Procès de Gbagbo et Blé/ Pr. Raymond KOUDOU Kessié: "L’EXPERTISE DU LABORATOIRE NÉERLANDAIS NFI EST SANS OBJET"

Par IvoireBusiness - Procès de Gbagbo et Blé - "L’EXPERTISE DU LABORATOIRE NÉERLANDAIS NFI EST SANS OBJET, LA PREUVE DE L’EXISTENCE MÊME DE L’OBJET D’IDENTIFICATION ADN N’ÉTANT PAS ÉTABLIE", Par Pr. Raymond KOUDOU Kessié, UFR Criminologie Université d’Abidjan-Cocody.

Le Professeur Até Kloosterman, spécialiste en ADN au National Forensic Institute(NFI), l'institut médicolégal des Pays Bas, lors de son témoignage à la CPI dans l'affaire Gbagbo et Blé contre Bensouda.

L’EXPERTISE DU LABORATOIRE NÉERLANDAIS NFI EST SANS OBJET, LA PREUVE DE L’EXISTENCE MÊME DE L’OBJET D’IDENTIFICATION ADN N’ÉTANT PAS ÉTABLIE

INTRODUCTION

Le Professeur Até Kloosterman, spécialiste en ADN au National Forensic Institute(NFI), l'institut médicolégal des Pays Bas, vient de témoigner en tant qu’expert devant la CPI, le lundi 29 avril 2017.
Cette audition m’offre l’occasion de montrer d’abord que ce témoignage comme la plupart de ceux qui l’ont précédé met en réalité à nu les diverses facettes de ce qu’il convient de qualifier de cabale contre le Président Laurent Gbagbo. Le formatage du dispositif a certainement été mis en œuvre depuis longtemps. Mais, depuis l’année 2000 en effet, les éléments du dispositif de diabolisation des Ivoiriens attachés à la souveraineté de leur pays et de Laurent Gbagbo, le Président de la République qu’ils se sont donné deviennent de plus en plus précis et persistants. Cette expertise doit nous interpeller comme hier déjà, le film « la poudrière identitaire » du Sociologue belge, Benoît Schauer (2000); ou le « charnier de Yopougon »(2000); ou le refus du recomptage des voix(2010) ; ou encore, la propulsion du militant RDR, Épiphane Bi Balo, au rang d’expert indépendant à la CPI(2014), pour ne s’en tenir qu’à ces évènements. Le témoignage de cet expert me donne aussi l’opportunité de montrer que l’expertise ADN de son laboratoire est sans objet d’autant que la preuve de l’existence même de l’objet de celle-ci n’a pas établie.

1- L’EXPERTISE ADN DES VICTIMES ALLÉGUÉES DE LA " TUERIE D’ABOBO"
1-1- En quoi consiste une expertise
L’expertise est un examen fait par un spécialiste reconnu dans sa discipline ou dans sa spécialité ou sur une question, une situation ou un cas donné. Elle est un dispositif prévu pour éclairer la prise de décision de celui qui la demande. Il y a différentes formes d’expertise. Elles sont fonction de la spécialité ou du domaine duquel l’on souhaite l’éclairage. En règle générale, l’expert produit un rapport de son expertise dans lequel il répond aux questions qui lui ont été posées par le demandeur. Ici, dans le cadre du procès du Président Gbagbo et du Ministre Blé, l’expertise a été demandée pour éclairer la Cour même si celle-ci n’est pas obligée d’en tenir compte dans sa prise de décision.
1-2- L’expertise des victimes de la « tuerie des femmes à Abobo »

1-2-1- Qui est l’expert témoin interrogé par la CPI ?

Le témoin interrogé par la Cour, le 29 mai 2017 est le Professeur Até Kloosterman. Il est expert médico-légal dans le domaine de l’ADN au National Forensic Institute(NFI), l’Institut médico-légal néerlandais. Il est également expert en enquêtes médico-légales et en traçage biologique ainsi qu'en analyses d'appariement ADN. Un profil de carrière bien rempli dont on ne peut avoir que peu à redire, surtout lorsque c’est le titulaire lui-même qui appose sa signature sous le texte du rapport d’expertise. Mais, nous verrons plus loin qu’il y a des raisons légitimes de se poser des questions sur l’expertise du NFI faite sous son autorité scientifique.

