Le Christianisme en Afrique: Enrichissement ou appauvrissement ? Par Jean Claude Djereke

Par IvoireBusiness/ Débats et Opinions - Le Christianisme en Afrique: Enrichissement ou appauvrissement ? Par Jean Claude Djereke.

La Bible. Image d'illustration.

Selon un article écrit par Gilbert Koimé en 2012, “les peuples africains passent la majeure partie de leur temps dans les églises en train de prier et de supplier Dieu” mais, “en retour, le résultat escompté est très maigre [car] la paupérisation, la misère, la souffrance, les guerres, le sous-développement sont leur lot quotidien” alors que “les Européens, qui n’appliquent pas les paroles bibliques continuent de prospérer et de dominer ceux qui dorment dans les temples pour louer Dieu, ont toujours dominé et ont toujours fait le mal sans que le Dieu de justice n’intervienne”. Pour Koimé, la Bible a peu d’impact sur la vie des Africains, ce qui le conduit naturellement à se demander si “ce Dieu de la Bible” convient aux Africains, si ces derniers ne gagneraient pas à “adorer le Dieu initial que nous avions avant l’arrivée des Blancs en éliminant bien sûr les pratiques unanimement reconnues mauvaises et en ajoutant ce que le Blanc nous aurait apporté de positif de la Bible.” Une telle option, estime-t-il, nous permettrait à la fois d’être maîtres de notre destin et maîtres chez nous comme “les peuples asiatiques [qui] en aucun cas n’ont rejeté du revers de la main leur culture pour embrasser uniquement la culture occidentale ”.
Koimé a-t-il raison de soutenir que, si l’Afrique continue d’être dominée, méprisée, piétinée et exploitée par l’Occident, c’est en partie parce que nous avons accepté le mensonge occidental selon lequel notre culture (coutumes, religions, savoirs et savoir-faire, etc.) avait moins de valeur que celle des Occidentaux ? Oui, parce que notre culture avait beaucoup de bonnes choses. Tous ceux qui sont nés après la colonisation auraient dû faire tout leur possible pour garder cette culture, non pas telle quelle, mais en l’expurgeant de ses éléments négatifs. Malheureusement, nous avons laissé le Blanc tuer notre culture. Puis, sans gêne ni discernement, nous avons embrassé la sienne. Or ce “meurtre” culturel que nous avons entériné n’a jamais empêché ceux qui nous ont fait connaître l’Évangile de nous traiter comme des sous-hommes.
Comment les choses se sont-elles passées en Asie (Chine, Inde, Japon, etc.) ? Il y a certes des chrétiens et des musulmans sur ce continent mais ce sont le Bouddhisme, le Confucianisme et l’Hindouisme, religions du terroir, qui y draînent le plus de monde. Les Asiatiques sont respectés et craints par les Occidentaux et l’Occident songera difficilement à les traiter comme il traite les Africains. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont pas aussi perméables que nous, parce qu’ils ne se laissent pas impressionner aussi facilement que nous, parce que, hormis une minorité qui s’est convertie au Christianisme et à l’Islam, ils ont conservé les religions de leurs ancêtres. Les Africains, eux, ont jeté ou abandonné les religions de leurs ancêtres pour embrasser celles de l’Occident, de l’Orient et de l’Arabie. Or, écrit John Henrik Clarke, “chaque fois que vous vous détournez de votre propre conception de Dieu, vous n’êtes plus un homme libre. Nul besoin de mettre des chaînes sur votre corps, parce que les chaînes sont sur votre esprit. Chaque fois que quelqu’un vient vous dire que votre Dieu est laid, de vous débarrasser de votre Dieu et de rejoindre son Dieu, il n’y a aucun espoir pour votre liberté jusqu’à ce que vous croyiez une fois de plus dans votre propre concept de la «divinité». Et c’est ainsi que nous sommes pris au piège. Nous avons été éduqués à croire le concept de la divinité de quelqu’un, et la norme de la beauté de quelqu’un d’autre ”. Nous avons ainsi adopté les religions des autres quoique les autres ne soient point intéressés par les nôtres. Nous en sommes si fiers que nous serions prêts à tuer ou à mourir pour elles. Fort bien, mais ces religions étrangères, qui sont loin d’avoir vraiment adopté l’homme africain, lui ont-elles fait du bien ? L’ont-elles libéré de l’ignorance, de la peur, de la maladie et de la domination occidentale ? Certains répondront (et personne ne pourra les contredire) que le christianisme a construit écoles et hôpitaux, qu’il a pris la défense de la