Côte d'Ivoire: Au coeur de la guerre Ouattara-Soro, Par Ferro Bally

Par IvoireBusiness/ Débats et Opinions - Côte d'Ivoire. Au coeur de la guerre Ouattara-Soro, Par Ferro Bally.

Guillaume Soro et Alassane Ouattara. Rien ne va plus. La guerre entre les deux hommes fait rage.

Alassane Ouattara (à gauche sur la photo) est devenu un père Fouettard. Las des caprices de son filleul Soro Kigbafori Guillaume (à droite), il a abandonné la carotte pour le bâton. La boulimie du pouvoir qui a gagné ce dernier est irrésistible et le pousse à tous les bras de fer.

Sur l’exemple de son mentor… Ouattara. En octobre 1999, Alassane Dramane Ouattara, président du RDR, tenait ces propos dangereux à Paris, capitale de la France, au cours d’une conférence de presse: «On m’empêche d’être candidat à la présidentielle (de 2000) parce que je suis musulman et du Nord de la Côte d’Ivoire».

En réalité, comme il le reconnaissait lui-même, il ne répondait pas aux critères d’éligibilité. «Le nouveau Code électoral ne me permet pas d’être candidat. Et comme je suis attaché à la légalité, il ne m’est pas possible de faire acte de candidature. Je ne veux pas violer la loi», se confiait Ouattara dans une lucidité républicaine pour rejeter la proposition de candidature du RDR (Cf. Jeune Afrique n°1812 du 28 septembre au 4 octobre 1995).

Mais, ayant choisi plus tard de violer la loi, il fallait trouver un coupable: l’Ivoirité, concept accusé de catégoriser les Ivoiriens et d’exclure les ressortissants du Nord du pays. «Dans certaines régions de la Côte d’Ivoire, quand vous vous appelez Ouattara, Coulibaly ou Touré et que vous allez demander une pièce d’identité, vous avez tous les problèmes. Ce n’est pas croyable, ce n’est pas acceptable ce qu’on fait subir aux gens», s’emportait-il.

Le président Henri Konan Bédié en paya le prix le 24 décembre 1999. Il sera renversé par des «Jeunes gens», des soldats qui s’étaient à l’origine mutinés pour réclamer leurs primes de la Mission des Nations unies de la République centrafricaine (Minurca).

En octobre 2017, Soro Kigbafori Guillaume a, lui aussi, maille à partir, pas avec la loi mais avec les autorités ivoiriennes. Il est, comme Ouattara, du Nord de la Côte d’Ivoire, mais de confession chrétienne.

Soro est en règle vis-à-vis des règles d’éligibilité mais il est victime d’une autre forme d’Ivoirité, les règlements de compte et les peaux de banane.

L’État s’est déterminé à utiliser tous les moyens, des plus tordus aux plus légaux, pour lui barrer la route de la présidentielle de 2020.
Les unes après les autres, les têtes de ses principaux partisans tombent. Certains sont limogés de leur poste comme Issiaka Fofana, ancien directeur général de la Lonaci, d’autres sont arrêtés et écroués, comme Koné Kamaraté Souleymane dit Soul To Soul, son directeur de protocole.

C’est une chasse à l’homme qui rappelle les heures politiques sombres vécus particulièrement en 1999 dans la confrontation entre Bédié et Ouattara. Le 9 septembre, Nabintou Ouattara, présentée comme la mère de Ouattara, est interrogée dans un climat de vive tension par la Police judiciaire sur «la sincérité» des documents d’identité d’Alassane Ouattara.

Le 21 septembre, l’État a ouvert une information judiciaire contre Ouattara pour «faux commis dans les documents administratifs (ses cartes d’identité ivoirienne du 19 avril 1982 et du 22 octobre 1990), usage de faux, complicité» conclu par un mandat d’arrêt international en novembre contre Ouattara, alors en exil en France.

Interpellés puis jugés, en application de la loi n° 92-464 du 30 juillet 1992 portant répression de certaines formes de violences, dite «loi anti casseur», les dirigeants du RDR dont la Secrétaire générale Mme Dagri Henriette, épouse Diabaté ont été condamnés par le Tribunal correctionnel d’Abidjan, en son audience publique du vendredi 12 novembre 1999, à 24 mois d’emprisonnement.

Le 19 septembre 2002, Soro Guillaume et ses hommes prenaient donc les armes pour conduire un mouvement insurrectionnel à l’effet de renverser le régime de Laurent Gbagbo et installer Ouattara. Ils ont réussi, avec la caution des parrains de la nébuleuse internationale, leur opération: Ouattara, à l’issue du plus long coup d’État (militaire et constitutionnel) de l’histoire humaine, préside depuis avril 2011 aux destinées de la Côte d’Ivoire.

Le braquage politique a été un franc succès. Le partage du gâteau s’est assez bien déroulé, mais les pommes de discorde sont apparues et grippent la machine. Deux variantes du problème comme les inconnues d’une équation mettent Ouattara au pied du mur et le contraignent à un choix déchirant. Le PDCI-RDA qui s’est fait hara-kiri en 2015 à son profit est dans le starting-block pour 2020, attendant, comme dans une tontine, le retour de l’ascenseur.

