Luc Michel, homme politique belge et panéliste à Afrique Média: « La réconciliation ne se fera que contre Ouattara, contre sa personnalité, contre le mal qu’il a fait à ce pays »

Par Aujourd'hui - Luc Michel, homme politique belge et panéliste à Afrique Média « La réconciliation ne se fera que contre Ouattara, contre sa personnalité, contre le mal qu’il a fait à ce pays ».

Luc Michel, homme politique belge et panéliste à Afrique Média.

«Au fur et à mesure que les mois avancent, la situation en Côte d’Ivoire est de plus en plus complexe. C’est un pays non plus divisé mais fragmenté et cette fragmentation résulte et à la fois se reflète dans la fragmentation des forces politiques. C’est aussi cela le résultat des années Ouattara. La première force politique c’est le Fpi, le parti du président Laurent Gbagbo qui est maintenant brisé, suite à des manœuvres du régime Ouattara, en deux ailes antagonistes. La première, c’est l’aile fidèle au président Laurent Gbagbo qui vient de tenir un congrès où il a été réélu à la fois président du Fpi et désigné candidat à l’élection présidentielle. Gbagbo qui se trouve rappelons-le, avec Charles Blé Goudé dans les geôles de La Haye.

Sa femme Simone Gbagbo est quant à elle dans les geôles du régime Ouattara, en Côte d’Ivoire. Face à lui, il y a une autre aile qui est celle du président déclaré légal par les juges de ouattara qui est Affi N’guessan. Affi N’guessan a eu le tort de participer à une manœuvre menée par Ouattara. Il a été désigné par un autre congrès du parti, lui aussi candidat du parti à la présidentielle. Précisons qu’il n’a aucune chance de gagner les élections et qu’il va être une marionnette dans le théatre que Ouattara entend organiser pour se faire reélire. La grande nouveauté évidemment en Côte d’Ivoire, c’est la création d’une nouvelle coalition qui entend s’opposer à Ouattara. C’est la CNC : la Coalition nationale pour le changement qui est faite par 13 personnalités de la vie politique ivoirienne. Disons en gros que trois groupes s’y expriment, le Front populaire ivoirien, des dissidents du parti de Henri Konan Bédié, le Pdci. Konan Bédié participant lui, au rassemblement chargé de reélire Ouattara. Et un troisième parti politique qui a été créé par un autre dissident du FPI qui est Mamadou Koulibaly, le parti ‘’liberté pour la république’’ dont le sigle est un anachronyme ‘’Lider’’. Et c’est une plate-forme anti-Ouattara. L’une des choses qu’ils demandent : c’est l’amnistie pour les prisonniers politiques mais aussi pour Blé Goudé et Laurent Gbagbo. Et ils entendent forcer Ouattara à respecter la Constitution et le calendrier électoral. Il faut quand même savoir que si l’on respecte cette constitution, en principe Ouattara ne pourrait pas se présenter. Cette coalition n’a pas encore désigné de candidat unique. Ses membres en parlent certes mais ils entendent d’abord ramener la Côte d’Ivoire dans son cadre institutionnel. Face à cela, il y a la coalition qui veut faire reélire Ouattara qui est le RHDP et qui se trouve très mal actuellement à cause de la création de la CNC et de l’échèc de la prise de contrôle complet du FPI par Affi N’guessan. Il faut quand même dire un mot su cette coalition des houphouétistes…

Vous parlez d’Houphouet, Luc Michel, est-ce qu’on se trouve encore dans cette fameuse françafrique ?