1-2-2- L’identification ADN des victimes est l’objet de l’expertise

Ce qu’il faut savoir sur l’intérêt de l’identification ADN est expliqué dans le Rapport d’expertise en ces termes : « Ce qu'il faut savoir au sujet de l’ADN, c'est que c'est héréditaire. La moitié de votre ADN provient de votre père et l'autre moitié provient de votre mère. L'ADN est donc un outil extrêmement utile aux fins d'identification. Lorsque vous avez un père ou une mère ou un fils qui est disponible, vous pouvez à ce moment-là identifier la personne, parce que vous pouvez reconnaître des éléments d'ADN qui ont été hérités des parents de cette personne spécifique. C'est pourquoi l'ADN est un moyen extrêmement efficace pour l'identification des individus, et c’est ce que nous utilisons dans notre laboratoire. »
1-2-2-1- L’identification ADN sur un tee-shirt supposé être porté par l’une des victimes
• Y a t-il des traces d’ADN sur le tee-shirt ?
L’identification ADN sollicitée du NFI par la CPI portait sur un tee-shirt supposé avoir été le vêtement de l’une des victimes au moment de la prétendue tuerie des femmes à Abobo, le 03 mars 2011. Lors de son interrogatoire, l’avocat Me Knoops, de l’équipe de défense du Ministre Blé Goudé a demandé ceci à l’expert, Pr Até Kloosterman :
Me Knoops : Monsieur le Professeur, vous avez examiné ce t-shirt pour des traces de sang et vous avez dit « cette enquête n'a pas révélé de traces de sang. » Quelle est la valeur probante que l'on peut accorder ou attribuer à cette mention « aucune indication, rien ne révèle... » Est-ce que c'est un degré élevé, un degré faible ? Est-ce que c'est une valeur probante faible ou importante ?
Pr Até Kloosterman : Nous avons fait des tests pour déterminer s'il y avait des traces de sang. Nous avons vu des tâches suspicieuses sur le t-shirt, et nous avons donc effectué des tests pour déterminer si c'était du sang, et tous les tests étaient négatifs.
Me Knoops : La dernière remarque concerne le paragraphe 6.1 à savoir qu'aucune conclusion ne peut être tirée concernant la personne qui aurait pu porter ce t-shirt. C'est la conclusion que vous tirez, n'est-ce pas ?
Pr Até Kloosterman : Oui. Nous avons examiné les tâches de sang sur le t-shirt et nous avons également examiné quelques échantillons autres que le t-shirt. Une personne qui porte un t-shirt, on s'attend à ce qu'il y ait des traces d'ADN sur son propre t-shirt. Nous avons donc sécurisé l'objet en question et nous n'avons pas pu extraire d'ADN sur ces portions du t-shirt à des fins d'analyse ADN. Nous n’avons donc pas tiré de conclusion sur la personne qui aurait pu porter ce t-shirt.
• Quel est l’état du tee-shirt après plusieurs années dans une fosse commune ?
Le second expert signataire du rapport du NFI, lui, est spécialiste des tissus et des fibres textiles. Sa conclusion est formelle sur l’état de ce t-shirt :
« Le tee-shirt ou l’état du tee-shirt est impeccable surtout à la lumière du fait qu’il a été enterré il y a de nombreuses années. L’état du tee-shirt exclut toute usure ou déchirure. »
1-2-2-2- La correspondance ADN entre les victimes présumées et leurs parents biologiques
L’expert a été également interrogé sur un rapport d'analyse ADN de 16 victimes non identifiées et des échantillons de 12 parents de 6 portés disparus en rapport avec la marche des femmes à Abobo le 03 mars 2011. Les échantillons de 12 des 15 victimes présumées ne correspondent pas à des parents biologiques de disparus. Mais, de plus, les deux rapports du NFI, le rapport du 3 Mai 2015 et le rapport amendé du 3 Août 2015 se contredisent. En effet, « dans un rapport, une dent permet de déterminer un profil ADN féminin, et dans le rapport précédent on explique que la victime est de sexe masculin». Il y a là un gros problème non élucidé que reconnaît du reste le Professeur Até Kloosterman.
De ce qui précède, l’hypothèse du faux servi pour expertise transpire. Pourquoi cela ? Si les traces sur le t-shirt ne sont pas des traces de sang c’est que le t-shirt n’a pas été pris sur elle surtout qu’une vidéo montre que les présumées victimes baignaient dans leur sang. Mais pris sur qui et avec quelle intention ? Voilà de quoi découle logiquement l’hypothèse du faux servi aux experts avec une intention non de les tester mais simplement de prouver la tuerie et donc régler la question de l’imputabilité au Président Gbagbo. Si par ailleurs, la correspondance ADN entre les victimes supposées et leurs parents biologiques supposés n’est pas établie à 100%, l’hypothèse de la manipulation par ceux qui ont produit les échantillons se consolide. Il en est de même dans le cas où le rapport amendé indique qu’une dent permet de déterminer un profil ADN féminin, alors que le rapport précédent explique que la victime est de sexe masculin.
Mais ceci étant dit, nous nous posons des questions sur l’expertise elle-même vu le nombre d’insuffisances qui sont apparues lors de l’audition du témoin expert.
2- L’EXPERTISE DU NFI SOULÈVE DE GRAVES INTERROGATIONS

