Côte d'Ivoire/Rentrée pastorale: Cardinal Kutwa alerte la classe politique "Il nous faut communiquer le bien autour de nous"

Par Ivoirebusiness - Côte d'Ivoire/Rentrée pastorale. Cardinal Kutwa alerte la classe politique "La politique dans notre pays fait peur"."Il nous faut communiquer le bien autour de nous".

Monseigneur Jean Pierre Cardinal KUTWÃ, Archevêque Métropolitain d’Abidjan.

L'Archevèque d'Abidjan, Jean Pierre Cardinal Kutwa, a alerté la classe politique ivoirienne a l'occasion de son discours de rentrée pastorale.
Ci-dessous, extraits de son message dans lequel il déclare que la politique en Côte d'Ivoire fait peur et appelle donc tous à communiquer le bien autour de nous:

4- Aux acteurs politiques et aux gouvernants

Cette année encore, je voudrais rappeler à vos mémoires, les différents appels que je n’ai eu de cesse de vous adresser. Savez-vous que la politique dans notre pays fait peur ? Le constat fait par le Pape François pourrait s’appliquer malheureusement à vous : ‘‘la meilleure façon de dominer et d’avancer sans restrictions, c’est de semer le désespoir et de susciter une méfiance constante, même sous le prétexte de la défense de certaines valeurs. Aujourd’hui, dans de nombreux pays, on se sert du système politique pour exaspérer, exacerber et pour polariser.

Par divers procédés, le droit d’exister et de penser est nié aux autres, et pour cela, on recourt à la stratégie de les ridiculiser, de les soupçonner et de les encercler. Leur part de vérité, leurs valeurs ne sont pas prises en compte, et ainsi la société est appauvrie et réduite à s’identifier avec l’arrogance du plus fort.

De ce fait, la politique n’est plus une discussion saine sur des projets à long terme pour le développement de tous et du bien commun, mais uniquement des recettes de marketing visant des résultats immédiats qui trouvent dans la destruction de l’autre le moyen le plus efficace. Dans ce jeu mesquin de disqualifications, le débat est détourné pour créer une situation permanente de controverse et d’opposition.’’ Lettre Encyclique Fraterlli Tutti du Saint Père François, sur la Fraternité et l’Amitié sociale (n°15).
Pendant combien de temps allons-nous avoir peur des élections dans notre pays avec leurs lots de morts, de violence, de destruction des biens, d’intimidation, de transhumance ? Pourquoi, dans notre pays et en politique, les amis d’hier deviennent des ennemies aujourd’hui ? Que des ennemis hier deviennent des amis aujourd’hui, quel bonheur ! Mais cette amitié est-elle sincère et vraie ? Quel est l’enjeu de vos batailles ? Diriger la Côte d’Ivoire ? Pour cela, est-il besoin que le pays soit mis à feu et à sang à chaque joute électorale? Vous considérez-vous encore comme des frères ?

​Que pensez-vous de ce que dit le Pape François concernant les systèmes politiques ? Je le cite : ‘‘dans ces conflits d’intérêts qui nous opposent tous les uns aux autres, où gagner devient synonyme de détruire, comment est-il possible de lever la tête pour reconnaître son voisin ou pour se mettre du côté de celui qui est tombé en chemin ? Un projet visant de grands objectifs pour le développement de toute l’humanité apparaît aujourd’hui comme un délire. Les distances entre nous augmentent, tout comme la marche, difficile et lente vers un monde uni et plus juste, subit un recul nouveau et drastique.’’ Fraterlli Tutti n° 16-17

Savez-vous que nos populations vivent dans la hantise parce que chaque petit heurt débouche sur des conflits et que tout se règle désormais dans la violence ? Dans notre pays, n’est-il pas possible de faire la politique autrement ? Serait-il possible aujourd’hui encore, comme une charte que je vous propose, que chacun de vous décide de faire aux autres ce qu’il veut qu’on fasse pour lui ? Mieux, serait-il possible que chacun de vous ne fasse pas aux autres ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui fasse ? Faites donc aux autres ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous !

5- Aux forces de défenses et de sécurité

L’an dernier, je vous faisais remarquer que votre rôle est délicat dans le maintien de l’ordre dans nos états, et cela s’est vu encore une fois à la faveur des élections présidentielles qui viennent de s’achever dans les situations que tous nous connaissons ! Des pères et des mères de famille ont peur qui pour un époux, un frère, un ami ! La répression terminée, que vous reste-t-il ? Regagner vos domiciles avec la conscience du devoir accompli ? Mais comment ?

L’an dernier, je vous faisais remarquer que vous êtes, vous aussi, des acteurs importants dans la vie de notre patrie. Pour des forces de défenses et de sécurité, vous devez pouvoir inspirer confiance aux populations dont vous avez la garde. J’encourage les efforts que année après année, vous faites pour vous rendre plus proches de vos frères et sœurs. Comme pour les autres, des ambitions légitimes vous habitent et c’est votre droit. Mais ce droit doit-il s’exercer au détriment de vos différents corps d’arme, au point de susciter de la méfiance entre vous ?

