Réconciliation, Cei, élections : Les vérités de l’Ambassadeur d’Allemagne

Par Le Temps - Réconciliation, Cei, élections. Les vérités de l’Ambassadeur d’Allemagne.

Réconciliation, Cei, élections. Les vérités de l’Ambassadeur d’Allemagne.

Présent en Côte d’Ivoire depuis Septembre 2017, Sem Michael Grau, Ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne en Côte d’Ivoire, parle de coopération, d’immigration, du processus de réconciliation nationale et des prochaines élections municipales et sénatoriales en Côte d’Ivoire… Interview

Par le passé, on parlait de KfW, mais aujourd’hui c’est le sigle GIZ qui revient. Qu’est-ce qui a changé fondamentalement ?

Pas de changement notable. Ce sont deux agences pour l’implémentation de la coopération allemande avec la Côte d’Ivoire. La Kfw intervient dans le financement du développement, à peu près comme la Banque africaine de développement (Bad). Elle soutient financièrement le secteur de l’énergie, le transport de l’énergie à travers la construction des lignes électriques et des projets d’énergie solaire. En un mot, la Kfw est active dans le financement des infrastructures. En ce qui concerne la GIZ, elle se focalise plus sur la coopération technique. Elle travaille dan le cadre de l’encadrement des acteurs du monde rural, notamment les cacaoculteurs et ceux responsables des réserves naturelles, en matière de transfert d’expériences et de connaissances socioprofessionnelles aux acteurs du secteur.

Quel est le poids réel de la coopération allemande à ce jour en Côte d’Ivoire ?

Nous partageons les objectifs du gouvernement ivoirien en matière de développement. Nous voulons travailler avec les Ivoiriens pour réduire les écarts socioéconomiques, dans l’intérêt du progrès et la stabilisation du pays. Surtout, pour donner des perspectives d’un avenir stable et prometteur à la jeunesse, pour qu’elle puisse réaliser son rêve d’une vie accomplie; et l’aider à trouver une place dans la société, à travers une formation de qualité. On veut aussi contribuer à réduire l’écart entre les pays industrialisés et les pays africains. Cela profitera aux deux partis: pour nous, la Côte d’Ivoire sera un partenaire privilégié dans le domaine de la technologique, du commercial et de la culturel ; le plus important c’est que les Ivoiriens puissent faire un meilleur usage de leurs ressources humains et naturelles, et qu’ils bénéficient largement des plus-values qui en découlent dans leur quotidien.

Par le passé, la coopération allemande était active, dans le cadre de la coopération décentralisée avec les communes rurales, en matière d’assainissement et d’adduction d’eau potable. Aujourd’hui que fait l’Allemagne avec ces communes ?

Nous avons reparti un peu le travail entre les pays membres de l’Union européenne (Ue) qui ont des projets en Côte d’Ivoire. Nous ne sommes actuellement pas actifs dans le secteur de l’eau potable. Par contre, nous agissons dans le domaine du développement de l’agriculture dans les environs des parcs nationaux de Taï et de la Comoé. Ceci, dans le but d’arrêter la dégradation des forêts classées, de préserver des aires protégés et d’améliorer les conditions des agriculteurs autour de ces sites. La réhabilitation des oueds (cours d’eau temporaires) et des réserves d’eau fait partie de nos actions. Par an, la coopération bilatérale s’élève en moyenne à 20 millions d’Euros, soit 13, 1 milliards Fcfa. À cette contribution, il faut ajouter notre part dans celle de l’Ue. Nous sommes aussi actionnaire de la Banque africaine de développement (Bad) et de la Banque mondiale (Bm). Une bonne partie des fonds multilatéraux proviennent donc de l’Allemagne. Nous contribuons également à plusieurs projets régionaux en rapport avec la migration tels que le projet d’insertion des jeunes qui retournent dans leurs pays d’origine, parce qu’ils se sont rendu compte de la futilité et des dangers de leur projet migratoire.

Qu’avez-vous concrètement à dire aux jeunes ivoiriens qui seraient tentés par l’immigration clandestine. L’avenir, c’est en Europe ou en Afrique ?