Houphouet Boigny a été la grande personnalité ivoirienne et de l’Afrique Equatoriale, au moment précisément des années 60 de la décolonisation et de la françafrique, lorsqu’elle a été créée et dont il a été l’un des piliers. Je reviens à nouveau sur le livre fondamental qui vient d’être publié par l’historien Barth et qui s’appelle « La Fabrique des Barbouzes, les réseaux Foccart » et où on retrouve à de nombreuses pages quasiment tout au long du livre, Houphouet Boigny. Le livre explique comment la françafrique s’est créé. Au départ de l’action de l’appareil français où Foccart dirigeait la fameuse cellule des affaires africaines et malgaches, mais aussi au départ de barbouze, de services secrets parallèles et de mercenaires que Foccart dirigeait lui aussi en sous-main. Et troisièment, c’est une des choses les plus intéressantes du livre, qu’au travers de l’action des multinationales françaises dont dans les années 60, ELF, s’y ajouteront ensuite des firmes comme Aréva, Total etc. ELF, par exemple dans les années 60, a un service secret privé qui utilise et finance les hommes de Foccart. La françafrique est un savant mélange de manipulation, de promotion de politiciens africains qui sont devenus des fantoches et des marionnettes de Paris, dans une série de coup d’Etat, de cession ; ils ont aussi agi dans des Etats qui ne faisaient pas partie du pré-carré français avec également l’aide d’Houphouet Boigny. On pense également à la cessation du Biafra au Nigéria ou à la cessation du Katanga dans le Congo ex-Belge. Il faut rappeler cela pour comprendre que Ouattara même s’il est l’homme des américains, ancien directeur adjoint du Fonds monétaire international, c’est l’homme de ces milieux de la globalisation qui entendent privatiser et acheter le monde et aussi l’homme de Paris. 55 ans après Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire est toujours dans l’orbite de la françafrique.

Votre conclusion sur cette situation politique que vous dites fragmentée

En conclusion, il faut dire que la Côte d’Ivoire est fragmentée et divisée. La classe politique est elle aussi divisée. C’est le résultat de Ouattara. Des années Ouattara . Peu importe que Ouattara soit réélu ou pas, c’est un régime qui a terminé sa fonction historique, qui est désavoué. Qui va être, s’il se fait réélire, un président mal élu parce que son principal chalenger Gbagbo a été emprisonné, sa femme a été emprisonnée et donc ce sera un président mal élu quoiqu’il arrive. Il faut penser, je le dis souvent, à l’avenir. On ne peut pas continuer à sevir ce grand pays qu’est la Côte d’Ivoire, dans une guerre civile permenante qui est une guerre de la politique, de la mémoire. Qui est une guerre en fait qui existe dans les esprits. Il va falloir un jour se réconcilier. Et la réconciliation ne se fera que contre Ouattara, contre sa personnalité, contre le mal qu’il a fait à ce pays. Il faut regarder l’état réel des forces politiques. Il y a évidemment dans l’avenir la grande force qui va se dégager. Quel que soit l’avenir de cette coalition nationale pour le changement ou la suite des aventures d’Affi N’guessan, l’opposition sait que ce sera les Gbagbo, précisement madame Gbagbo qui est en train d’émerger comme l’une des grandes figures de la vie politique ivoirienne. L’autre force politique, ce n’est pas Ouattara car au moins 70 à 80 % des forces qui sont derrière lui ne sont véritablement pas à lui. Ce sont les forces de l’ancien premier ministre Guillaume Soro, le chef de guerre civile qui est aujourd’hui le président du parlement. Certes, aujourd’hui tant de choses opposent les Gbagbo et les Soro mais ils ont une caractéristique qui n’est pas celle de Ouattara. Ouattara c’est un politicien fantoche des occidentaux. Par contre, Soro et Gbagbo sont des politiques avec du réalisme, avec leur part de cynisme que requiert la grande politique, avec qu’on le veuille ou pas le sens de patriotisme de leur pays. Il faudra un jour évidemment que ces gens s’entendent. Et pour les gens intelligents, Machiavel nous l’expliquait déjà, il y a 5 siècles, la guerre civile n’existe pas en permanence entre politiques réalistes. Ajoutons une chose : circule en ce moment sur internet, de plus en plus, une photo usée. C’est celle de deux hommes dans leurs années de formation, au début de leur parcours universitaire. Ces deux hommes c’est Charles Blé Goudé et Guillaume Soro. Ils étaient à l’époque des amis. La politique les a séparés. Et je suis convaincu, ça c’est mon analyse, qu’ils se retrouveront un jour.

Retranscrit par Georgette Affi

Source : Afrique média

Publié par Aujourd’hui / N°898