Scandale: Explosion contre le président zimbabwéen

Par Le Monde - Explosion contre le président zimbabwéen.

Explosion contre le président zimbabwéen. Les services de secours après l’attaque visant le président Emmerson Mnangagwa à Bulawayo (Zimbabwe) , le 23 juin.

En Ethiopie et au Zimbabwe, les réformateurs pris pour cible

Deux explosions ont eu lieu quasiment au même moment samedi à Addis Abeba, en Ethiopie, et à Bulawayo, au Zimbabwe, visant le premier ministre éthiopien et le président zimbabwéen.

Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)

Le Monde.fr avec Reuters

Il ne devrait y avoir aucun lien entre les deux explosions qui ont lieu, par simple coïncidence, mais pratiquement au même moment, à 4 000 kilomètres de distance, dans deux villes africaines. Et cependant, quelque chose, involontairement, lie les deux attentats qui ont eu lieu, samedi 23 juin, à Addis Abeba, en Ethiopie, et à Bulawayo, au Zimbabwe.
Dans le premier cas, une bombe ou une grenade, selon les déclarations de dirigeants, a explosé dans la foule qui s’était réunie à l’invitation du parti au pouvoir en soutien au nouveau premier ministre, Abyi Ahmed.

Ce dernier est en train, à marches forcées, de changer l’Ethiopie, notamment en faisant la paix avec l’Erythrée et en ouvrant des secteurs de l’économie contrôlés depuis des décennies par une fraction du parti au pouvoir. Celle-ci est précisément en voie de marginalisation par les efforts de ce nouveau responsable, arrivé à la tête de l’Ethiopie début avril.

La place centrale d’Addis Abeba où a eu lieu cet attentat, dont le bilan se montait samedi soir à un mort et environ 180 blessés – dont certains dans un état grave –, est un lieu à forte portée symbolique. En raison de l’efficacité légendaire des services éthiopiens de sécurité, aucune attaque de ce genre n’y a jamais eu lieu. Pourtant elle accueille de fréquents rassemblements populaires, et pourrait constituer de ce fait une cible de choix pour les mouvements djihadistes de la région, comme les chabab somaliens.

Pas de revendication
En l’absence, samedi soir, de revendication qui émaneraient de tels mouvements, faut-il voir dans cet attentat la conséquence de rivalités internes ? Les tensions sont grandes en effet entre le nouveau premier ministre et ceux qui s’opposent à ses réformes – notamment au sein des services de renseignement qui l’exècrent comme au sein de la vieille garde du Front de libération du peuple du Tigray (TPLF). Ceux-là, aujourd’hui marginalisés par Abyi Ahmed, pourraient faire figure de parrains de l’action violente.

Toutes nos sources régionales, ces derniers jours, insistaient sur les risques encourus par le premier ministre et disaient à quel point il était vraisemblable qu’on attente à sa vie, purement et simplement. Cette supputation était alimentée par des déclarations vindicatives de responsables du milieu du renseignement. Ceci ne constitue certainement pas une preuve, mais il est important de noter que le contexte politique local était, tout récemment, particulièrement explosif.

M. Abiy a déclaré que l’attentat avait été organisé par des responsables cherchant à saper son programme de réformes. « Les gens qui ont fait ça appartiennent à des forces opposées à la paix. Vous devez arrêter de faire ça. Vous n’avez pas réussi dans le passé et vous ne réussirez pas dans le futur », a-t-il déclaré à la télévision, une fois mis en sécurité. Il avait récemment accusé les services de sécurité de s’être livrés à des « actes de terrorisme » vis-à-vis des populations qui manifestaient, notamment dans la région Oromia, dont il est originaire.

Son chef de cabinet, Fitsum Arega, a pour sa part précisé que l’explosion de samedi avait été provoquée par une grenade et qu’elle était le fait de personnes « dont le cœur est rempli de haine ». Il n’a pas été question de groupes djihadistes à ce stade dans les accusations.

