Débats et Opinions : « Non, l’agriculture n’a jamais été le choix économique de la Côte d’Ivoire », Par Pr BALOU BI Toto Jérôme

Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions : « Non, l’agriculture n’a jamais été le choix économique de la Côte d’Ivoire », Par Pr BALOU BI Toto Jérôme.

Pr BALOU BI Toto Jérôme.

Dans un extrait diffusé sur les réseaux sociaux en date du 11 décembre 2019, de l’émission spéciale de la RTI sur le thème « Félix Houphouet-Boigny, 26 ans après », et animée par Madame Sylvie Touré qui avait comme invités « des disciples » d’Houphouet-Boigny, certaines affirmations nous ont interpellé.

En effet, le Professeur N’Guessan Mahomed, Historien de son état, et chercheur associé à la Fondation Félix-Houphouet-Boigny pour la paix, affirmait que l’agriculture a été un choix économique opéré par le Président Houphouet-Boigny en 1960.

Il me paraît donc important voir urgent de rétablir la vérité historique des choses. Parce que je fais partie de ces africains qui se battent pour la souveraineté de nos peuples, notamment en nous réappropriant l’écriture de notre histoire, la vraie.

D’emblée je me permettrai, de rappeler à notre collègue ( et je sais qu’il sait bien), qu’à l’indépendance , La Côte d'Ivoire à l'instar d’autres pays africains était confrontée à un problème de transition entre une économie de subsistance et une économie de plantation et de croissance.

C’est ainsi d’ailleurs que l’introduction en Côte d’Ivoire pour la première fois par les colons français, et d’abord essentiellement pour leurs propres intérêts, des cultures de rente tels que le café et le cacao dans les années 1880, n’a pas franchement rencontré l'adhésion des populations locales qui pratiquaient plutôt une agriculture de subsistance.

Si elles ont fini par les convaincre, c'est pour deux séries de raisons : les intérêts de la métropole et la monétarisation de l'économie.

 Les intérêts de la métropole
L'expansion de ces cultures visait à répondre d'abord au souci de la France à faire face à sa demande en produits tropicaux qui ne pouvait être satisfaite en Europe et ailleurs. Il s'agissait également pour le colonisateur de générer des devises indispensables à son propre développement.

 La monétarisation de l'économie

La puissance coloniale finit par monétariser l'économie en imposant la production des cultures destinées à l'exportation (Sawadogo A, 1977). Pour ce faire, elle utilise trois moyens de pression:

 l’obligation pour tous les hommes valides de travailler dans les plantations des colons ou de l'administration coloniale ;
 l’obligation de payer les impôts non en nature mais en argent, que l'on ne pouvait acquérir qu'en travaillant dans des mines ou dans les plantations;
 la nécessité d'obtenir de l'argent pour acheter des produits manufacturés en provenance de la métropole.

C’est dans cette même logique que va être créé le franc CFA, le franc des colonies françaises d’Afrique, un puissant levier d’aliénation de notre continent, dans sa sphère francophone, et que certains « frères » ont l’indécence même de défendre.

En conclusion, affirmer que l’agriculture, comme levier économique pour la Côte d’Ivoire, est le choix librement opéré par le Président Houphouet-Bogny, n’est pas exact. D’ailleurs si Houphouet-Boigny avait vraiment eu le choix, il n’aurait à notre avis jamais choisi l’agriculture, parce que pour avoir été Ministre dans plusieurs gouvernements français, il savait très bien que « la Grande France », comme il aimait si bien à le dire, ne s’est pas bâtie sur une agriculture de rente, mais bien grâce à l’industrialisation qui nous fait tant défaut.

Les universitaires que nous sommes, et en particulier les historiens, devons restituer la vérité et le contexte historiques des événements qui jalonnent la marche de nos pays respectifs vers leur véritable indépendance et une souveraineté assumée dans la construction de nations fortes.

Une contribution de Prof. Toto Jérôme BALOU BI
Enseignant-Chercheur et ancien Secrétaire Général de l’Université de Cocody,
Ancien Président du RASGUF (Réseau Africain des Secrétaires Généraux des Universités Francophones,
Président de l’association Educ’Afric