2-1- Pourquoi le NFI n’a-t-il pas suivi les recommandations ISO 17025 et celles de l’ISFG (International Society for Forensic Genetics) en se fiant à des échantillons soumis à son expertise sans aucune analyse indépendante sur leur provenance ?
L’ISO 17025 et L’ISFG stipulent que les analyses génétiques, notamment sur les échantillons doivent être effectuées suivant des recommandations dont celle-ci : « Des procédures garantissant l’identité de la personne sur laquelle l’échantillon est pris et la traçabilité de l’échantillon, seront régies par le contrat avec les clients ». D’où les questions pertinentes de Me Knoops, l’avocat de l’équipe de Blé Goudé.
Me Knoops : Quelles sont les procédures qui ont été mises en place pour garantir que les échantillons que vous avez reçus de la part de la CPI étaient des échantillons qui correspondaient à l'identité des membres de la famille ?
Pr Até Kloosterman : C'est à la CPI qu'il convient de poser cette question. Ce n'est pas au NFI à répondre à cette question, car après tout, nous n'avons pas pris part à l'échantillonnage des objets de référence appartenant aux membres de la famille, ni dans la sélection des dents et des os sur les cadavres.
L’on voit ici que l’expert se défile, et un peu, comme si d’avoir obtenu les échantillons directement de la CPI les dédouanait, lui et son Institut. Le juge Président insiste avec raison sur cette question importante :
Le Juge Président : J’aimerais savoir si votre Institut, le NFI a fait des analyses indépendantes au sujet de la provenance des échantillons ?
Pr Até Kloosterman : Non.
Le Juge Président : Donc vous n’avez jamais en fait remis en question l’origine de ces échantillons ?
Pr Até Kloosterman : Non, non, seulement nous savions qu’il s’agissait de fémurs et de dents ; C’est tout.

La recommandation de l’ISFG s’agissant de l’identité de l’échantillon n’a donc pas été respectée par le NFI.

2-2- Pourquoi le NFI n’a-t-il pas pris part à l’échantillonnage des objets de référence ?

L’expert Até Kloosterman du NFI le confirme : « Nous n’avons pas pris part à l’échantillonnage des objets de référence appartenant aux membres de la famille, ni dans la sélection des dents et des os sur les cadavres ».

Alors qu’il est de notoriété publique qu’une telle question reste très sensible pour une identification génétique de cette nature et surtout déterminante pour la liberté des prévenus, le NFI ne l’a pas prise en considération. L’on ne comprend donc pas que le NFI ait accepté de faire cette expertise sans s’entourer d’un minimum de garantie.

2-3- Pourquoi le NFI a-t-il fait abstraction du contexte et du fait que l’expertise avait un rapport avec un évènement qui s’est déroulé en Côte d’Ivoire ?

Me Knoops : Mais avant votre analyse, Monsieur le Professeur, est-ce que pour ce qui est des échantillons qui ont été envoyés ou présentés au NFI, est-ce que vous étiez au courant qu'il s'agissait apparemment d'un évènement qui s'était déroulé en Côte d'Ivoire et qui avait à voir avec une manifestation de femmes, le 03 mars 2011 ? Est-ce que vous la connaissiez, cette information, avant le début de votre analyse ADN ?
Pr Até Kloosterman : Oui, je le pense. Je pense que j'étais au courant.

On est soit au courant ou on ne l’est pas. Les termes, « je le pense » ou « je pense que j’étais au courant » n’ont pas leur place ici car ce sont la liberté et la vie d’illustres personnalités qui sont en jeu. Les experts commis à la tâche savaient donc que les échantillons provenaient de Côte d’Ivoire et se rapportaient à une manifestation de femmes à Abobo, le 3 mars 2011. Un évènement très controversé et déterminant, ayant lourdement pesé dans transfèrement du Président Gbagbo à La Haye.

2-4- Pourquoi les faits déjà mis en lumière en Côte d’Ivoire sont-ils ignorés ?

