Côte d’Ivoire : Du Miracle ivoirien à la pénurie de logements, Par Pr Hamed Ghiaie

Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions - Côte d’Ivoire. Du Miracle ivoirien à la pénurie de logements.

Hamed Ghiaie, Professeurd’économie.

Côte d’Ivoire : Du Miracle ivoirien à la pénurie de logements

Vamara Diabate, ESCP Business School
Hamed Ghiaie, Professeur d’économie, ESCP Business School

Quels sont les éléments qui déterminent le statut d’occupation d’un logement par les ménages ivoiriens ?Cette question qui peut paraître banale mérite une attention particulière surtout en cette période de coronavirus et ses conséquences économiques qui risque d’être désastreuses pour bon nombre de pays, plus particulièrement les pays sous-développés dont fait partie la Côte d’Ivoire.

Situé en Afrique de l’ouest, la Côte d’Ivoire fait en effet partie des pays dits « sous-développés ». Lors de son accession à l’indépendance, le pays comptait 3,5 millions d’habitants. 60 ans après son indépendance, la population a été multipliée par 7 pour atteindre plus de 25 millions d’habitants.

Cette croissance rapide de la population couplée avec différentes crises qu’à connu le pays a plongé plusieurs ivoiriens dans une situation de précarité qui s’est traduite par une prolifération des bidonvilles encore appelés « zones à risque ». En parlant de zones à risque, il faut signaler que chaque année, lors de la saison pluvieuse, des pertes en vie humaines sont à déplorer dans ces dites zones.

La dernière en date est l’éboulement d’un terrain qui a fait 18 morts dans un quartier d’Abidjan le jeudi 18 juin 2020.Cela nous montre clairement qu’il existe plusieurs ménages ivoiriens qui ont des difficultés à se loger décemment. Leur nombre risque d’augmenter avec les conséquences économiques du coronavirus qui ne vont pas tarder à se faire ressentir.

Le miracle Ivoirien et le lancement des programmes de logements sociaux

La période 1970-1980 fut une période très faste pour la Côte d’Ivoire qui a enregistré des taux de croissance records de plus de deux chiffres. Cette période fut qualifiée de « Miracle Ivoirien ». Pendant cette période, le pays était très prospère au point où les dirigeants d’alors ont entamé la plupart des grands travaux que connait le pays aujourd’hui. Ainsi, pendant cette période, a vu le jour deux projets de construction de logements sociaux qui sont la Société de Gestion Financière et de l’Habitat (SOGEFIHA) et la Société Ivoirienne de Construction et de Gestion Immobilière (SICOGI) qui avaient pour objectif de permettre à l’Ivoirien à revenu moyen de disposer d’un logement décent.

Le Choc pétrolier et l’arrêt des programmes de construction de logements sociaux

La révolution Iranienne, suivie de la guerre Iran-Irak va entrainer une hausse drastique des prix du baril de pétrole. Cette hausse qualifiée de « choc pétrolier » va entrainer une crise économique qui va toucher la plupart des pays du monde à partir des années 1980. On va assister à l’effondrement du prix des matières premières.

La côte d’Ivoire dont l’économie reposait essentiellement sur le Cacao et le café n’échappera pas à cette crise dont elle va subir les conséquences de plein fouet.Face à cela, le pays va arrêter les programmes de construction de logements sociaux dont elle n’avait plus les moyens de financer.

Exode rural des populations des villages vers les villes et la pénurie de logements

Avec la chute des prix des matières premières, les paysans ivoiriens vont assister à une baisse significative de leur revenu qui sera divisé par 2 pour certains. Face aux nouvelles difficultés dont ils devaient faire face, plusieurs jeunes des villages vont décider de se diriger vers les villes afin d’effectuer des petits boulots qui leur permettraient de se prendre en charge et d’aider leurs parents restés au village. Il va donc s’en suivre un exode massif de ces jeunes vers les villes. Arrivant pour la plupart sans grand revenu, ils vont contribuer à la prolifération des bidonvilles dans les villes et à la création d’une pénurie de logements car cet exode n’avait pas été anticipé.

