Crise pré-électorale en Côte d’Ivoire: « Les partis-pris de la presse française doivent cesser »( Pr Koudou Kessié, Ambassadeur )

Par Ivoirebusiness/Débats et Opinions - Crise pré-électorale en Côte d’Ivoire « Les partis-pris de la presse française doivent cesser »( Pr Koudou Kessié, Ambassadeur ).

L’Ambassadeur Pr. Raymond KOUDOU Kessié. Image d'archives.

LES BIAIS ET AUTRES PARTIS-PRIS D’ORGANES DE PRESSE ET DE JOURNALISTES FRANÇAIS DANS LA COUVERTURE DE LA CRISE PRÉ-ÉLECTORALE IVOIRIENNE DOIVENT CESSER

Par L’Ambassadeur Pr. Raymond KOUDOU Kessié en exil en Angleterre

À quelques jours de la présidentielle ivoirienne du 31 octobre 2020, les interviews du Chef de l’État sortant, M. Alassane Dramane Ouattara se multiplient dans la presse française comme pour lui permettre de justifier son injustifiable violation de la constitution ivoirienne par sa candidature à un troisième mandat.

Aprѐs notre dernière interpellation du ministre français des affaires étrangères, M. Jean-Yves Ledrian, et du quotidien Le Monde sur leur impasse sur la violation de cette Constitution par l’intéressé, ces interviews nous donnent l’occasion de nous interroger sérieusement sur l’indépendance et le professionnalisme de certains organes et journalistes français lorsqu’il s’agit de la couverture de l’actualité politique des pays encore sous l’empire de la Françafrique comme la Côte d’Ivoire, sa tête de pont dans l’ouest africain.

Qu’il me soit permis d’interpeller ces organes et journalistes français sur leur démarche biaisée et partisane dans la couverture de la crise pré-électorale ivoirienne actuelle. Ils évitent de manière choquante de dire que la crise actuelle est née de la volonté d’un seul, M. Ouattara, de s’imposer à tous au mépris de la Constitution et quoi qu’il en coûte au pays.

Ces organes et journalistes ont adopté hier la même attitude dans la crise postélectorale de 2010 en soutien au même Alassane Dramane Ouattara, toujours le même dont l’apparition sur la scène politique ivoirienne est synonyme de violences et de destruction de vies humaines.

Il serait prétentieux de ma part de douter de leur professionnalisme au sens où l’entend Lyse Langlois dans son ouvrage intitulé Le professionnalisme et l’éthique au travail (Presses de l'Université Laval, décembre 2014), mais puisque professionnalisme et indépendance vis-à-vis de la politique étrangère de son pays ne sauraient être antinomiques, qu’il me soit permis de ne pas rester silencieux sur leur silence, si bruyant, si intrigant sur certaines questions qu’ils s’abstiennent de poser, sur certaines relances qui s’imposaient et qu’ils évitent ;

bref sur cet accompagnement camouflé de M. Ouattara dans son aventure périlleuse pour tous de contourner la limitation constitutionnelle du mandat présidentiel à deux. Arrêtons-nous pour se faire aux trois questions qui suivent.

Pourquoi la violation de la constitution par M. Ouattara n’est-elle évoquée nulle part par ces journalistes français ?

Dans toutes les interviews qu’il nous a été donné de lire ou d’écouter, nulle part ces journalistes français n’évoquent la raison principale de la crise préélectorale actuelle qui est la violation de la constitution par un passage en force de M. Ouattara. Comment en effet, des journalistes professionnels peuvent-ils s’abstenir de poser à M. Ouattara la principale question litigieuse portant sur la violation de la constitution ivoirienne qui dispose en son article 55 que le Président de la République, élu pour cinq ans n’est rééligible qu’une fois.

N’est-ce pas au regard de cette disposition constitutionnelle que toute l’opposition exige le retrait de la candidature de M. Ouattara à un troisième mandat et est engagée actuellement dans l’action politique de désobéissance civile ? Aprѐs deux mandats consécutifs en effet, celui de 2010-2015 et celui de 2015-2020, le Président Ouattara ne peut pas se présenter immédiatement à l’élection présidentielle de 2020 qui suit sans violer la constitution.

Il ne pourrait être à nouveau candidat, s’il le souhaite, rien qu’après le mandat de son successeur en 2025 et s’il remplit toutes les autres conditions d’éligibilité. En persistant envers et contre tout, M. Ouattara montre qu’en fait par la constitution de 2016, il n’avait pour intentions bien dissimulées que de s’accrocher au pouvoir au mépris du principe de l’alternance. Les experts commis à la rédaction de ladite constitution auront l’obligation morale d’éclairer le moment venu la Nation.

