Côte d'Ivoire: Fustiger une justice à deux vitesses n’est point un crime, Par Jean-Claude DJEREKE

Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions - Fustiger une justice à deux vitesses n’est point un crime, Par Jean-Claude DJEREKE.

Le 2 décembre 2020, Yodé et Siro sont convoqués à la Brigade de recherche de la gendarmerie pour enquête judiciaire. Le lendemain, ils sont condamnés à 12 mois de prison avec sursis et à 5 millions de francs CFA d’amende par une justice qui non seulement est soumise à l’exécutif mais épargne les coupeurs de têtes et ceux qui enlèvent et assassinent les enfants tout en faisant preuve de sévérité vis-à-vis de quiconque ose dénoncer les tares et abus du régime Ouattara.

Ces condamnations sont contestables pour trois raisons. La première, c’est que notre Constitution garantit la liberté d’opinion et d’expression. Deuxièmement, ce qu’ont dit les deux zougloumen dans leur chanson n’est que la stricte vérité.

Enfin, de Konan Bédié à Alassane Ouattara, tous les régimes ont fait les frais du franc-parler et de l’impertinence des deux artistes.

Le dictateur-menteur, qui se targue d’être l’ami de la France, il est surprenant qu'il ne sache pas que Charles de Gaulle, lorsqu’il lui fut demandé s’il était opportun d’arrêter Jean-Paul Sartre qui soutenait les manifestations étudiantes de mai 1968, répondit : “On n’arrête pas Voltaire.”

Si Ouattara avait un peu de culture, s’il connaissait l’histoire et la politique françaises, il ne commettrait ni le sacrilège ni la bêtise de s’en prendre à deux chanteurs perçus à juste titre en Côte d'Ivoire comme “ la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche” (Aimé Césaire).

Siro et Yodé, qui n’ont tué personne, ne méritaient pas d’être convoqués à la gendarmerie ; ils n’ont commis aucun crime en critiquant les dérives du régime. Dire ce que l’on pense d’un individu qui, non content d’avoir pressuré et martyrisé notre peuple pendant 10 ans, viola notre Constitution en briguant un 3è mandat, interpeller un procureur qui pratique une justice à deux vitesses, n’est pas un crime.

Les vrais criminels, ce sont les miliciens et microbes qui agressent, tailladent et décapitent sans être inquiétés.

Les deux chanteurs n’ont eu de cesse de dénoncer l’injustice et le tribalisme parce que, pour eux, “l’art n’est pas une réjouissance solitaire [mais] un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes”,

parce qu’ils partagent l’idée selon laquelle l’artiste “ne peut se mettre au service de ceux qui font l’histoire [mais] il est au service de ceux qui la subissent”, parce qu’ils “croient que “la noblesse de [leur] métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression” (Albert Camus, discours du 10 décembre 1957 à l’Hôtel de Ville de Stockholm).

Yodé et Siro auraient trahi le Zouglou qui est une musique de revendication et de contestation s’ils avaient oublié de rappeler, lors de leur concert du 29 novembre 2020 à Yopougon, que le président du RDR ne respecte pas la loi, que Richard Adou est le procureur d’un seul camp, qu’un mort, c’est un mort et qu’il ne sert à rien de “chercher les petits Baoulés dans les villages pendant que les gens sont ici avec des machettes et qu’ils sont bien identifiés”.

Il y a quelques jours, la France encourageait Dramane Ouattara à dialoguer avec le Conseil national de transition. À mon avis, ce qu'attendent les autorités françaises, c'est moins un dialogue que la reconnaissance par Bédié et ses camarades de la fausse élection organisée le 31 octobre par leur marionnette ; elles veulent que nous nous soumettions à la dictature de Ouattara,

que nous laissions ce dernier continuer à appauvrir les Ivoiriens et que nous regardions les entreprises françaises s’enrichir sur notre dos sans réagir. Yodé et Siro refusent la soumission et la résignation. Pour eux, ce qu’il convient de faire en pareille circonstance, c’est dire ‘non” à l’inacceptable, résister à l’oppression, se dresser contre les prédateurs de nos libertés individuelles et collectives.

Par Jean-Claude DJEREKE