Procès de Gbagbo: pourquoi la France joue avec le feu

Par Le Temps - Procès de Gbagbo. Pourquoi la France joue avec le feu.

Le Président Laurent Gbagbo le 08 novembre 2017 à la Cour pénale internationale.

Pour la 13e fois, la liberté provisoire a été refusée à Laurent Gbagbo dans son procès devant la Cour pénale internationale. La détention qui est l’exception semble être érigée en règle. Est-ce la faute aux juges ? Ne soyons pas naïfs. C’est une évidence que la Cour pénale internationale est une cour aux ordres de ses financiers. Au nombre desquels la France. On a écrit et réécrit que c’est la France Sarkozienne qui a veillé au transfèrement de Laurent Gbagbo à la Cpi. Ses manœuvres nauséeuses pour ce faire ont été mises à nu dans « Les secrets de la Cour », enquêtes documentés d’un consortium de medias dont Médiapart. C’est donc clair que c’est la France qui a déporté Gbagbo. C’est aussi clair que le successeur de Nicolas Sarkozy, le très erratique François Hollande, par le truchement de son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a tout fait pour que Gbagbo aille en procès, alors que les preuves pour ouvrir un procès avaient été jugées insuffisantes. Depuis, les témoins de l’accusation ont défilé à la barre. Au nombre de ceux-ci, tous ceux que la Cpi a comme experts. Tous ont mis en doute la crédibilité des éléments de preuves. Sur les 82 témoins, aucun, à notre connaissance, n’a réussi à mettre en difficulté le prévenu. Le déroulé du procès a montré la vacuité des preuves. Mais curieusement, Laurent Gbagbo continue d’être tenu captif. Ses demandes de liberté provisoire sont rejetées avec un rare cynisme, maquillé avec des justifications puériles qui frisent parfois l’hérésie. Un homme qui n’a pas fui les bombes françaises, est subitement soupçonné de vouloir prendre la tangente une fois libéré provisoirement. Pourquoi ne pas être d’accord avec Gbagbo lorsqu’il estime dans les colonnes de Médiapart : « Je ne suis pas en prison. Je suis otage ». Et d’assurer : «Je suis là pour permettre à Ouattara d’être à la présidence» et aux Français de continuer à avoir la mainmise sur la Côte d’Ivoire». Hélas, l’acharnement contre l’ex-numéro 1 ivoirien n’est pas sorti ex-nihilo. Il remonte à ses années de présidence. «Je ne suis pas Président de la République pour travailler sous la dictée de quelqu’un. Je ne suis ni gouverneur, ni sous-préfet, ni préfet. Je suis un chef de l’État élu par son peuple», a-t-il lancé à Chirac. Venant du continent noir, ce genre de déclarations est considéré comme un crime de lèse-majesté qui mérite punition. Ceci explique certainement le fait que la France taille des croupières à Laurent Gbagbo. Et comme il n’y a pas plus rancunier qu’un Gaulois, les Présidents changent à l’Elysée, mais les successeurs donnent le sentiment de marcher dans les pas des prédécesseurs, avec la même dose de haine et l’absence totale d’humanisme.