Soro Guillaume qui a tiré les marrons du feu, avec ainsi de nombreux dossiers judiciaires pendants, n’entend point s’en laisser conter dans cette dévotion anti-démocratique du pouvoir. Ouattara a fait son choix. Ce sera certainement le PDCI-RDA avec un homme-lige pour lui succéder en 2020.

Deux raisons semblent guider sa décision. La première, l’ex-parti au pouvoir a pesé de tout son poids dans la balance. D’un, le président Bédié a accepté, même de mauvaise grâce, d’être spolié de 600.000 voix au premier tour de la présidentielle du 31 octobre pour que Ouattara soit au second tour avec Laurent Gbagbo, le président sortant.

Dans son ouvrage «Pour la vérité et la justice», écrit en collaboration avec le journaliste français François Mattéi et paru le 26 juin 2014 aux Éditions du Moment, Laurent Gbagbo est formel: «Alassane Ouattara n’est jamais arrivé deuxième, et n’était donc pas qualifié pour le second tour. C’est Bédié qui était deuxième. Bédié, c’est Ésaü: il a vendu son droit d’aînesse contre un plat de lentilles.»

De deux, exclu du second tour de la présidentielle, Bédié, ressortissant de l’importante communauté sociologique baoulé et considéré comme l’héritier politique de Félix Houphouët-Boigny, va faire contre mauvaise fortune bon cœur. Il déroule le tapis rouge à Alassane Ouattara. Le 07 novembre 2010, à Yamoussoukro et avant le second tour du 28 novembre 2010, il sort le grand jeu.
A son initiative, plus de 2000 chefs coutumiers baoulé (chefs de village, de canton et de tribu) des trois grandes régions du Centre de la Côte d’Ivoire, à savoir la Vallée du Bandama (aujourd’hui Gbèkè), des Lacs (aujourd’hui District de Yamoussoukro et Bélier) et du N’Zi Comoé se sont retrouvés, pour solennellement prendre l’engagement, dans l’enceinte même de la résidence du Président Houphouët-Boigny, de soutenir et de voter massivement le candidat du Rhdp, Alassane Ouattara, rebaptisé, pour la circonstance, Allah N’Guessan ou N’San par la chefferie baoulé.

Et il ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Pour la présidentielle de 2015, contrairement à la plate-forme de l’accord créant le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) et prenant le contre-pied des résolutions du 12è Congrès ordinaire du Pdci-Rda (03 au 06 octobre 2013), Bédié a lancé, le 17 septembre 2014, «l’Appel de Daoukro» en faveur de la candidature unique de Ouattara.

La seconde raison qui semble échapper à tout le monde est celle-ci: la rébellion armée conduite par Soro et baptisée Forces nouvelles n’a été que la face visible d’un immense iceberg. Car, comme le déclarait Gbagbo à la CPI, «c’est la France qui a fait le boulot» depuis le départ (déclenchement de la rébellion armée) jusqu’à l’arrivée (prise du pouvoir) au triple plan politique, diplomatique et militaire.

La branche politique de la rébellion armée n’a été que le faire-valoir de tous les arrangements politico-diplomatiques. Vous ne l’avez-vous pas remarqué? C’est à Ouattara que Soro a présenté sa démission de Premier ministre de Gbagbo. Et les hommes du général Soumaïla Bakayoko, chef d’état-major des Forces armées des forces nouvelles (Fafn), n’ont été que des tirailleurs de la crise armée.

Car alors qu’ils ont attaqué simultanément et à l’improviste Abidjan, Bouaké et Korhogo, ils ont été repoussés d’Abidjan d’où ils ont battu en retraite. Ils ont en définitive évité la bérézina grâce aux Français qui les ont couverts, équipés et entraînés durant toute cette période: en 2002-2003, ce sont les Français qui sous de fallacieux prétextes de sortie de leurs ressortissants de Bouaké et Korhogo, ont empêché l’offensive des Forces de défense et de sécurité (Fds) et l’installation du kyste rebelle à Bouaké; en 2004, ce sont les Français qui ont détruit tout l’aéronef militaire des Fds pour neutraliser sa puissance aérienne et en 2011, ce sont encore les Français qui ont livré Gbagbo aux rebelles après une intense campagne de bombardement de sa résidence officielle.

C’est pourquoi Ouattara a toujours ostensiblement pris ses distances avec la rébellion armée qu’il n’a jamais ouvertement revendiquée. Et s’il a essayé de caresser les animateurs de cette insurrection dans le sens du poil pour les risques pris, il n’est pas prêt à se laisser dicter ses positions. D’où après la mise hors d’état de nuire de tous les chefs de guerre, le dédommagement au forceps des ex-combattants et la neutralisation des réseaux pro-Soro, le rouleau compresseur déployé pour étouffer le président de l’Assemblée nationale et ses ambitions.

Car Ouattara semble laisser une alternative à Tiénigbanani, surnom de Soro qui signifie enfant terrible: se soumettre ou se démettre. A la guerre comme à la guerre. Même si la secrétaire générale du RDR, Kandia Camara-Kamissoko, joue les apaisements, refusant de jeter de l’huile sur le feu.

Par Bally Ferro