Avec force, je vous invite dans l’exercice de vos missions, à vous laisser rejoindre par la parole de Dieu : ‘‘ne faites pas aux autres, ce que vous ne voulez pas qu’ils vous fassent !’’ Notre pays a trop souffert de ses crises à répétition ! Faites aux autres, ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous !

6- Aux hommes de médias

Dans sa Lettre encyclique portant sur la Fraternité et l’amitié sociale, le Pape parle de l’illusion de la communication. Je le cite : ‘‘ paradoxalement, alors que s’accroissent des attitudes de repli sur soi et d’intolérance qui nous amènent à nous fermer aux autres, les distances se raccourcissent ou disparaissent au point que le droit à la vie privée n’existe plus. Tout devient une sorte de spectacle qui peut être espionné, surveillé et la vie est soumise à un contrôle constant. Dans la communication numérique, on veut tout montrer et chaque personne devient l’objet de regards qui fouinent, déshabillent et divulguent, souvent de manière anonyme. Le respect de l’autre a volé en éclats, et ainsi, en même temps que je le déplace, l’ignore et le tiens à distance, je peux sans aucune pudeur envahir sa vie de bout en bout.

D’autre part, les manifestations de haine et de destruction dans le monde virtuel ne constituent pas – comme certains prétendent le faire croire – une forme louable d’entraide, mais de vraies associations contre un ennemi. Par ailleurs, « les médias numériques peuvent exposer au risque de dépendance, d’isolement et de perte progressive de contact avec la réalité concrète, entravant ainsi le développement d’authentiques relations interpersonnelles ».

Des gestes physiques, des expressions du visage, des silences, le langage corporel, voire du parfum, le tremblement des mains, le rougissement, la transpiration sont nécessaires, car tout cela parle et fait partie de la communication humaine. Les relations virtuelles, qui dispensent de l’effort de cultiver une amitié, une réciprocité stable ou même un consensus se renforçant à la faveur du temps, ne sont sociales qu’en apparence. Elles ne construisent pas vraiment un ‘‘nous’’ mais d’ordinaire dissimulent et amplifient le même individualisme qui se manifeste dans la xénophobie et le mépris des faibles. La connexion numérique ne suffit pas pour construire des ponts, elle ne suffit pas pour unir l’humanité. Fraterlli Tutti n° 42-43

Je me répète encore une fois : votre travail est trop noble et à ce titre, il convient qu’en interne et peut-être entre différentes rédactions, vous preniez les mesures nécessaires pour jouer pleinement votre partition dans la marche de notre beau pays. La dépénalisation des délits de presse si elle est une bonne chose, ne vous autorise pas à toute sorte de dérive non plus ! Au nom de vos frères et sœurs qui habitent ce pays, je vous exhorte vous aussi : ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse ! Faites donc aux autres ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous !

III- Conclusion

C’est le Cardinal Robert SARAH qui disait que ‘‘lorsque l’homme communique un bien, celui-ci sort de son cœur, comme une source d’eau qui se répand autour de lui. Le bien augmente à mesure qu’on le donne. A contrario, il s’affaiblit dans le refus de partager.’’ C’est aussi ma conviction. Il nous faut communiquer le bien autour de nous et de manière la plus large possible mais en identifiant les causes profondes de nos égoïsmes.

Pour le Pape François, ‘‘ «parmi les causes les plus importantes de la crise du monde moderne se trouvent une conscience humaine anesthésiée et l’éloignement des valeurs religieuses, ainsi que la prépondérance de l’individualisme et des philosophies matérialistes qui divinisent l’homme et mettent les valeurs mondaines et matérielles à la place des principes suprêmes et transcendants ». Il est inadmissible que, dans le débat public, seuls les puissants et les hommes ou femmes de science aient droit à la parole. Il doit y avoir de la place pour la réflexion qui procède d’un arrière-plan religieux, recueillant des siècles d’expérience et de sagesse.

Nous, croyants, nous pensons que, sans une ouverture au Père de tous, il n’y aura pas de raisons solides et stables à l’appel à la fraternité. Nous sommes convaincus que « c’est seulement avec cette conscience d’être des enfants qui ne sont pas orphelins que nous pouvons vivre en paix avec les autres » ’’ Fraterlli Tutti n° 275

Tel est le vœu mais aussi telle est la prière que je forme pour chaque habitant de notre très cher et beau pays la Côte d’Ivoire. Bonne rentrée pastorale à tous ! Paix et bien à notre cher pays la Côte d’Ivoire et à tous ceux qui l’habitent !

Jean Pierre Cardinal KUTWÃ
Archevêque Métropolitain d’Abidjan