Bénin: Albert Tévoédjrè ne manquera pas à l’Afrique digne et libre, Par Jean-Claude DJEREKE

Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions - Ce qui me revint en mémoire, lorsque j’appris le décès, à presque 90 ans, d’Albert Tévoédjrè, c’est d’abord son engagement au sein de l'ancienne Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) qui se battait pour la décolonisation du continent africain.

Albert Tévoédjrè.

La place et le rôle de Tévoédjrè dans ce mouvement furent décisifs. Par exemple, c’est sous sa présidence que la FEANF organisa en 1954 à Toulouse les journées dites anticolonialistes. Ces journées, qui rencontrèrent un franc succès auprès des participants, n’avaient pas d’autre but que de faire comprendre à la France qu’il était temps qu’elle se retire de ses colonies et qu’elle laisse les Africains se prendre en charge.
Je repensai ensuite à “Pauvreté, richesse des peuples”, cet essai qu’il avait écrit en 1978 et qui eut un grand retentissement, tant il déconstruisait une certaine idée de la pauvreté. Pour l’ancien pensionnaire du Grand-Séminaire de Ouidah, en effet, la pauvreté n’est pas à confondre avec la misère qui, selon lui, est une mauvaise chose qu’il faut combattre.

J’avais été séduit par sa démonstration que je résumerais de la manière suivante : le pauvre, c’est celui qui possède le nécessaire, celui qui dispose de ce qu'il faut pour vivre et, si être pauvre veut dire “se satisfaire de peu, alors la pauvreté est une richesse.”
Albert Tévoédjrè croit dur comme fer que le monde vivrait mieux et progresserait si les peuples optaient pour cette pauvreté-là. Mais l’auteur ne se contente pas de dire ce qu’il entend par pauvreté. Il exhorte aussi les communautés à se mobiliser afin d’avoir accès a ce qu’il appelle le “minimum social commun”. La nourriture, l’éducation, la santé et les routes font partie de ce minimum social commun de sorte que ceux qui en sont privés tombent inéluctablement dans la misère, ajoute-t-il.

En un mot, “Pauvreté, richesse des peuples” veut changer l’horizon interprétatif de la pauvreté en même temps qu’il invite à lutter farouchement contre la misère. Pour l’auteur, le premier pas sur cette voie consiste à “déshonorer” l’argent. Tévoédjrè ne nie pas ici l’utilité de l’argent. Il attire simplement l’attention sur le fait que celui-ci doit trouver sa juste place, c’est-à-dire être perçu comme un moyen et non comme une fin.

Mais l’économiste béninois a-t-il toujours déshonoré l’argent ? N’a-t-il pas fini par succomber au pouvoir de séduction de l’argent ? Pendant combien de temps a-t-il pensé que, “plus le monde des choses augmente en valeur, plus le monde des hommes se dévalorise” (Karl Marx, “Économie et philosophie”) ?

Sa foi en une Afrique maîtresse de son destin et décidant librement de ce qui est bon pour elle n’a-t-elle pas rendu l’âme à un certain moment ? Difficile de ne pas se poser ces questions quand on se souvient de l’attitude de l’homme sur les bords de la lagune Ébrié au début des années 2000. Nommé à la tête de la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire par le Ghanéen Kofi Annan, un autre vendu, Tévoédjrè ne tardera pas à prendre fait et cause pour Alassane Ouattara et les rebelles, donnant ainsi l’impression de travailler pour les intérêts de la France. Jamais, il ne rappela aux rebelles les engagements qu’ils avaient pris à la Table-ronde de Marcoussis.

À ses yeux, seule comptait l’acceptation de la candidature de Ouattara. C’est en voyant ce parti pris flagrant et cette pusillanimité vis-à-vis de Paris que je compris la justesse du mot du Martiniquais Frantz Fanon : “En Afrique noire, depuis 1947, le colonialisme français doit sa quiétude à la trahison inqualifiable de certaines élites africaines.” Pour moi, Tévoédjrè est coupable de trahison : trahison des idées défendues hier quand il militait dans la FEANF, trahison du combat mené avec d’autres camarades contre le colonialisme français. Trahison car que fit-il dans notre pays, de 2003 à 2005 ?

Il contribua à le déstabiliser en demandant la mise sous le boisseau de la Constitution ivoirienne et en bataillant pour qu'un imposteur et un criminel soit installé au sommet de l'État ivoirien. Pourtant, on ne le dira jamais assez, tout Noir qui se laisse utiliser par le Blanc pour nuire à un autre Noir est un médiocre, un imbécile et un traître.

Pourquoi le renard de Djrègbè joua-t-il un rôle néfaste dans notre pays ? Pourquoi se mit-il au service des forces impérialistes dont l’objectif était de renverser un homme qui, en plus d’avoir été démocratiquement élu, refusait d’être un sous-préfet de la France ? La cupidité ne saurait être la seule explication ici. Ce personnage fourbe et prétentieux voulait aussi venger ses frères dahoméens chassés de notre pays en octobre 1958 parce que la LOCI (Ligue des originaires de Côte d’Ivoire) leur reprochait de remplir l’Administration et les petites entreprises de leurs ressortissants au détriment des Ivoiriens.

Tout en espérant que l’acquittement de Laurent Gbagbo le 15 janvier 2019 aura montré à Tévoédjrè avant sa mort qu’il s’était mis du mauvais côté de l’Histoire, je dois dire qu’un tel homme ne manquera pas à l'Afrique libre et digne et que les souverainistes ivoiriens ne le regretteront jamais.

Notre seul regret, c’est que notre pays n’ait pas profité de la destruction au sol de nos aéronefs et du massacre des 64 jeunes Ivoiriens par l’amée française entre le 6 et le 9 novembre 2004 pour arracher enfin son indépendance. Nous tenions le bon bout et étions à deux doigts de briser le joug de l’occupation et de l’exploitation de notre pays par la France non seulement parce que la majorité des Ivoiriens, toutes chapelles politiques confondues, étaient révoltés et mobilisés mais aussi parce que des milliers de Français avaient fui la Côte d’Ivoire.

Ces Français, il ne s’agissait ni de leur demander de revenir, ni de les indemniser mais de nationaliser leurs entreprises. La priorité n’était pas de réhabiliter le lycée français mais de donner aux Ivoiriens les moyens capables de les aider à prendre la relève des Français.

Pour avoir tergiversé, pour avoir voulu plaire à l’ennemi, qui ne pardonne ni n’oublie, nous avons permis à ce dernier de se réorganiser et de nous frapper une seconde fois en 2011. Aujourd’hui, c’est nous, les victimes, qui cherchons à négocier avec le bourreau. Aujourd’hui, c’est nous qui quémandons des rendez-vous avec des sous-fifres au Quai d’Orsay ou à l’Élysée, comme si vouloir être libre était un crime.

Une contribution de Jean-Claude DJEREKE