Décryptage: Pourquoi faut-il quatre ans pour juger Laurent Gbagbo ? (Le Monde)

Par Le Monde - Décryptage. Pourquoi faut-il quatre ans pour juger Laurent Gbagbo ? (Le Monde).

Le Président Laurent Gbagbo à la CPI. Image Le Monde Peter Dejong.

Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)

Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devraient parcourir encore longtemps et au quotidiennement le trajet de deux kilomètres qui sépare la prison de Scheveningen, dans une banlieue cossue de La Haye, aux Pays-Bas, de la salle d’audience de la Cour pénale internationale (CPI). Le procès de l’ancien président ivoirien et de son éphémère ministre de la jeunesse, accusés de crimes contre l’humanité commis à la suite de la présidentielle de novembre 2010 en Côte d’Ivoire, devrait en effet nécessiter plusieurs années.

Pourquoi une telle durée ? Le procureur a annoncé l’audition de 138 témoins, dont le premier devrait déposer dès la semaine prochaine, et un dossier de quelque 10 000 pièces à convictions, parmi lesquelles des centaines d’heures de vidéo. Dans le système de la cour, chaque témoin est d’abord interrogé par le procureur, puis contre-interrogé par la défense des deux accusés, éventuellement par les représentants des victimes. Ces dépositions peuvent prendre de quelques heures à plusieurs semaines.

Vers avril ou mai, après l’audition des quatre premiers témoins, la cour devrait se rendre en Côte d’Ivoire, sans les accusés, pour examiner les quatre sites des crimes dont sont accusés MM. Gbagbo et Blé Goudé.

La salle d’audience de la Cour pénale internationale à La Haye, au premier jour du procès de Laurent Gbagbo. i
Plusieurs mois pour le seul verdict

Le procès est aussi ralenti par l’interprétation simultanée des audiences en anglais et en français. Le président de la chambre, le procureur et l’avocat principal de Charles Blé Goudé s’exprimeront en anglais, tandis que la représentante des victimes et les défenseurs de Laurent Gbagbo parleront en français. De plus, parmi les 138 témoins de l’accusation, 21 devraient s’exprimer en dioula.

Lorsque le procureur aura bouclé l’audition de ses témoins, les avocats présenteront la contre-preuve et appelleront à leur tour leurs témoins, parmi lesquels pourraient aussi compter les deux accusés.

Ce sera ensuite le temps des plaidoiries finales avant que les juges ne se retirent pour délibérer. Il faut habituellement plusieurs mois avant qu’ils ne prononcent le verdict, puis quelques semaines plus tard, si les accusés sont condamnés, la sentence.

A cela peut s’ajouter des contraintes logistiques, comme les difficultés à faire venir les témoins jusqu’à La Haye.

Quatre ans pour Milosevic, six pour Taylor

Le procès, qui s’est ouvert jeudi 28 janvier, pourrait donc durer au moins quatre ans. Une durée qui n’est pas inhabituelle pour la justice internationale. Jugé par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Slobodan Milosevic devait répondre de 66 chefs d’accusations, dont celui de génocide. Son procès avait duré quatre ans, au cours desquels plus de 350 témoins avaient déposé. Il aurait duré encore si l’accusé n’était pas mort d’une crise cardiaque dans sa cellule avant la fin de l’affaire. Le dossier était néanmoins autrement plus complexe que celui de Laurent Gbagbo : les crimes couvraient quatre ans de guerre en Bosnie-Herzégovine et en Croatie, contre cinq mois de troubles pour l’ancien président ivoirien.

Quant à Charles Taylor, l’ancien président du Liberia (1997-2003) jugé par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, il avait été condamné en 2012 à cinquante ans de prison à l’issue de six ans de procès.

Stéphanie Maupas

La Haye, correspondance

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