En plus donc du contexte, ils ont fait fi des faits incontestables déjà mis en lumière en Côte d’Ivoire dans le procès de la Première Dame, Mme Simone Ehivet-Gbagbo. Son avocat, Maître Ange Rodrigue Dadjé les rappelle :
« Aucun des corps n'a pu être retrouvé afin qu'une autopsie puisse être faite. Cela est un fait indiscutable dont les preuves sont au dossier des Assises de Simone Gbagbo pour crimes de sang. Ces faits sont confirmés par le Professeur Yapo Étté, Médecin Légiste en charge de la procédure. Les exhumations de corps n'ont rien donné car aucun des corps n’a pu être retrouvé. Le 1er Décembre 2014, par Commission rogatoire numéro 10/2014, le Doyen des juges d'instruction demandait qu'il soit procédé à l'exhumation des corps ou restes humains des 7 femmes d'Abobo tuées lors de la marche dite des femmes d'Abobo, le 3 mars 2011, corps qui se trouveraient dans une fosse commune au cimetière d'Abobo. Cette recherche s'est hélas avérée infructueuse. Résultats : Aucun corps des 7 femmes d'Abobo n’a été à ce jour retrouvé et n'a donc pu faire l’objet d’une quelconque autopsie ou analyse scientifique. Je ne comprends pas donc ce débat à la CPI et l’audition d’un prétendu expert qui n’a jamais vu les corps desdites femmes et même examiné leurs tenues, vu que les dames auraient été enterré avec leurs tenues. »

3- L’expertise ADN du NFI était sans objet

Nous n’avons eu aucune certitude que les échantillons prélevés, le t-shirt comme les dents et les os, proviennent bien des corps des victimes supposées de la marche des femmes le 03 mars 2011 à Abobo. Dans ces conditions, l’expertise par un laboratoire était superflue et s’avérait sans objet. Les motifs suivants me confortent dans cette thèse :
- Aucun des experts du NFI ne s’est préoccupé des preuves de l’existence de la fosse commune à Abobo d’où aurait été extraite le t-shirt sur une victime ;
- Aucun des experts du NFI n’a participé à la récupération du t-shirt sur la présumée victime ;
- Aucun des experts du NFI n’a identifié lesdites victimes comme étant celles dont il est question à propos de la marche des femmes à Abobo, le 3 Mars 2011 ;
- Aucun des experts du NFI n’a participé à la sélection des dents et des os sur les corps des présumées victimes de ladite marche ;
- Aucune analyse indépendante n’a été faite par le NFI au sujet de la provenance des échantillons reçus de la CPI.
- Le NFI n’a à aucun moment donné remis en question la provenance des échantillons.

CONCLUSION

L’on pouvait se satisfaire de ce que l’examen des traces sur le t-shirt, objet de l’expertise ADN, ne soient pas du sang ou ne révèlent aucune trace ADN et que les échantillons de la plupart des victimes présumées ne correspondent pas à des parents biologiques de disparus. Mais la question de fond est ailleurs et concerne la preuve matérielle de l’existence des corps desdites victimes. Aucun expert du NFI hollandais, ni de l’Institut Médicolégal ivoirien ou d’ailleurs n’a eu accès à notre connaissance aux dépouilles desdites victimes, n’a eu à examiner leurs corps, leurs vêtements ou la fosse commune de leur ensevelissement.
L’on est donc fondé à se demander où sont passés les corps des présumées victimes. Qu’en ont fait le RDR et le régime Ouattara ? Ces supposées victimes auraient constitué des preuves irréfragables contre l’Administration Gbagbo. Il eût donc suffi de les conserver pour les soumettre directement à expertise ADN et balistique aux fins de déterminer qui étaient ces personnes, avec quelles armes elles avaient été tuées et ainsi trouver par qui elles avaient été tuées. Or le pouvoir RDR et ses complices nationaux et internationaux ont veillé soigneusement à faire disparaître toutes les traces susceptibles de permettre de découvrir leur supercherie.
Par contre, ici même avec cette expertise, une certitude se profile. Rien ne prouve que le t-shirt présenté comme élément de preuves ait été pris sur une victime présumée de la tuerie alléguée des femmes à Abobo le 3 Mars 2011. Rien ne prouve par ailleurs que ces présumées victimes aient été effectivement ensevelies dans une fosse commune à Abobo. Rien ne prouve enfin que les dents et les os aient été extraits sur les corps des présumées victimes.
Ignorer de telles évidences pour servir des résultats d’une quelconque identification ADN de victimes ne peut participer que de l’imposture contre le Président Gbagbo et le Ministre Blé Goudé.
L’expertise du NFI qui est donc sans objet doit être disqualifiée. N’est-il pas venu le temps d’arrêter cette parodie de procès ? « Errare humanum est, sed perseverare diabolicum est » (L’erreur est humaine, l'entêtement dans son erreur est diabolique). C’est donc maintenant que la communauté internationale doit se rendre compte qu’elle a été induite en erreur et la réparer en rendant leur liberté au Président Laurent Gbagbo et au Ministre Blé Goudé.

Par
Pr. Raymond KOUDOU Kessié
UFR Criminologie Université d’Abidjan-Cocody
Ambassadeur de Côte d’Ivoire