Norbert Navaro, journaliste à RFI décrypte la CPI auprès des Francs-Maçons du grand Orient de France

Par Ivoirebusiness - Norbert Navarro, journaliste à RFI décrypte la CPI auprès des Francs-Maçons du grand Orient de France.

Le Temple Arthur Groussier du GODF.

La Cour pénale internationale (CPI), ce rêve brisé, est créée le 1er juillet 2002 (Traité de Rome). L’évoquer relève avant tout du droit, de l’histoire ou de la philosophie. Le journaliste est dans son rôle en soulignant l’actualité de la CPI puis en la critiquant sans parti pris.

Actualité de la CPI :

Dans les cinq mois à venir, trois événements majeurs inviteront à la réflexion sur le nouvel ordre mondial multipolaire sur lequel s’est ancré le système de Rome :

- le référendum du 23 juin au Royaume-Uni. En cas de « Brexit », un possible effet-dominos en Europe pourrait amplifier la poussée des nationalismes.

- l’élection présidentielle américaine en novembre. La CPI a beaucoup à espérer d’une victoire d’Hillary Clinton, tout à craindre de celle de son futur adversaire Donald Trump.

- le sommet de l’Union africaine (UA) du 10 au 18 juillet à Kigali (Rwanda).

Lors de son dernier sommet en janvier dernier à Addis-Abeba, sur proposition du président kényan Uhuru Kenyatta, l’assemblée des chefs d’État de l’UA a adopté à huit-clos une résolution prévoyant « l’élaboration d’une feuille de route pour un retrait de la CPI ».

A la veille de ce sommet, dans un entretien à l’hebdomadaire français L’Express, le président sénégalais déclarait qu’il fallait éviter « d’offrir aux Etats d’Afrique le prétexte de rompre avec la CPI ». Car si les « 32 » Etats africains qui en font partie la quittent, « c’est fini pour elle », prévenait Macky Sall.

Le lendemain de ce sommet, le président en exercice de l’UA, le tchadien Idriss Déby Itno Idriss Déby déclarait sur RFI : « La CPI s’acharne beaucoup plus sur l’Afrique, (…) alors qu’ailleurs dans le monde, (il y a) beaucoup de violations des droits de l’homme flagrantes – je dis bien flagrantes-, mais personne n’est inquiété. Deux mesures, deux poids. Nous avons décidé d’harmoniser nos positions vis-à-vis de la CPI en attendant de voir que la CPI prenne la mesure de la position africaine ».

En avril 2016, à la suite de celui accordé au président Kenyatta, la CPI prononçait un non-lieu en faveur de son vice-président William Ruto.

Sursis à statuer ? Les incriminations pesant sur les deux principaux dirigeants politiques kényans étant imprescriptibles, ces deux décisions de la Cour ne signifient pas l’abandon définitif des charges pesant sur eux. Mais étant rappelé que, pour avoir force de loi, le statut de Rome doit être ratifié par au moins 100 pays (il l’est aujourd’hui par 123 Etats du monde) un retrait collectif des 32 Etats africains membres invaliderait ce traité.

Dès lors, on peut à bon doit s’interroger sur l’agenda du très prochain sommet de Kigali. Et rappeler que, par le passé, l’UA a déjà édicté deux résolutions enjoignant les Etats à ne pas collaborer avec la CPI (mandats d’arrêt contre Omar el-Béchir et Kadhafi).

Etat des lieux de la fronde africaine :

Afrique du Sud : a déjà brandi la menace de quitter la CPI
Zimbabwe : idem

Kenya : vote du parlement pour une sortie de la CPI
Ouganda : veut retrait collectif

Rwanda : non signataire Traité de Rome mais le président Kagamé, hôte du sommet de juillet 2016, est un des plus virulents contempteurs de la CPI.

Sénégal : veut promouvoir une CPA, future Cour africaine de justice et des droits de l’homme

Côte d’Ivoire : n’enverra plus un seul Ivoirien devant la CPI
Cas particulier : le Congo Brazzaville :

Le statut de Rome est incompatible avec la nouvelle constitution.
Editorial du quotidien « Les Dépêches de Brazzaville » (6/2/2016) :

dans son article 10, la nouvelle constitution dispose qu’hormis les cas de perte ou de déchéance de nationalité « aucun citoyen ne peut être ni extradé, ni livré, à une puissance ou organisation étrangère, pour quelque motif que ce soit ». « Disons-le clairement, il est temps d’arrêter à La Haye le concert que livre la « justice vuvuzela » de la Cour pénale internationale ; la place de cette trompette dans laquelle s’époumonaient les supporters lors de la Coupe du monde de football en 2010 est dans les tribunes, pas dans les prétoires ».

