« Brexit » : le jour où le Royaume-Uni est sorti de l’Union

Par Le Monde - « Brexit » : le jour où le Royaume-Uni est sorti de l’Union.

Le 24 juin, David Cameron annonce qu’il démissionnera dans les trois mois. STEFAN WERMUTH / REUTERS.

L’Union européenne (UE) s’est endormie à vingt-huit jeudi 23 juin, elle s’est réveillée à vingt-sept vendredi. Près de 52 % des Britanniques ont voté leave (« quitter » l’UE), jeudi, lors du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE, ouvrant la porte vers une nouvelle histoire semée d’incertitude. Récit d’une journée de « Brexit ».

4 h 44, une nouvelle aube

La rumeur est montée crescendo au cours de la nuit. Et si, après avoir été annoncé perdant dès la fermeture des bureaux de vote, à 22 heures, le vote en faveur du Brexit l’emportait finalement ? Dans les bureaux de la City, certains n’ont pas fermé l’œil.

Au cœur de la nuit, à mesure que les résultats des bureaux tombent, le scénario d’une majorité pour le Brexit s’affine. Nigel Farrage, leader du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (United Kingdom Independence Party, UKIP), qui avait prédit sa défaite, change de ton. « Je commence à rêver que l’aube se lève sur un Royaume-Uni indépendant », écrit-il sur Twitter. Il est 4 h 44.

Nigel Farage
✔ ‎@Nigel_Farage

I now dare to dream that the dawn is coming up on an independent United Kingdom.

04:44 - 24 Juin 2016
Une heure plus tard, l’issue ne fait plus guère de doute. Les Britanniques ont voté à 51,9 % pour que leur pays quitte l’Union, qu’ils avaient rejointe en 1973. Les résultats du référendum montrent un Royaume-Uni profondément divisé, avec Londres, l’Ecosse et l’Irlande du Nord qui ont voté pour rester dans l’UE, tandis que le nord de l’Angleterre et le Pays de Galles ont voté pour la sortie. Pour les Vingt-Huit, c’est un choc : jamais un membre de l’Union ne l’a quittée depuis le début de son histoire.

Le choc arrive par les marchés

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Des traders, dans le quartier d’affaire Canary Wharf, à Londres, le 24 juin.
Au fil du dépouillement, la Bourse de Tokyo commence à tanguer dans la nuit, face aux grandes incertitudes financières qu’augure le Brexit. L’indice Nikkei termine sa dégringolade à 7,92 % – un plongeon jamais vu depuis la chute de Lehman Brothers, en 2008. A l’ouverture des Bourses européennes, rebelote : à Paris, le CAC 40 perd 5 % ; le FTSE à Londres comme le DAX à Francfort baissent de 10 %, entraînés par la chute des indices bancaires, qui frôle 30 % – les banques avaient majoritairement parié sur la victoire du non au Brexit.

Dans toute l’Europe, c’est un réveil de gueule de bois : sur les réseaux sociaux, au Royaume-Uni et ailleurs, stars et anonymes disent leur tristesse de voir le Brexit l’emporter. L’écrivaine J. K. Rowling, qui a fait campagne contre le Brexit, réconforte ses lecteurs sur Twitter, avec un humour tout britannique. A un internaute londonien hostile au Brexit qui disait : « Nous sommes ouverts, nous aimons la diversité et la compassion », elle répond : « Je vous aime, et Londres aussi – enfin, je vous aime d’une manière qui ne nous mette pas, vous ou moi, mal à l’aise, nous restons anglais. »

J.K. Rowling
✔ ‎@jk_rowling

I love you, Sathnam*, and London too.

* In a way that should make neither of us uncomfortable #British #emotional https://twitter.com/Sathnam/status/746232606249746432

08:51 - 24 Juin 2016

Dans les journaux, les éditoriaux allemands ou français sont sévères, ils dénoncent « une catastrophe historique » ou « un jour noir ». En Grande-Bretagne, les tabloïds, qui ont presque tous fait campagne pour le Brexit, exultent, tout comme les sympathisants du UKIP.

Ces derniers déchantent quelque peu en milieu de matinée lorsque Nigel Farage, leader du parti, reconnaît sur un plateau de télévision que l’un des arguments massue de sa campagne, qui consistait à dire qu’en cas de Brexit la contribution de la Grande-Bretagne serait reversée à la sécurité sociale, était tout simplement faux.

« Je pense que le pays a besoin d’un nouveau leader »

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Le 24 juin, David Cameron annonce qu’il démissionnera dans les trois mois.
Peu après 9 heures, sur le perron du 10 Downing Street, l’air grave, David Cameron annonce sa démission du gouvernement dans les trois mois. « Je pense que le pays a besoin d’un nouveau leader », a déclaré celui qui avait pris l’initiative du référendum et qui avait milité pour le maintien de son pays dans l’UE.

« Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, ces prochaines semaines et ces prochains mois, pour stabiliser le navire, mais je ne pense pas qu’il soit bénéfique que je sois le capitaine qui dirige notre pays vers sa nouvelle destination », a-t-il dit, s’estimant incapable de mener les négociations qui s’ouvrent pour avaliser le départ du pays. Il assurera la transition, qui durera au maximum jusqu’en octobre, espère-t-il, lorsque sa formation politique, le Parti conservateur, désignera un nouveau leader.