Réformes populaires
Si cela devait se confirmer, les ennemis du premier ministre, se trouveraient donc au cœur de l’appareil d’Etat, dans le « deep state », et leur but serait, faute de pouvoir l’éliminer, de tenter de faire dérailler le processus de réformes en cours, notamment la paix avec l’Erythrée, un dossier bloqué depuis vingt ans et qui pourrait connaître des avancées fulgurantes dans un avenir très proche.

Or, ces réformes sont, pour l’heure, très populaires. Une foule importante était d’ailleurs présente sur Merskel Square, et pas seulement parce que les autorités avaient intimé l’ordre de le faire.

Le nouveau dirigeant éthiopien appartient à l’ethnie Oromo, la plus importante numériquement du pays, jusqu’ici relativement marginalisée du point de vue politique, et dont les membres se trouvent habiter la région voisine de la capitale.

Après l’explosion lors du meeting électoral du premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, à Addis Abeba, le 23 juin.
La rue d’Addis Abeba soutient donc en bonne partie Abiy Ahmed. Le tuer, le blesser, ou signifier sa faiblesse relative en organisant un attentat au milieu de ses sympathisants, ressemble à la signature d’une volonté de contre-réforme.

Si cette piste était la bonne, le premier ministre serait contraint de prendre la question à bras-le-corps, et de faire plus que réformer. Il lui faudrait traiter aussi le dossier épineux du contrôle des services de renseignement. Et faire tomber des têtes, au risque de provoquer des tensions plus importantes encore. Procéder également, peut-être, à une forme d’épuration politique au sein du parti au pouvoir. Avec, à nouveau, des conséquences imprévisibles pour l’état des rapports de force.

Attaque à la grenade au Zimbabwe
C’est peut-être à un risque similaire qu’est exposé le président du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa, qui a échappé de peu à ce qui semble être aussi un jet d’une grenade. Celle-ci a explosé sur une tribune du stade de Bulawayo, dans le sud-ouest du pays, à la fin d’un meeting. L’explosion, qui a fait quinze blessés, s’est produite au moment où il quittait les lieux avec ses proches. Il s’en est fallu de peu qu’il soit touché. L’épouse du vice-président, Marry Chiwenga, en revanche, fait partie des blessés, et elle a été hospitalisée.

Le général Constantino Chiwenga était l’un des cerveaux du coup d’Etat qui a poussé l’ex-président Robert Mugabe (93 ans) hors du pouvoir, en novembre 2017. Depuis, il a pris sa retraite afin de pouvoir occuper des responsabilités politiques de premier rang. Il est souvent considéré comme le représentant des intérêts de l’armée au sein du nouveau pouvoir et comme un possible successeur pour M. Mnangagwa.

Ce dernier, quoique issu du centre du pouvoir de la Zanu-PF – le parti de M. Mugabe –, est parvenu à incarner un renouveau dans le pays, qui pourrait donner des résultats tangibles après les élections générales, dont le premier volet aura lieu le 30 juillet.

Mais la mise à l’écart de M. Mugabe a aussi signifié la défaite de toute une aile de la Zanu-PF, et depuis plusieurs mois, une tension souterraine agite le pouvoir zimbabwéen. L’idée de faire dérailler, en tuant le chef de l’Etat, le processus en cours, pourrait être une façon de servir des intérêts particuliers frustrés par le nouveau paysage politique.

En Ethiopie comme au Zimbabwe, ce sont donc deux tentatives de réorienter des dynamiques en cours qui viennent de se produire. Elles mettent en péril la stabilité des deux pays. Quant à ceux qui les ont suscitées, ils semblent très déterminés.

Il appartiendra aux deux responsables visés de ne pas céder à la tentation d’un durcissement de leur pouvoir, ce qui représenterait, naturellement, un succès pour les terroristes.

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NB: Le titre est de la rédaction.