La jurisprudence Bemba est un contraire à la distinction « responsabilité- culpabilité ».

Editorial du quotidien « Les Dépêches de Brazzaville » (29/3/2016) :

« En rappelant les (mêmes) crimes commis en Irak par les militaires américains et les agents de la CIA, entre 2003 et 2004 dans la prison d’Abou Ghraib, qui torturaient, violaient, sodomisaient et exécutaient les prisonniers à leur merci, on soulignera qu’il n’est venu à l’esprit d’aucun juge au monde l’idée de poursuivre les supérieurs hiérarchiques de ces criminels, à Washington ou à Langley. Or, non seulement Jean-Pierre Bemba se trouvait en République démocratique du Congo lorsque les crimes ont été commis en Centrafrique par ses troupes, mais encore ces dernières étaient placées sous les ordres des autorités centrafricaines. Deux poids, deux mesures donc ! » « Voilà qui ravale la Cour pénale internationale au rang de « quasi-juridiction » et qui, n’en déplaise à la FIDH, relativise fortement la portée du verdict Bemba. Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer l'image consternante que la Cour de La Haye donne d'elle-même à l'occasion du procès de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo. (…) A l’heure où l’Union africaine s’apprête à dire officiellement tout le mal qu’elle pense de cette "Cour" qui ne juge et ne condamne que des Africains, l'on comprend mieux les dispositions de la nouvelle Constitution congolaise qui mettent tout citoyen de notre pays à l’abri des décisions à l’emporte-pièce de cette institution d’opérette ».

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Quelques critiques :
Deux poids, deux mesures :

Déclarations de Koffi Annan, ancien Secrétaire général de l’ONU au quotidien britannique Financial Times (17/6/2016) : « Je rappelle aux Africains qu’ils ont tort de dire que ce sont uniquement les dirigeants africains qui sont jugés ». Les Africains ordinaires « veulent la justice si elle peut être rendue par leurs propres juridictions et, sinon, par une cour international » ». Trop souvent, « l’accent a été mis sur la protection des dirigeants. Mais qui parle du petit gars ? » (little guy).

POURQUOI CES DECLARATIONS MAINTENANT ?????...

Lenteur :

Premier verdict 2012 (10 ans après création ; 6 ans après arrestation milicien congolais Thomas Lubanga). Première condamnation 2014 (Germain Katanga)

Le monde est indifférent :

Instances de la CPI peu suivies, faible nombre de consultations sur Internet, traductions simultanées lentes, décor froid. La CPI, c’est l’anti-Nuremberg !

Néocolonialisme :

Le procureur n’enquête qu’en Afrique (absence d’action en Irak, en Afghanistan, en Palestine, en Colombie, en Côte d’Ivoire,…).

Procédure expéditive en Libye :

Kadhafi inculpé en trois mois seulement, puis assassiné. La CPI n’a-t-elle pas alors été instrumentalisée par les grandes puissances ? Son mandat d’arrêt n’a-t-il pas uniquement servi à « délégitimer » le guide libyen avant sa liquidation ?

Sources insuffisantes :

Plus de la moitié des violences rapportées par l’ONU, sur laquelle s’appuie largement la CPI, ne proviennent que d’une seule source : Human Rights Watch.
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Un bilan désastreux :

Dans son premier numéro de juin 2016, l’hebdomadaire français L’Obs publiait un article consacré à deux livres sur la CPI : « Le joker des puissants, de Stéphanie Maupas (Don Quichotte) et L’ordre et le monde, de Juan Branco (Fayard). Sur une double-page illustrée d’un dessin représentant la CPI assise sur un noir, qu’elle écrase, tandis qu’un grand Blanc au sourire carnassier s’en éloigne, les mains trempées de sang, ce journal soulignait que, quatorze ans après sa création, le bilan de la CPI est « pathétique », son « système » est « dévoré par ses compromissions ». Certes, à sa création en 2002, cette institution avait fait naître un « espoir fou », celui de mettre fin au « scandale des scandales : l’impunité des criminels de guerre et l’immunité des chefs d’Etat ».

