Affaire Eva Joly/FILLON : JEUNE FRANÇOIS ET VIEUX FRANÇAIS

Le 19 juillet 2011 par IvoireBusiness - Sacré Fillon ! Il avait fini par donner de lui-même une image lisse, celle d’une personne de mesure, d’un jeune homme fort bien éduqué,

François Fillon, Premier ministre français.

Le 19 juillet 2011 par IvoireBusiness - Sacré Fillon ! Il avait fini par donner de lui-même une image lisse, celle d’une personne de mesure, d’un jeune homme fort bien éduqué,

qui soigne son langage et pratique la pondération, chose peu habituelle en politique française, tant l’attitude et le langage ont baissé de niveau. On s’en souvient, Fillon avait même courageusement défendu les Roms, l’été dernier, contre l’ignoble et anachronique politique publique dont ces Européens « de seconde zone » faisaient l’objet. À côté de Nicolas Sarkozy, il donnait l’image d’une digue républicaine, une sorte de garantie démocratique, une assurance institutionnelle. Mais, comme dit Arlequin : il n’y a rien de plus trompeur que la mine de gens[1]. Car la digue vient de céder, « la mine » a subitement rompu. L’immonde refait surface, avec son apparat d’idées infectes. Comment ne pas être surpris par ses flèches empoisonnées sorties de son carquois et décochées contre Eva Joly ?

La nature des propos de Fillon choque, non parce qu’ils sont plutôt considérés d’extrême-droite (ce qui n’est pas une ‘’vérité vraie’’), mais bien parce qu’ils sont formulés par un « modéré ». Réécoutons-les : « Je réagis, déclare-t-il, avec tristesse, euh, je pense, euh, que cette dame [Eva Joly], euh, euh, n’a pas, euh, une culture très ancienne, euh, des traditions françaises, des valeurs françaises, de l’histoire française… »[2].

Ces propos étonnent et choquent, à plus d’un titre et pour au moins trois raisons. En premier, parce qu’ils sont très hésitants. En effet, le Premier ministre tâtonne et cherche visiblement ses mots pour exprimer sa pensée. Et il les formule, en avouant préalablement une « tristesse ». Car il pressent qu’il va commettre un véritable impair politique. Comment et pourquoi ? Pour saisir sa gêne et ses hésitations, il convient de rappeler et préciser le contexte particulier dans lequel ils ont été prononcés. C’était au sortir d’un entretien avec le président ivoirien, Alassane Ouattara, qui a lui-même longtemps été considéré comme « pas suffisamment ivoirien », pour prétendre être président de la Côte d’Ivoire. Fillon ne l’ignorait pas. Ainsi, en formulant ses attaques contre Eva Joly, François Fillon exhumait un argumentaire dont son hôte fut la victime et qui fut l’une des causes de la guerre civile en Côte d’Ivoire. En lançant contre Eva Joly une inquisition en francité, il rappelait le procès en « ivoirité » dont fut victime son hôte. C’est pourquoi les paroles de Fillon sont d’abord un grave manquement au protocole d’état ivoirien et à la politesse française, bien avant d’être une insulte à Eva Joly. Qu’en pense Alassane Ouattara ? Il serait instructif de l’entendre. En second lieu, les paroles de Fillon sont choquantes, parce que désobligeantes et relèvent d’une impolitesse caractérisée. En effet, parlant d’Eva Joly, il dit « cette dame » et évite d’énoncer son prénom et son nom. Ses paroles sont donc hautaines et accompagnées d’un zeste de mépris voire de condescendance. En réalité, cette recette est ancienne. Qui ne se rappelle que, lors des présidentielles françaises de 1995, pour affaiblir Édouard Balladur, ses adversaires gaullistes du RPR avaient créé un slogan efficace : « la France profonde » opposée à une France de surface. Fillon semble s’en remémorer. En troisième lieu, la suspicion en francité peut s’étendre à d’autres candidats, tels Jean-Luc Mélenchon ou Emmanuel Valls, fils d’immigrés espagnols. À cette « liste de mauvais tours », la moitié des candidats déclarés aux prochaines présidentielles pourraient être suspectés de n’être pas assez Français. Et « pardi », comment oublier qu’en 2007, certaines officines de droite mirent en exergue les origines hongroises de Nicolas Sarkozy ? Mais, par-dessus tout, les arguments de Fillon indiquent bien qu’il ne connaît pas assez bien l’histoire de France, contrairement à ce qu’il allègue avec belle assurance et grande autorité. Quelques exemples suffisent à ruiner ses propos. Bonaparte ne deviendra « français » qu’en 1797, lorsqu’il se convaincra qu’il n’avait plus de destin corse. Alors, il ne signera plus Buonaparte mais, francisant son patronyme, il écrira désormais Bonaparte. Au reste, et si l’on en croit l’excellent linguiste Louis Hagège, la prononciation de Bonaparte n’était pas du tout parisienne et ses constructions de phrases fautives étaient multiples. Cela ne l’a pas empêché d’être Empereur des Français. Sous ce rapport, Eva Joly ne doit pas avoir de complexes. Dans le même registre, combien de rois et de reines françaises furent d’origine étrangère directe ?

