Procès Gbagbo-Blé Goudé : témoignages imprévus, mise au point et huis-clos répétitifs

Par IvoireJustice.net - Procès Gbagbo-Blé Goudé. Témoignages imprévus, mise au point et huis-clos répétitifs.

Le Président Laurent Gbagbo à La Haye. Credit Photo : Michael Kooren /POOL.

Le jeudi 14 juillet 2016, le procès Gbagbo-Blé Goudé a connu une pause pour des raisons de vacances judiciaires. En attendant sa reprise prévue le 30 août 2016, nous avons proposons un retour sur les audiences qui se sont déjà déroulées.

Par Evrard Aka

Depuis le début du procès,13 témoins se sont succédés à la barre. Quatre d’entre eux sont intervenus à visage découvert. Il s’agit de : Sam Mohammed Jichi dit Sam l’Africain, Matt Wells de Human Rights Watch, Nigel Walker (journaliste) et Joël N’Guessan (cadre RDR, parti au pouvoir en Côte d’Ivoire).

Les audiences ont été l’occasion pour les témoins de dire leur part de vérité concernant la crise qui a secoué la Côte d’Ivoire. Les témoins de l’accusation n'ont pas fait l’unanimité quant aux faits reprochés aux accusés que sont Laurent Gbagbo et Charles Goudé. Tantôt les témoignages les a sérieusement mis en cause, tantôt ils leur ont semblé favorables.

Relation des faits reprochés aux accusés

À la Cour, le témoin P-547 a confié avoir participé à la marche de décembre 2010 à l’appel du camp Ouattara. Une marche qui a fait des blessés que le témoin a mis à l’actif des hommes de Gbagbo. Des ordres qui seraient venus de Gbagbo interdisaient, selon P-547, la prise en charge médicale des blessés issus de cette marche. Il fera même mention des cicatrices que porte sa tête, à la Cour.

Un autre témoin, de Yopougon-Doukouré (Abidjan), a accusé les partisans de Gbagbo et Blé Goudé d’intimidations. Ils les lapidaient. Ils avaient visé la mosquée de Doukouré. « Ils couraient tous les matins ». Ils apprenaient à se servir d’une arme, à tirer, juste derrière le commissariat de police du 16ème arrondissement, non loin du quartier Doukouré. Et ce, « en plein jour, sans se cacher », a-t-il précisé.

À Abobo, le témoin P-190 a soutenu que « les femmes étaient tuées » par les soldats fidèles à Gbagbo. C’était à l’occasion de la marche de ces dernières, début mars 2011. « J’avais quelque chose qui ressemblait à du pus (…) à un mouton qu’on a tué et qu’on et qu’on a cassé la tête, ça ressemblait à ça, cervelle ». Ainsi en a témoigné P-190 qui dit avoir été de la marche.

Le témoin P-97 est, lui, revenu sur « l’article 125 » qui était une « forme de violence » consistant « à prendre les gens, à les battre puis les brûler ». Le témoin P-431, le journaliste Nigel Walker, a fait cas du « travail de l’ombre » de Charles Blé Goudé, figure de « cette génération [qui] voulait s’affranchir de l’influence française ».

Des témoignages favorables aux accusés

Pour Sam l’Africain, témoin de l’accusation, Laurent Gbagbo n’est « pas un criminel », ni « raciste ». Il voit même en l’ancien président un « père ». « L’homme que je connais, confiera-t-il, a toujours lutté pour la souveraineté totale de la Côte d’Ivoire (…) et je pense (que) c’est aujourd’hui il se retrouve ici (à La Haye)».

Le témoin P-520 indiquera également que Gbagbo, alors président de la République « souhaitait absolument qu’il y ait la paix ». Le témoin de l’accusation en veut pour preuve sa décision de dissolution des groupes d’autodéfense après la signature des accords politiques de Ouagadougou, en 2007.

