Kéké, Ouallo Jean-Luc, Dorothée Baléga, tous de la Jfpi, sont inconsolables. Certains venus pour des réunions de cabinet apprennent la triste nouvelle. Ils ne s’en reviennent pas. Et de poser des questions : «Etait-il malade ? Et depuis quand ? De quoi souffrait-il ? Pourquoi est-il parti se faire soigner à la clinique Farah». On apprend qu’un secrétariat général extraordinaire du Fpi est convoqué. La mise en place commence. Des bâches sont dressées pour la circonstance dans l’autre cour des Gbagbo. Des chaises également.

Approché, Maurice-Lohourignon, 12ème secrétaire général adjoint chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire du Fpi, livre les derniers moments passés avec le Président Sangaré, le vendredi 2 novembre 2018, à sa résidence située à la Riviera III. «Il a subi une opération qui a été une réussite. Il est rentré à la maison. Nous lui avons rendu visite. On a causé. Il a même payé devant moi les filles qui travaillent chez lui. Nous avons rigolé. Et nous nous sommes séparés. Et le matin j’apprends sa mort », s’explique-t-il difficilement cette disparition. Ce ne sont pas les personnalités interrogées qui diront le contraire: «La mort de Sangaré Abou Drahamane nous a surpris et choqué. Il a marqué l’histoire politique de la Côte d’Ivoire. Il est le symbole achevé de loyauté et de fidélité. Ses amis politiques comme ses opposants sont d’accord sur ce fait.

Raison pour laquelle, nous l’appelons au sein du parti « le gardien du temple ». Il était le frère jumeau du Président Laurent Gbagbo. Quand on le voit, c’est Gbagbo on voit ». Une dame, informée, a du mal à s’asseoir. Elle se jette par terre et crie : « Seigneur, qu’avons-nous fait pour mériter un tel sort ? Pourquoi est-ce nous qui devons payer ce lourd tribut ? ». Madame Claudine Ehivet Ouattara, sœur de madame Simone Ehivet Gbagbo vient vers elle. Et dit : «C’est la volonté de Dieu. Il est en train d’éprouver notre degré de foi».

Une dame de renchérir : «Dieu ne demande pas l’avis de quelqu’un. Il prend quand il veut. Et où il veut. C’est son jour qui est arrivé ». Et des cadres de se demander : « Donc, le président Sangaré ne verra pas la fin du film et l’arrivée de son frère jumeau le Président Laurent Gbagbo !? Nous sommes si proches du bout du tunnel ». Mais restent dignes et ajoutent : « Merci président Sangaré. Tu as mené le bon combat. Et tu nous as enseigné la dignité, la fidélité, la sincérité, la loyauté et l'engagement politique. Merci pour tout. Aujourd'hui tu nous quittes pour le voyage de non retour. Va et repose en paix, président Abou Drahamane Sangaré. Dieu t'accorde une place auprès de lui.

Adieu le gardien du temple. Nous allons encore et encore pleurer notre gardien du temple. Nous continuerons de pleurer celui à qui le président Gbagbo a confié le flambeau de la lutte. Nous pleurons un combattant aguerri. Nous pleurons une loyauté faite chair. Nous pleurons un modèle de fidélité». Pendant ce temps, Simone Ehivet Gbagbo, Koua Justin et d’autres cadres du Fpi sont à la clinique Farah pour se rendre à l’évidence. Et on nous informe que le corps est transféré à Ivosep où des personnalités et non des moindres sont déjà.

Au domicile de Sangaré, les militants refusent la sécurité des policiers

12h20 mn, Après la résidence du Président Laurent Gbagbo, on met cap sur la résidence de Abou Drahamane Sangaré située à la Riviera III. Ici, on entend les cris, les pleurs dès qu’on s'approche. Quelques voitures sont stationnées. Le portail d’habitude fermé est grandement ouvert. C’est le défilé des membres de la famille, des militants, sympathisants, connaissances et des journalistes.

Le commissaire du commissariat du 18ème arrondissement réquisitionne des agents de l’ordre pour sécuriser la résidence. Mais les agents ne sont pas les bienvenus. Les jeunes et des femmes en colère leur somment de quitter les lieux. «Quand il était vivant, vous n’avez pas assuré sa sécurité et c’est son corps vous allez venir sécuriser ? Nous ne voulons pas de vous ici», lancent-ils. Un agent qui tente de s’expliquer est vite rabroué : « Allez-y dire à vos patrons qu’on n’a pas besoin de votre sécurité. Nous allons nous-mêmes assurer la sécurité. Laissez-nous pleurer notre président.

Nous sommes en deuil. Ne venez pas nous énerver. On n’a pas besoin de vous». Les agents, ayant compris qu’ils ne sont pas les bienvenus, retournent sur les pas. Ici également, les gens sont inconsolables. Les militants et sympathisants acceptent difficilement le décès du gardien du temple. «Dieu nous a fait un coup. Nous ne croyons pas. Qu’allons-nous devenir ?», lancent certains, avec amertume. Mais les plus croyants disent : «Tout ce que Dieu fait est bon. Il a son plan que nous ne maîtrisons pas. Jésus a porté sa croix. Nous sommes en train de porter notre croix. Et c’est la traversée du désert pour nous. Nous devons l’accepter ainsi. Le refuser c’est que nous ne sommes pas des croyants.».

Et d’autres de s’inquiéter de l’état d’esprit du Président Laurent Gbagbo à La Haye : « Comment le Président Gbagbo va-t-il apprendre la mort de son frère jumeau ? Dans quel état d’esprit sera-t-il ». Dans la foulée, certains ajoutent: «Le Président Gbagbo ne va plus voir son frère jumeau. Il n’a pas pu venir à l’enterrement de sa maman . Ce qui veut dire qu’ils ne laisseront pas venir pour celui de son frère jumeau. Quelle cruauté .La douleur est insoutenable.

Abou Drahamane Sangaré est parti. Il ne reviendra plus jamais. Mais il nous revient de fructifier son héritage politique et d’agir en tout lieu et en toutes circonstances pour le rayonnement du Fpi qu’il a tant chéri au point de lui dédier sa vie». Ici, tous reconnaissent la fidélité et la loyauté de l’homme. «Ce Combattant engagé et passionné de la Démocratie, de la Justice et de la Liberté. Celui que toute la Côte d'Ivoire pleure la mort. Tous, nous l'appelons "Le Gardien du Temple". Nous saluons la mémoire de ce Grand Homme dont le combat a permis au Fpi de rester Debout. Le Baobab s'est couché!

La Côte d'Ivoire a perdu un de ses dignes et valeureux Fils. Le Gardien du Temple est parti, emportant avec lui sa sincérité, sa fidélité et son soutien infaillible au Président Laurent Gbagbo. Chose rare dans ce milieu politique où la duplicité, la traîtrise et l'égocentrisme règnent en maître », lui rendent-ils hommage. Le décès du gardien du temple Abou Drahamane, une douloureuse épreuve que cadres, leaders, militants et sympathisants du Fpi et les démocrates de tous horizons acceptent difficilement.

Yacouba Gbané