femme dans tel ou tel pays africain où elle était brimée, maltraitée et opprimée . Mais le même Christianisme a-t-il, par l’intermédiaire du Vatican et/ou des missionnaires catholiques français, condamné l’ingérence de la France dans nos affaires, le pillage de nos richesses, les coups d’État et rébellions fomentés depuis 1960 par les gouvernements français en Afrique ? A-t-il protesté quand Um Nyobè, Olympio, Lumumba, Sankara et d’autres grands patriotes africains furent assassinés par l’Occident ? Comment comprend-il et comment applique-t-il cette parole de Yahveh : “Voici le jeûne auquel je prends plaisir: Détache les chaînes de la méchanceté, Dénoue les liens de la servitude, Renvoie libres les opprimés, Et que l'on rompe toute espèce de joug” (Esaïe 58, 6)?
On le voit : l’évaluation de l’apport ou de l’action du Christianisme en Afrique ne saurait se limiter aux centres de santé et écoles bâtis par les missionnaires. C’est plutôt à un bilan global ou intégral qu’il convient de se livrer. La question de la souveraineté et de la liberté devrait figurer en bonne place dans ce bilan car qu’est-ce qu’un homme instruit qui n’est pas maître de sa destinée ? Que pèse un homme sachant lire et écrire mais n’ayant aucune prise sur les richesses de son sol et sous-sol ? Je repose donc ma question : le Christianisme, l’Islam et le Judaïsme ont-ils fait du bien à l’homme africain ? L’ont-ils élevé ? L’ont-ils rendu meilleur ? Lui ont-ils apporté plus de paix, de considération, de liberté et de justice ? Pour Mbombog Mbog Bassong, “une fois mises en place, ces religions ont été utilisées à des fins politiques de domination, de conquêtes de territoires et de manipulation mentale des masses à travers le monde, d’esclavage et de colonisation de l’Afrique ”. Il ajoute : “Ces religions ont semé la terreur et la désolation et la destruction depuis qu’elles sont rentrées en Afrique, ce qui fait que le bilan de ces religions en Afrique est un bilan négatif ”:
Je ne dirai pas, comme Bassong, que le bilan du Christianisme en Afrique est totalement négatif pour une raison que j’ai déjà mentionnée : il a construit non seulement des hôpitaux mais des écoles d’où sont sortis la plupart de ceux qui dirigent nos pays aujourd’hui. Cela dit, je constate avec regret que les Africains sont incapables de parler d’une même voix sur des sujets importants, du fait de leur appartenance à des religions qui n’ont pas toujours les mêmes doctrines et la même conception de Dieu. À titre d’illustration, je citerai le cas de la Côte d’Ivoire où les évêques catholiques ont demandé la libération des prisonniers politiques, le 22 mai 2016. Les prélats veulent l’élargissement des pro-Gbagbo incarcérés depuis 5 ans sans jugement pour trois raisons : la guerre de 2010-2011 a opposé deux camps; des violences et crimes ont été commis par les deux camps; la justice ne devrait donc pas inculper un seul camp . Les imams, eux, gardent le silence; ils refusent de se prononcer. Mais, s’il est vrai que “qui ne dit mot consent”, un tel silence peut-il être interprété autrement que comme une complicité avec le régime dictatorial d’Abidjan ?
Mbog Bassong préconise que “nous devons retourner à nous, cesser d’être l’autre et redevenir Nous ”. J’ignore combien d’Africains suivront son conseil et oseront quitter les religions étrangères pour devenir adeptes du Bwiti (Gabon), du Vodun (Bénin), du Dehima (Côte d’Ivoire), du Matsouanisme (Congo-Brazzaville), du Kimbanguisme (Congo-Kinshasa), etc. Je sais, en revanche, combien il est important pour un peuple de parler le même langage, d’avoir une position commune, d’être soudé quand la vie ou la mort du groupe du groupe est en jeu. Or les religions étrangères nous ont divisés. Certaines Églises “chrétiennes”, qui voient la sorcellerie partout, ont commencé à séparer les enfants des parents, la femme du mari, le frère de la sœur. À cette allure, le groupe ne risque-t-il pas de disparaître simplement? Chinua Achebe avait déjà vu le danger à travers l’oncle d’Okonkwo qui déclarait: “J’ai peur pour vous autres jeunes parce que vous ne comprenez pas quelle force ont les liens de famille… Un homme peut maintenant abandonner son père et ses frères. Il peut maudire les dieux de ses pères et ses ancêtres, comme le chien du chasseur qui… devient fou et se retourne contre son maître .”

Une contribution de Jean-Claude Djereke