Le dernier témoin avant les vacances judiciaires de 2016, dont on ignore l’immatriculation, a relevé que l’armée sous Gbagbo et pendant la crise postélectorale était « un mélange où tout le monde s’y trouve ». Il a aussi fait savoir que le commando invisible (proche du camp Ouattara) avait « des kalachnikov et des armes antichars », bref il avait « tout ».

Le témoin a accusé les forces onusiennes et françaises d’avoir bombardé le camp de Gendarmerie d’Agban avec deux hélicoptères « Gazelle », pendant la crise postélectorale.

La France abondamment citée

À l’audience, Éric Macdonald a reconnu que « les forces françaises ont tiré sur les manifestants et qu’il y a eu des morts », surtout lors des événements de novembre 2004. Mais, relève Sam l’Africain, les responsables desdits événements « n’ont jamais été poursuivis ». Pour Me Altit, de la défense de Gbagbo, ce procès à La Haye a un rapport « fondamental » et « essentiel » avec l’ancienne puissance colonisatrice.

« Quand un président africain (…) ne fait pas l’affaire du colon, on l’enlève », a martelé le témoin Sam l’Africain. Et ce dernier de soutenir que « la France de Sarkozy […] ne voulait pas du régime de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire ».

Pour le témoin Joël, porte-parole du parti de Ouattara, la France n’a fait qu’exécuter un « mandat onusien » pour « dégager » Gbagbo, afin « rétablir la légalité constitutionnelle ». « Le jour où il a prêté serment [en décembre 2010], le pouvoir de M. Gbagbo était illégal (…) c’était du domaine de l’usurpation (…) il a tenu à se maintenir à tout prix au pouvoir et la suite on la connaît », a-t-il souligné.

Gbagbo perd son titre de « président » à La Haye

À l’audience du 11 février 2016, Paolina Massida, représentante des victimes, attire l’attention de la Cour sur l’emploi par Me Altit de « président » pour désigner Gbagbo. Elle rappelle qu’une décision de la chambre avait demandé à l’avocat français de ne plus utiliser ce titre dans les écritures entre les parties. L’argumentation de l’avocat fondée sur les cultures latine, française et ivoirienne qui veulent qu’un président garde son titre à vie ne prospèrera pas.

« La chambre convient que vous avez parfaitement raison (…) Un titre reste attaché à jamais (…) Mais, nous sommes ici dans une salle d’audience et les accusés sont tous égaux devant la loi (…) La chambre vous demande donc (Me Altit) de ne plus utiliser ce titre ». Ainsi en a décidé Le juge-président Tarfusser, à l’audience du vendredi 12 février 2016.

Le lundi 15 février 2016, lorsque Peter O’Shea, de la défense de Gbagbo utilise le titre « président » pour désigner Gbagbo, le juge-président le rappelle immédiatement à l’ordre. « […] C’est soit monsieur Gbagbo, soit monsieur Laurent Gbagbo », a-t-il martelé.

Des audiences émaillées de nombreux huis-clos

Chaque audience du procès Gbagbo-Blé Goudé se déroulait avec son lot de huis-clos, tantôt partiel, tantôt total. Le 16 mai, le Juge Tarfusser s’est même plaint qu’ils soient trop répétitifs. « Vous tous (…) je pense que vous exagérez un peu », a-t-il lancé aux différentes parties.

Rien ne filtre de ces huis-clos, excepté la fois où, par mégarde, au moins quatre témoins ont vu leur identité révélée. Ces huis-clos sont en général sollicités au regard de la sensibilité du témoignage.

Eu égard aux tentatives de dévoiler l’identité des témoins, le juge-président menacera même de continuer le procès dans le huis-clos si ces manœuvres ne cessaient pas. Les juges ont d’ailleurs décidé de retarder la diffusion publique du procès jusqu’à la fin de la déposition d’un témoin, lorsqu’il bénéficie de mesures de protection.

« Risque très grave pour l’intégrité du procès » et protection des témoins, telles sont essentiellement les motivations de ces mesures du juge Tarfusser. Magouille, volonté de la Cpi de condamner en catimini les accusés, c’est ainsi que les journaux d’opposition ivoiriens perçoivent surtout les huis-clos et ces mesures.

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