M. Farage exulte devant une foule en délire : « Nous l’avons fait pour l’Europe entière. J’espère que cette victoire fera tomber ce projet raté et nous guidera vers une Europe de nations souveraines. Débarrassons-nous du drapeau [européen], de Bruxelles et de tout ce qui a échoué. Faisons de ce 23 juin notre jour d’indépendance ! »

En Ecosse, à l’inverse, c’est le choc : on s’y est prononcé à 62 % pour rester dans l’UE. L’ensemble des 32 circonscriptions écossaises ont choisi le maintien. Dans la matinée, Nicola Sturgeon, première ministre de l’Ecosse, déclare que la région voit « son avenir au sein de l’Union européenne ». Elle ajoute : « La possibilité d’un second référendum [sur l’indépendance de l’Ecosse par rapport au Royaume-Uni] doit être sur la table, et elle est sur la table. »

Un « coup porté » à l’Union

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Angela Merkel s’exprime devant la presse au sujet du vote en faveur du Brexit. JOHN MACDOUGALL / AFP

Tour à tour, au fil de la journée, les dirigeants européens prennent acte de la défection de leur partenaire britannique. Angela Merkel met en garde contre « le coup porté » à l’UE et « au processus d’unification européenne ». Matteo Renzi, chef du gouvernement italien, juge essentiel de « rénover » la maison Europe.

Dans une allocution, François Hollande tente de placer la France au cœur d’un renouveau européen, pour faire face à une situation qu’il regrette « profondément » et qui met « gravement l’Europe à l’épreuve ». « L’Europe ne peut plus faire comme avant », ajoute-t-il, et l’appelle désormais à « se concentrer sur l’essentiel », une feuille de route dont les têtes de chapitre seraient « l’investissement pour la croissance et pour l’emploi », l’« harmonisation fiscale et sociale » ainsi que « le renforcement de la zone euro et de sa gouvernance démocratique ».

Lire aussi : « Brexit » : Bruxelles tente d’éviter la contagion http://www.lemonde.fr/referendum-sur-le-brexit/article/2016/06/24/brexit...

La classe politique française apparaît divisée face au choix des Britanniques. « La plus grosse erreur que nous pourrions faire, ce serait de laisser entendre qu’à vingt-sept on peut continuer comme avant », déclare Alain Juppé, candidat à la primaire de la droite, tandis que son possible adversaire Nicolas Sarkozy demande « un nouveau traité européen ».

Pour Marine Le Pen, c’est une « victoire de la liberté »

« L’urgence, c’est de rebâtir un projet européen ambitieux, avec les citoyens », estime le socialiste Harlem Désir, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes. La gauche radicale s’engouffre dans la porte ouverte par le Brexit. « L’heure du plan B va sonner. Ma candidature pour l’élection présidentielle est celle de la sortie des traités européens », assure Jean-Luc Mélenchon, candidat pour le Parti de gauche.

Sans surprise, le Front national (FN) se réjouit du vote des Britanniques en faveur de leur sortie de l’UE. « Victoire de la liberté ! Comme je le demande depuis des années, il faut maintenant le même référendum en France et dans les pays de l’UE », écrit Marine Le Pen, présidente du FN, sur Twitter.

Et demain ?

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Boris Johnson, ancien maire conservateur de Londres, le 24 juin. POOL / REUTERS

Sur les places boursières, c’est toujours la stupéfaction. Toutes clôturent en baisse : moins 8,04 % pour Paris, moins 6,82 % pour Francfort, moins 12,35 % pour Madrid, moins 12,48 pour Milan et moins 3,39 % pour New York. Londres démarre la journée en chute libre, mais la termine par une chute modeste de 2,76 %. Dans la journée, la Banque d’Angleterre s’engage à injecter 250 milliards de livres de liquidités dans l’économie, pour stopper la panique qui s’empare de la Bourse de Londres.

Dans combien de temps le divorce sera-t-il prononcé ? Le plus vite possible, réclament les partenaires européens. Tout délai « prolongera de manière non nécessaire un climat d’incertitude », préviennent les présidents du Conseil européen Donald Tusk, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker le président du Parlement européenne Martin Schulz, ainsi que le premier ministre des Pays-Bas Mark Rutte, qui détient actuellement la présidence tournante de l’Union.

Lire aussi : Les modalités de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne http://www.lemonde.fr/referendum-sur-le-brexit/article/2016/06/24/le-cal...

Les Britanniques semblent toutefois moins pressés de précipiter leur départ, dans un contexte où ils devraient renégocier de nombreux traités. M. Cameron a annoncé qu’il laissera à son successeur le soin de s’y atteler. « Il n’y a actuellement nul besoin de se hâter », renchérit Boris Johnson, ancien maire conservateur de Londres, qui ressort comme l’homme fort des tories après qu’il a fait campagne pour le Brexit.

En fin de journée, le calendrier des jours à venir s’éclaircit – lundi, une rencontre aura lieu entre François Hollande, Matteo Renzi et Angela Merkel avant le conseil européen de mardi et mercredi. Mardi un débat aura lieu en France au Parlement, après un discours du premier ministre Manuel Valls. En Grande-Bretagne, l’incertitude persiste : après le départ annoncé de M. Cameron et les exhortations des dirigeants de l’Union à hâter le processus, la balle est à nouveau dans le camp en faveur du Brexit, avec M. Johnson en tête.

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