Zimbabwé: « Monsieur le président, donnez-moi votre job ! »

Par Jeune Afrique - Zimbabwé. « Monsieur le président, donnez-moi votre job ! ».

Grace Mugabe, la femme du président zimbabwéen, le jour de la célébration de l'indépendance du pays, à Harare, 18 avril 2006. © AP/SIPA.

Par François Soudan
François Soudan est directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

Grace, Nkosazana, Ellen, Joyce, Isabel : elles sont cinq femmes puissantes nichées au cœur du pouvoir, de ses fortunes et de ses infortunes, dans le collimateur impitoyable des médias en cette fin d’année 2017.

À 52 ans, la Zimbabwéenne Grace Mugabe rêve de succéder à son époux de quatre décennies son aîné : elle ne s’en cache pas et ne néglige rien pour cela. Le 6 novembre, elle a obtenu de celui dont elle fut la secrétaire la peau du dernier crocodile qui lui tenait tête : le vice-président Mnangagwa, limogé comme le fut son prédécesseur, Mujuru, il y a trois ans.

En août, le même Mnangagwa, qualifié par elle de « serpent », avait dû être hospitalisé d’urgence en Afrique du Sud après avoir consommé une crème glacée provenant d’une laiterie appartenant à la Lady Macbeth de Harare. De cette trouble coïncidence, il était sorti physiquement affaibli. Cette fois, contraint de fuir le pays, celui qui fut pendant trente-sept ans l’un des piliers du régime vient d’appeler à son renversement.

Scène de ménage volcanique au Zimbabwe


Apparemment, le « camarade Bob » fait tout pour favoriser le scénario Grace

Pour Grace et ses trois rejetons, trois bombes à retardement à haute teneur en scandales bling-bling, la voie est désormais ouverte. À une condition cependant : que Robert Mugabe, 93 ans, cède son fauteuil de son vivant, à l’issue d’un congrès du parti arrangé d’avance. Car lui mort, rares sont les Zimbabwéens à accorder la moindre chance de survie politique à sa veuve.

D’où l’appel pressant et incroyablement explicite qu’elle lui a lancé le 5 novembre lors d’un meeting : « Je dis au président : vous devriez me laisser prendre votre place. N’ayez pas peur. Si vous voulez me donner votre poste, donnez-le-moi, je ferai très bien le job parce que je suis la meilleure ! » Qu’en pense le principal intéressé ? Apparemment, le « camarade Bob » fait tout pour favoriser le scénario Grace, mais une autre partie de lui continue de résister.

Le parti au pouvoir a d’ores et déjà annoncé sa candidature à la présidentielle de juillet 2018 et le despote éternel s’est même fendu, début septembre, d’un commentaire pour le moins ambigu : « Je ne peux pas laisser ma femme au pouvoir comme ça se passe dans certains pays francophones [sic]. Nous ne mangeons pas de ce pain-là ! » La scène de ménage volcanique qui a suivi a fait jaser tout Harare.

En Afrique du Sud, Mme Zuma, clivante et absente

Dans un pays voisin, une (ex-)épouse de chef d’État fait au même moment le même rêve. À 68 ans, Nkosazana Dlamini-Zuma (NDZ) saura fin décembre, à l’issue du congrès de l’ANC, si son projet mûri de longue date de succéder à Jacob Zuma a des chances de se réaliser.

À la différence de Grace Mugabe, dont l’ascension doit tout à la promotion canapé, Mme Zuma a un passé plus qu’honorable de résistante antiapartheid. Certes, ses quatre ans à la tête de la commission de l’Union africaine se sont soldés par un échec. À la fois clivante et absente, sans vision ni communication, volontiers clanique et inaudible sur les grandes crises – d’Ebola au Darfour en passant par la RD Congo –, elle n’est jamais parvenue à se hisser sur le toit de l’Afrique, obsédée par son avenir politique dans son propre pays.


En Afrique du Sud on peut être visé par 783 plaintes pour corruption et demeurer chef de l’État

Il faut dire que les Sud-Africains en général se soucient peu du reste du continent et que les contre-performances de NDZ à Addis-Abeba sont largement passées inaperçues au sud du Limpopo. En revanche, les toutes récentes révélations sur le financement présumé de sa campagne par de sulfureux hommes d’affaires italiens et grecs soupçonnés de se livrer à la contrebande de cigarettes risquent fort de plomber sa trajectoire à quelques semaines du but.

Mme Zuma, qui attribue ces imputations à un complot du « capitalisme blanc » contre sa candidature, fait front contre The President’s Keepers, le livre-enquête à l’origine du scandale, dont elle exige l’interdiction. Il est vrai qu’en Afrique du Sud on peut être visé par 783 plaintes pour corruption et demeurer chef de l’État.

Au Malawi, Joyce Banda face au « cashgate »

Joyce Banda, elle, ne l’est plus, présidente. Mais, à 67 ans, son passé la rattrape. Depuis trois mois, celle qui dirigea le Malawi pendant deux ans, de 2012 à 2014, avant de s’incliner non sans hésitation devant le verdict des urnes, est sous le coup d’un mandat d’arrêt international délivré par la justice de son pays.

En cause : la vente dans des conditions opaques du jet présidentiel, mais surtout le scandale du « cashgate », 250 millions de dollars évaporés alors que Mme Banda caracolait en tête du petit peloton des Africaines au classement Forbes des femmes influentes, déjeunait avec Hillary Clinton et dînait avec Madonna. L’objectif qu’elle s’était fixé – revenir au pouvoir en 2019 – semble donc hors d’atteinte. Surtout depuis les États-Unis, où elle se morfond dans l’incertitude des lendemains qui déchantent.

Au Liberia, « Maman Ellen » et les inquiétudes sur la transition démocratique


En Afrique aussi, les femmes de pouvoir sont des hommes comme les autres

Des lendemains dont Ellen Johnson-Sirleaf, 79 ans, ne sait plus de quoi ils seront faits. La présidente du Liberia est en passe de rater une sortie que la communauté internationale s’apprêtait à saluer. Accusée par son vice-président Joseph Boakai, qualifié pour le second tour, de soutenir en sous-main son concurrent George Weah, « Maman Ellen » a confié aux présidents guinéen et togolais, accourus à Monrovia début novembre pour une médiation, combien elle était « peinée » de se voir ainsi soupçonnée de déloyauté.

Mais elle n’a pas convaincu, et de lourdes incertitudes pèsent sur le déroulement de la première transition démocratique depuis trois générations. Comme quoi on peut être Prix Nobel et rendre une copie imparfaite. Tout comme on peut être fille à papa, attribuer sa réussite à son seul talent – au demeurant indéniable –, au point d’occulter un bonus héréditaire qui pourtant crève les yeux, puis se retrouver démunie une fois que papa n’est plus le chef.

Tel est sans doute le destin qui guette la cinquième femme de notre quintet, l’Africaine la plus riche, Isabel dos Santos, 44 ans. Quel Angolais parierait un kwanza sur sa pérennité à la tête de la compagnie nationale pétrolière Sonangol, maintenant que João Lourenço place peu à peu ses hommes, imprime son autorité et s’apprête à lancer des audits sur tous les secteurs où régnait la « Princesa » ?

Heurs et malheurs, puissance, argent, famille, une conclusion s’impose : en Afrique aussi, les femmes de pouvoir sont des hommes comme les autres.

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