Pour revenir à notre sujet, disons qu’hier, à propos du Président Laurent Gbagbo, ces journalistes français, pourtant habituellement si professionnels et si indépendants, étaient pourtant devenus écholaliques, répétitifs à souhait des phrases « s’accrocher au pouvoir », « refus de céder le pouvoir », en éludant la vraie question de savoir qui a gagné l’élection présidentielle de 2010, question à laquelle nous avons consacré un ouvrage collectif intitulé Qui a gagné l’élection présidentielle 2010 en Côte d’Ivoire paru aux Éditions Universitaires Européennes en 2019.

Ce ne pouvait pas être celui qui a refusé le recomptage des voix pour vider le contentieux électoral. Aujourd’hui, à propos du Président Ouattara, ils deviennent amnésiques et scotomisent sa volonté réelle de demeurer au pouvoir comme un empereur qu’il rêve d’être, selon ses propres propos. Comment peut-on manquer de le questionner encore et encore sur les dispositions constitutionnelles qui prévoient cette circonstance exceptionnelle relative au remplacement du candidat de son parti par le Président de la République en cas de décès de ce dernier ?

L’on ne peut rester silencieux sur ce mépris royal dans lequel M. Ouattara tient les Ivoiriens en se présentant comme le seul, capable, indispensable, celui en dehors de qui il n’y a pas de salut pour eux et la Côte d’Ivoire. Il tient également les autres pour ignorants, car lui seul connaît mieux la constitution que quiconque par ce qu’il l’aurait continuellement dans sa poche ? Il ne peut pas reporter la date de l’élection prescrite par la Constitution, dit-il.

Mais pourquoi les journalistes s’abstiennent-ils alors de lui poser la question relative à la limitation du mandat présidentiel à deux, disposition constitutionnelle qu’il viole cependant par sa candidature ?

Pourquoi l’indépendance du Conseil constitutionnel qui a invalidé les candidatures entre autres de M. Laurent Gbagbo, M. Mamadou Coulibaly et M. Guillaume Soro n’est-elle pas évoquée ?
L’on est surpris que ces journalistes n’aient pas évoqué la question de la crédibilité de ce conseil constitutionnel, exclusivement issu du camp du Président Ouattara et dont le Président était de la rébellion qui l’a porté au pouvoir.

Hier, ces journalistes ne manquaient pourtant pas de s’interroger sur la crédibilité du Conseil constitutionnel sous la gouvernance du Président Gbagbo. Aujourd’hui, la question est éludée, elle ne sera pas posée.

Pourquoi l’indépendance de la CEI, aujourd’hui composée uniquement de proches du pouvoir n’est-elle pas évoquée par ces journalistes français?
Une telle organisation ne peut pas être indépendante, impartiale. La presse ne pouvait pas éviter d’aborder une question si centrale dans le dispositif électoral. Quel est le membre de l’opposition qui y siège aujourd’hui à deux jours du scrutin ?

Pourquoi les verdicts de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) relatifs au scrutin électoral ne sont-ils évoqués nulle part par ces journalistes français?
À propos d’abord de la plainte relative à la Commission électorale indépendante, CEI, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a désavoué l’État de Côte d’Ivoire, lui ordonnant de rendre effective l’indépendance de la CEI par sa recomposition avant toute élection.

Ce verdict est éludé par les journalistes. Ensuite à propos des plaintes de M. Guillaume Soro et du Président Laurent Gbagbo, son verdict est sans appel qui intime de permettre aux candidats Gbagbo et Soro de participer à la présidentielle du 31 octobre par leur réinscription sur la liste électorale. N’aurait-il pas été judicieux et bien à propos pour ces journalistes français d’interroger l’interviewé, M. Ouattara, sur son refus de respecter ces verdicts quand le même Ouattara est prompt à évoquer les juridictions internationales quand ça l’arrange.

Pour terminer, il est bon de rappeller qu’un troisième mandat est impossible au Président Macron car la constitution française de la cinquième république dispose en son article 6 que « …Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs... » ? Les journalistes français pourraient-ils rester silencieux si d’aventure M. Macron venait à postuler à un troisième mandat après un hypothétique deuxième mandat ?

Pourquoi le font-ils alors lorsqu’il s’agit de pays africains ? N’est-ce pas une tromperie de leur part de continuer à proclamer l’universalité des droits de l’homme et des peuples si l’indépendance et le professionnalisme en matière d’information ne s’imposent pas à eux et ce, indépendamment des moments, des frontières et des intérêts de leurs pays et de leurs peuples ?

Comment ces organes de presse français et leurs journalistes peuvent-ils contribuer à prévenir de graves crises si elles font l’impasse sur certaines questions parmi les plus graves pour être agréables aux dictateurs africains plus soucieux des intérêts françafricains que des intérêts de leurs propres pays et peuples ?

Un remake de la grave crise postélectorale de 2010 n’est pas souhaitable, ce serait même plus dramatique et les journalistes devraient travailler à prévenir les crises par leurs écrits sans éluder aucune question. Il est temps que les biais et autres partis-pris d’organes de presse et de journalistes français doivent cesser.

Par L’Ambassadeur Pr. Raymond KOUDOU Kessié

En exil en Angleterre