Il y a des chances en Europe pour les personnes qualifiées. En Europe, le marché du travail est très compétitif. Il y a des règles strictes en matière d’immigration qu’il faut respecter. Les entreprises européennes sont prêtes à recruter du personnel de diverses origines. Avec notre «carte bleue», il existe un moyen légal pour cela. Mais, ce qu’on cherche en Allemagne, c’est du personnel qualifié pour les besoins une l’industrie de pointe. Malheureusement, pour la plupart des migrants qui n’ont pas eu accès à une bonne formation, les perspectives ne sont pas non plus bonnes. Chez nous, il n’existe pratiquement pas de secteur informel. Là où il en existe, il constitue normalement un délit, et ceux qui s’y adonnent s’exposent à une poursuite judiciaire. On considère cela comme une concurrence déloyale aux entreprises formelles. Si ici on parle de 90% de secteur informel, en Allemagne on appelle cela l’économie noire, de l’ombre, clandestine. Il n’y a pas de voie légale pour ouvrir sa petite boutique au coin de la rue sans respecter toutes les normes fiscales, sanitaires, d’ordre publique et de zonage. Il faut du savoir et du capital d’investissement pour faire cela. Vendre des repas préparés au bord de la rue est interdit. Il n’y a pas de perspectives pour les jeunes qui n’ont que ça à offrir. Par contre, nous travaillons, entre autres, avec l’Office international de la migration (Oim) pour la réinsertion des jeunes qui retournent chez eux. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, nous contribuons, en collaboration avec l’Oim, au retour des jeunes ivoiriens pour leur donner non seulement des perspectives, mais aussi les aider à trouver une place ici, les orienter vers des structures d’accueil. Spécifiquement, nous sommes partie prenante dans l’opération de rapatriement des jeunes ivoiriens bloqués en Lybie avec les ressources du Fond fiduciaire de La Valette de l’Union Européenne.

Selon vous, pourquoi c’est aujourd’hui que les grandes puissances, notamment occidentales, parlent beaucoup de l’immigration clandestine ? N’ont-elles pas vu les choses venir ?

Les approches sont très différentes si vous comparez l’Europe avec les Eeuu (Etats unis d’Amérique) ou avec l’Australie. Nous avons, en Europe, la particularité d’être proche des zones d’instabilité telles que le Proche-Orient avec des guerres et des conflits qui génèrent des refugiés. De l’autre côté, les Africains, ce sont nos voisins qui d’ailleurs comprennent la différence entre les économies africaines traditionnelles et celle des pays développées. Ils sont ouverts à la vie et à la civilisation européenne, ce qui est positif, mais ce qui occasionne parfois des fausses idées. Nous, par contre, on voudrait traiter les Africains comme de vrais voisins, ce qui constitue des défis en ce qui concerne le management de la migration.

Excellence, quel commentaire faites-vous sur l’environnement des affaires et le processus de réconciliation en Côte d’Ivoire ?

L’Allemagne coopère avec votre pays, dans le cadre du compact des G20, afin d’attirer et de mobiliser les investissements privés en Afrique. L’implantation de grands groupes allemands, comme dernièrement la Basf, prouve que notre partenariat est sur la bonne voie. Je suis en Côte d’Ivoire depuis bientôt cinq mois et cela fait trois grandes entreprises allemandes qui se sont implantées ici. Vous demandez comment on trouve le système judiciaire. Nos hommes d’affaires ont eu une attitude très diplomatique et ont travaillé avec des clients assez sérieux pour éviter des litiges. Je ne connais pas, actuellement, des litiges qui touchent nos entreprises. Mais, je vous donne la raison, un système judiciaire fiable est une composante nécessaire pour un bon climat d’investissement.

Que pensez-vous de la réconciliation nationale?

J’essaie de comprendre le sujet, d’abord par intérêt personnel, et par la sympathie que je porte à mes nouveaux amis ivoiriens. Je parle avec nombre d’interlocuteurs. J’ai eu des témoignages bien variés. Certains disent que c’est réglé, d’autres disent que ce n’est pas encore réglé. Lors des messages de fin d’année, il y a eu des mots importants du côté du gouvernement et des confessions religieuses. Je croix qu’il est indispensable de réussir cette réconciliation aux yeux du peuple. C’est avant tout un sujet interne de la Côte d’Ivoire. Et, je crois, dans l’intérêt de mes nouveaux amis ivoiriens, pour préserver la paix et pour maximiser les bénéfices de notre coopération en matière de développement, il faut impérativement réussir cette réconciliation.

Bientôt il y aura des élections municipales et sénatoriales. Qu’attendez-vous de la Côte d’Ivoire?

Il y a eu une réforme constitutionnelle, nous sommes en démocratie, il faut régulièrement des élections pour que les gens croient au système politique de leur pays. En ce qui concerne la Cei, il y a un jugement de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Donc je pense que la balle est dans le camp ivoirien. Je partage le point de vue du gouvernement selon lequel un pays a besoin de structures stables, comme d’ailleurs aussi notre coopération, en matière de développement ainsi que de l’économie, en a besoin pour être efficace. C’est donc important d’aller au renforcement des institutions d’un pays, c’est la raison pour laquelle les élections sont un élément fondamental. Pour que les résultats des élections puissent contribuer à légitimer les institutions et à pacifier le pays, il faut veiller à leur crédibilité et leur transparence. Et nous, en tant que partenaire de la Côte d’Ivoire, supportons tout effort à cette fin.

B M