Mais aujourd’hui, la CPI est un « machin » à la réputation « entachée ». L’hebdomadaire dénonce la « corruption » et la « pagaille » qui peuvent survenir « sur le terrain », quand il s’agit pour cette juridiction de dénicher des témoins. Et ce journal donne l’exemple de la Côte d’Ivoire, où des « intermédiaires recrutés par les enquêteurs de la Cour […] ont façonné des adolescents sur mesure ».

La CPI est perçu comme une « fontaine à fric » qui offre l’occasion de « fuir la pauvreté » car elle dispose d’un « bon budget pour accueillir en Europe les témoins et leurs familles », elle dont les juges sont payés « 15 000 euros par mois, et dont on attend qu’elle fasse ce pour quoi les deniers publics de tant de pays lui sont versés : dire la vérité, rendre la justice », concluait L’Obs.
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Faut-il dissoudre la CPI ? :

La lutte contre l’impunité demeure le but à atteindre. Dans un monde lancé depuis le 11 septembre 2001 contre « l’axe du mal » (George W. Bush) avec des moyens manifestement justifiés par cette fin (quid de « L’impératif catégorique » ?), l’universalité de la Cour relève de l’utopie. La recherche de solutions régionales (cour pénale africaine, etc…) est une piste de réflexion.
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Procès Gbagbo : cadeau empoisonné, la CPI dans l’incapacité d’inculper des personnalités de l’autre bord.

Dilemme de Javert : « Un policier qui a passé toute sa vie à combattre le mal peut-il être confronté à deux infamies, celle de l’arrêter et celle de le laisser s’enfuir ? ». Réfléchissez-y…..
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Les accusés ne sont que des personnes dont la communauté internationale veut se débarrasser par l’instrumentalisation de la justice internationale.
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La CPI cherche à judiciariser le nouveau désordre mondial pour que, au moment ou le souverain perd en puissance, la puissance ne devienne pas souveraine (Juan Branco)
FIN
NOTES
Côte d’Ivoire : procès Gbagbo
Le camp Ouattara, jusque-là épargné par les poursuites du procureur.

Or le plus grand massacre que la Côte d’Ivoire ait jamais connu a été perpétré par son camp à Duékoué, ouest de la Côte d’Ivoire, quartier « Carrefour » (majoritairement habité alors par des Wés, peuple le plus anciennement établi dans l’Ouest et considéré comme favorable à Gbagbo).

Les 29 et 30 mars 2011, les forces armées d’Alassane Ouattara ont massacré au moins 500 personnes (ONU) ; plus de 800 pour la seule journée du 29 mars (CICR) ; bien plus que 1 000, selon des rescapés. Les atrocités de Duékoué n’ont pour l’instant donné lieu à aucune poursuite.

Fin juin 2011, les survivants ont été transférés dans un camp placé sous la responsabilité du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) et établi au lieu-dit « Nahibly » (sortie de Duékoué) sous la protection de Casques bleus.

Ce camp a été attaqué le 20 juillet 2012 par les FRCI, des dozos et des ressortissants du nord du pays ou des États voisins (Mediapart), faisant fuir les Casques bleus. « Des dizaines de personnes ont été tuées, d’autres, pour la plupart des jeunes hommes, ont été enlevées et exécutées. Le camp, qui abritait près de 5 000 Wès, a été entièrement rasé. Il est apparu plus tard que l’assaut avait été préparé plusieurs jours à l’avance. Cinq ans après, les auteurs et responsables de ces tueries sont toujours en liberté, certains sont à des postes à responsabilité. Des puits contenant les corps de victimes de Nahibly, jetés là par les FRCI, sont gardés nuit et jour par des Casques bleus, sans que rien ne se passe sur le plan judiciaire ».

« Comment expliquer que la CPI n’ait toujours pas engagé de poursuites, alors qu’il apparaît clairement que des crimes contre l’humanité ont été commis ? La réponse semble assez évidente : Ouattara reste le grand allié des Occidentaux, de la France en particulier et du monde des affaires en général. L’armée française a été très active aux côtés des FRCI en 2011. Et l’ONU, dont l’attitude pose beaucoup de questions, n’a sans doute pas intérêt à ce que ce passé soit trop remué ».