Une popularité inoxydable

On peut le dire, depuis qu’il est détenu au pénitencier de Scheveningen, Laurent Gbagbo a acquis une autre dimension en termes de popularité. Cette popularité, au lieu d’être un atout pour lui, est utilisée contre lui par les juges pour le maintenir en détention. « La Chambre a examiné plusieurs facteurs tels que l’existence d’un réseau de partisans de M. Gbagbo qui pourrait l’aider à échapper à la justice, le risque que ce réseau entrave ou compromette les procédures à travers des pressions ou actions coercitives sur les témoins, ainsi que l’existence d’une incitation claire pour M. Gbagbo à prendre la fuite, à la lumière de la gravité des accusations portées contre lui et de la peine éventuelle s’il est reconnu coupable… », se déculottent les deux juges. Une aberration qui malheureusement continue d’être servie dans une Cour dont la mission première, donner plus d’humanité à un monde qui se déshumanise, entre en conflit avec l’habeas corpus. Ceux qui ont œuvré au transfèrement de Gbagbo à La Haye ne veulent pas se faire hara-kiri. Ils sont donc prêts à tout pour que la vérité n’éclose pas. Donnant au procès une coloration politique. Laurent Gbagbo a donc raison qu’il n’est pas en prison. Mais qu’il est retenu en otage pour permettre à Ouattara d’être à la présidence et aux Français de continuer à piller la Côte d’Ivoire.. Cela est d’autant plus vrai que le régime Ouattara n’a d’égal en matière de gouvernance liberticide. Mais ses tenants sont caressés dans le sens du poil par la France. Pour peu, les autorités françaises n’hésitaient pas à clouer au pilori le pouvoir Gbagbo. Bref. Aujourd’hui, la Cpi manque d’arguments juridiques irréfragables. Elle s’adonne donc à des fadaises du genre « La Chambre a également noté que bien que la Défense de M. Gbagbo demande une mise en liberté sous condition, elle n’a soumis aucune proposition adéquate à la Chambre et ne lui a pas fourni des conditions concrètes et solides qui garantiraient la présence de M. Gbagbo à son procès s’il est libéré ». Une façon de faire tourner le regard sur Me Altit et ses collaborateurs. Qui n’auraient pas donné suffisamment de garantis de représentativité de leur client. Assez mince comme argument. Puisque la Cpi a, par exemple, signé un accord de siège avec la Belgique. A une poignée d’heures de route de La Haye. Si tant est que la Cpi veut redonner à Laurent Gbagbo sa liberté, même conditionnelle, elle pouvait explorer cette piste. Elle n’en a pas envie. Car, libérer Gbagbo équivaudrait pour elle le retour à l’anonymat. Elle grignote sur la popularité de Laurent Gbagbo pour se bâtir une popularité. Comme une sangsue.

Le jeu dangereux de la France

Le doigt accusateur, pour nous, doit être pointé sur la France. Elle était en amont de toute cette machination. Comme nous l’avons indiqué plus haut. Son silence est perçu par les juges comme un feu vert à maintenir le statu quo ante. «Elle estime également inutile de demander des informations supplémentaires aux autorités (supprimées), car la défense de Gbagbo n’a pas démontré comment le traitement dans ce pays serait nécessaire à la lumière du traitement holistique déjà offert à M. Gbagbo aux Pays-Bas, non seulement par le médecin du centre de détention, mais par plusieurs médecins spécialistes. Pour les raisons qui précèdent, la chambre, à la majorité, le juge-président Tarfusser dissident, rejette par la présente la requête dans son intégralité ». Tels sont les propos tenus par le juge italien Cuno Tarfusser, juge-président de la Chambre de Première instance I. Il reprenait là les arguments de ses collègues qui ont voté pour le refus de la liberté provisoire à Gbagbo. Ce point, à notre sens, est pertinent. Puisqu’il montre que la Santé de Laurent Gbagbo a été au centre des arguments de sa Défense. Chose que les juges, la majorité, ont tourné en dérision. Certes, ils font leur travail. Mais, il n’y pas de juge plus implacable que la conscience. Ce cirque judiciaire peut encore se renouveler. Vœu cher à la Rue Lepic. Mais si la santé du Président Gbagbo venait à être véritablement compromise, s’il advenait quelque chose, la France en porterait l’entière responsabilité. Elle et les juges pantins comparaitront à coup sûr devant le tribunal de leur conscience. Mieux, les relations franco-ivoiriennes seront durablement marquées au fer rouge. Dans un pays où Laurent Gbagbo, qu’on le veuille ou non, jouit d’une popularité certaine. Ses partisans n’ont pas la puissance de feu de la France. Cette dernière a prouvé qu’elle pouvait démolir quiconque se met au travers de son chemin en Côte d’Ivoire. Les événements de novembre 2004, au cours desquels, ses tireurs embusqués dans la Tour de l’Ivoire ont froidement assassiné une soixantaine de jeunes sont là pour corroborer notre affirmation. Les tueries des populations massées chez Gbagbo en avril 2011 aussi. La France a encore le temps de rectifier le tir, et de faire poursuivre les rebelles ivoiriens sur qui il pèse de lourds soupçons de crimes contre l’humanité. Le « deux poids, deux mesures » est flagrant.

TBT