Une pénurie qui a perduré dans le temps

La pénurie de logements engendré avec l’exode rural massif dans les années 1980 n’a jamais été résorbé et s’accentue d’année en année. Le Ministère de la Construction et de l’Habitat Ivoirien estime en 2020 à 400 000 la pénurie de logements et 200 000 pour la seule ville d’Abidjan avec une pénurie de 50 000 de plus qui se crée chaque année. Pour résoudre ce problème, l’Etat ivoirien a fait appel à des promoteurs immobiliers privés qui ont initiés plusieurs programmes de construction de logements sans jamais pouvoir régler le problème.

Une étude plus poussée sur la situation du logement en Côte d’Ivoire s’impose

Au vu des difficultés pour régler le problème du logement ivoirien et le faible nombre d’études sur le sujet, il est impératif de faire plus d’études sur la problématique du logement afin de mieux adresser le problème. Ainsi, nous avons donc travailler sur les déterminants du statut d’occupation d’un logement par les ménages. Pour ce faire, nous avons choisi comme variable d’intérêt le fait d’être propriétaire de son logement.

Les étrangers et les femmes cheffes de ménages ont moins de chance d’être propriétaires

Les résultats de notre étude montrent que les étrangers et les femmes cheffes de ménage ont moins de chance d’acquérir la propriété d’un logement. En effet, ces résultats portent à réflexion notamment concernant les étrangers. Il faut noter que la Côte d’Ivoire est le pays qui compte la plus grande proportion d’étrangers dans sa population avec plus de 26% d’étrangers.

Cela est le fruit de la politique du premier président qui avait fait appel à la main d’œuvre des pays frontaliers afin de travailler dans les plantations ivoiriennes. Ces populations se sont par la suite installées en Côte d’Ivoire faisant de la côte d’Ivoire le pays avec la plus grande proportion d’étrangers dans sa population. La question mérite donc d’être analysée en profondeur afin de cerner les véritables raisons d’un tel résultat.

Concernant la situation des femmes cheffes de ménage, la réponse pourrait se trouver dans le mode de fonctionnement de la société ivoirienne. En effet, en Côte d’Ivoire, le chef de ménage est l’homme. Par conséquent, une femme cheffe de ménage est une femme qui ne vit pas avec un homme, soit elle est mère-célibataire, soit elle estveuve. Cette dernière a par conséquent à sa disposition son seul revenu qu’elle doit utiliser pour assurer les dépenses de la maison et de ses enfants. Contrairement à elle, l’homme chef de ménage est aidé dans sa tâche par sa compagne. Le ménage dispose donc d’un revenu plus important. Face à cela, il apparaît compréhensif que cette dernière est plus de mal à acquérir un logement comparativement à l’homme chef de ménage.

La mise en place de mesures d’accompagnement des femmes cheffes de ménage

Les femmes cheffes de ménage se retrouvent à faire face toutes seules aux dépenses du ménage. Cette situation fait que la plupart d’entre elles vivent dans une situation précaire qui rend difficile l’acquisition d’un logement par ces dernières. Pour aider ces dernières à sortir de cette précarité et surtout dans le cadre de l’autonomisation des femmes et la réduction des inégalités hommes-femmes, l’Etat ivoirien doit mettre en place des mesures spéciales d’accompagnement afin de permettre à ces femmes d’être propriétaires d’un logement décent et offrir de meilleures perspectives d’avenir à leurs enfants.

L’organisation d’enquêtes spéciales sur le logement

Pour résoudre la problématique du logement, il est indispensable de faire une bonne planification. Or, une bonne planification s’appuie sur des données fiables et nombreuses. La Côte d’Ivoire gagnerait donc à constituer une excellente base de données sur le logement qui permettra de comprendre les différentes fluctuations des prix et de la demande de logements qui sont des éléments indispensables pour mieux planifier les besoins et anticiper d’éventuelles pénuries. Pour ce faire, la réalisation d’enquêtes spéciales sur le logement s’impose pour disposer d’une base de données fiable et apporter une solution pérenne à la problématique du logement en Côte d’Ivoire.

Par Vamara Diabate, ESCP Business School
et Hamed Ghiaie, Professeur d’économie, ESCP Business School