« L’Association des ressortissants de Duékoué en France et en Europe (Ardefe) et « Solidarité Peuple Wé », ont constitué, avec l’aide d’avocats, un dossier remis à la CPI, en février. Y sont consignés les témoignages de 1 073 victimes des événements de 2011 et 2012 ».

« Avec ce dossier, « nous avons décidé de prendre la procureure de la CPI au mot. Elle dit qu’elle se soucie des victimes, qu’elle lutte contre l’impunité. Qu’elle nous explique alors pourquoi il n’y a toujours pas de poursuites », dit Habiba Touré, l’un des avocats impliqués » (Mediapart).

Confirmation des charges :

Lors de la première audience de confirmation des charges, deux juges étaient contre. Sursis à madame le procureur pour faire un complément d’enquête. Suite à ce complément d’enquête, il y a une décision confirmant les charges et le juge allemand qui a changé de position a démissionné de la Cpi 18 jours après le prononcé de la décision.
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Lors des audiences de confirmation des charges, la Cour avait présenté le sieur Epiphane Zoro Bi Ballo comme étant un expert indépendant dans le procès. Or, en Côte d’Ivoire, tout le monde sait que cet ancien juge du tribunal de Dimbokro qui a délivré un certificat de nationalité controversé à Alassane Ouattara. Il ne peut donc être ni neutre ni indépendant dans l’affaire de Gbagbo à la CPI, puisque cet ancien juge et ancien patron de la francophonie à Abidjan, a lui-même annoncé publiquement son entrée au RDR, parti de Alassane Ouattara, adversaire de Laurent Gbagbo à la présidentielle de 2010.
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Incidents de procédure :
Cité à charge, Sam l’Africain témoigne à décharge !
Par erreur, la CPI dévoile le nom de quatre témoins !
Le président de la Cour finira par décréter le huit-clos !
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Mali :
« Au Mali la France s’est mise d’accord avec la Cour pénale internationale pour s’assurer que des enquêtes auraient lieu mais seulement sous contrôle de la France, c’est-à-dire donc qu’à aucun moment, avec une capacité à enquêter sur ce que les forces françaises pourraient éventuellement commettre comme crime». (Juan Branco)

François Hollande appelle à « détruire », voire « éradiquer » les terroristes (janvier 2013). Un sous-directeur du Quai d’Orsay annonce que le Mali sera « dératisé ».

Libye :
Assassinat de Mouammar Kadhafi le 20 octobre 2011.

« Le procureur de la Cour pénale internationale va annoncer pendant la guerre en Lybie que des camions de caisses de viagra sont apportés aux forces de Kadhafi pour commettre des viols à l’échelle massive. En fait, il se fait intoxiquer par les services secrets d’une puissance étrangère qui lui font dire ça pour légitimer a postériori l’élimination de Kadhafi ». (Juan Branco)

Centrafrique :

« L’intervention militaire française s’effectue au nom de la « dignité humaine » sur fond de renégociations minières et pétrolières ». (Juan Branco)

Philosophie et histoire :

Système de Rome : fin de l’aporie née de l’ordre de Westphalie (1648). Création d’un espace cosmopolite et universel.
Impératif catégorique : « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen ». Kant (Fondements de la métaphysique des mœurs)
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Chute du mur : fin de l’Histoire ? Un horizon unique et universel se dessine pour l’humanité toute entière. Idée absurde : rejet du modèle occidental dans de nombreuses parties du monde. Puis 11 septembre 2001 ! Fin du rêve.
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Guantanamo : la démocratie ne peut connaître la notion de barbarie. Créer un étranger absolu, c’est nier sa propre essence.
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Affaire Pinochet :

Mandat d’arrêt international Baltasar Garzon (nov 1998) !
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Justice universelle : en 2003, Colin Powell menace la Belgique de transférer le siège de l’Otan (alors que Bruxelles avait adopté ce principe). Les USA retirent leur signature du Traité de Rome peu après l’arrivée au pouvoir de Georges W. Bush.

Par Norbert NAVARRO
Journaliste à RFI
Temple Arthur Groussier
GODF ( Paris le 20 juin 2016)