Bien cher Fillon, lorsque l’on veut donner de grandes leçons en francité, il faut connaître ses classiques ou du moins ne pas les oublier en cours de route ou à l’occasion d’une polémique. Dans L’identité de la France, Fernand Braudel est plus précis que vous sur l’apport des « étrangers ». Et il a le courage de rappeler que nous sommes tous des fils d’immigrés : « Tant ‘’ d’immigrés ‘’, depuis si longtemps, depuis notre Préhistoire jusqu’à l’histoire très récente, ont réussi à faire naufrage sans trop de bruit dans la masse française que l’on pourrait dire, en s’amusant, que tous les Français, si le regard se reporte aux siècles et aux millénaires qui ont précédé notre temps, sont fils d’immigrés[3].

Eva Joly, blessée, vous a rétorqué avec la vivacité de Marianne : « Moi, je ne descends pas de mon drakkar. Ça fait cinquante ans que je suis en France et donc je suis Française ». En évoquant le « drakkar » (navire des Vikings) et son enracinement ancien, Eva Joly vous fait une belle leçon d’histoire. Elle invoque une ascendance Viking, de ces peuples du Nord qui deviendront nos fameux Normands de Normandie ou de Northmannie[4]. Eva Joly vous rappelle les liens entre la France, la Norvège et le Danemark, comme le « maître » que vous servez, Nicolas Sarkozy, dut en sont temps rappeler son ascendance hongroise qui n’est pas sans invoquer Clovis qui lors de son baptême signa ses origines hongroises, c’est-à-dire sycambriennes.

En tous les cas, Eva Joly préfère sans doute La Marseillaise de la Paix (de Lamartine) au Chant de l’Armée du Rhin (Rouget de Lisle), notre célèbre Marseillaise. C’est son droit. Et nul n’est moins Français qu’un autre, parce qu’il aura formulé l’idée de voir le « 14 Juillet » (re)devenir une fête populaire qui n’aurait rien de militaire. Car, d’où nous vient le « 14 Juillet » ? De 1790, de la Révolution, lorsque, un an après la prise de la Bastille (14 juillet 1789), les Fédérés décidèrent de célébrer l’unité nationale, avec tambours et drapeaux. Et ce n’est que depuis 1880 que le « 14 Juillet » est devenu notre Fête Nationale. À l’origine, le « 14 Juillet » n’était pas une fête militaire, mais une cérémonie populaire et festive où la parade des armes n’était pas l’essentiel. Ce qu’Eva Joly réclame, il est vrai quelque peu maladroitement, c’est que la France retrouve l’esprit populaire du « 14 Juillet » initial : une journée de Liberté et non pas de Défense. Est-ce vraiment trop demander ? Car, ce n’est pas l’armée qui fait la France. Encore que la France ait besoin de son armée et même d’une armée forte et dissuasive. Pour départager les protagonistes, pourquoi ne pas alterner fête populaire et fête militaire la même journée ou une année sur l’autre ?

François Fillon vous êtes bien Jeune, en matière d’histoire française. Par conséquent, ne jouez pas au vieux Français. Tout simplement parce qu’il n’existe pas de vieux Français, mais une France qui, comme le dit Braudel, se renouvelle et se rajeunit sans cesse dans l’identique.

Pierre Franklin Tavares (Homme politique et écrivain)

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