Lampedusa : le bilan dépasse les 200 morts

Le Monde.fr avec AFP | le bilan dépasse les 200 morts à Lampedusa.

PHOTO: Seules 111 dépouilles ont été récupérées depuis que le bateau où s'entassaient quelque 500 Somaliens et Erythréens, partis de Libye, a pris feu, puis coulé jeudi – ici le hangar de l'aéroport de Lampedusa où ont été alignés les cercueils des victimes, le 5 octobre. | AP/LUCA BRUNO.

Les plongeurs italiens ont récupéré 17 nouveaux corps, lundi 7 octobre, autour de l'épave de l'embarcation de migrants qui avait fait naufrage jeudi près de Lampedusa. "Les plongeurs ont récupéré deux corps ce matin puis quinze plus tard, dont ceux de quatre femmes", a annoncé le commandant Filippo Marini, responsable des garde-côtes. Cette macabre découverte porte pour le moment à 211 morts le bilan de la tragédie, mais les autorités craignent qu'il ne grimpe à 360 morts.
Dimanche, les plongeurs avaient pu récupérer 70 corps dans la journée. Seuls 155 des quelque 500 Erythréens et Somaliens entassés sur un bateau de pêche parti clandestinement de Misrata, en Libye, ont pu être sauvés. "Il y a trois équipes qui travaillent par roulements de deux heures. A cause de la profondeur, ils ne peuvent rester que six à sept minutes au fond de l'eau", a expliqué Leonardo Ricci, un porte-parole de la police douanière à Lampedusa. Les autorités envisagent par ailleurs de renflouer le bateau, qui gît par 47 mètres de fond à 500 mètres des côtes.
Les rescapés se sont rendus samedi dans le hangar de l'aéroport où sont alignées les cercueils, pour un adieu déchirant à leurs proches. Selon le père Mosé Zerai, un prêtre érythréen qui dirige une association d'aide, ils ont demandé que les morts soient rapatriés en Erythrée, alors qu'initialement les autorités italiennes pensaient les enterrer dans des cimetières siciliens. Les survivants seront pour leur part accueillis à Rome, un geste inédit du maire de la capitale, Ignazio Marino, "en signe de rébellion contre la résignation et l'indifférence".
"LA COMPASSION NE SUFFIT PAS"
Ce nouveau drame de Lampedusa devrait engager un nouveau débat cette semaine entre Européens sur les moyens de prévenir de tels événements. Mais la mise en place de mesures communes fortes se heurte aux divergences entre Etats. Le dossier va s'imposer dès mardi à la table de la réunion des ministres de l'intérieur, qui se retrouvent à Luxembourg. A la demande de l'Italie, "il y aura un échange de vues sur la solidarité requise, car c'est effectivement le problème", a précisé une source proche de la présidence lituanienne de l'Union européenne. Aucune décision importante n'est cependant attendue à l'issue de cette réunion de quelques heures.
Pourtant "la compassion ne suffit pas" après le choc de Lampedusa, a affirmé samedi le premier ministre français, Jean-Marc Ayrault. Les responsables européens doivent "trouver la bonne réponse" aux questions que pose le drame, selon lui.
La ministre de l'intégration italienne, Cécile Kyenge, première Noire dans un gouvernement italien, a lancé un appel dimanche à Lampedusa pour qu'il n'y ait "plus jamais de telles tragédies" et que l'accent soit mis sur la "prévention". L'Italie demande "une attention particulière à l'Europe", a dit Mme Kyenge, sans donner de détails. Chacun doit agir en fonction de son rôle." La ministre a répété son souhait que l'Italie modifie une loi qui considère comme des "suspects" tous les immigrants clandestins. Selon elle, des changements "seront discutés" prochainement au sein du gouvernement gauche-droite d'Enrico Letta. "Quelqu'un qui fuit la guerre, un conflit ne peut pas se retrouver dans cette situation, nous avons des normes sur le droit d'asile et la Constitution" qui devraient les protéger, a-t-elle argué.
Mme Kyenge a aussi remercié les habitants de Lampedusa, "une île pleine du sens de l'accueil et qui doit être aidée", estimant qu'il faut "sortir de la situation d'urgence en matière d''immigration" que vit la petite île sicilienne depuis plus de dix ans. La veille, elle avait plaidé pour que soit attribué à la ville le prix Nobel de la paix.

Le Monde avec AFP

Drame de Lampedusa : "C'était comme une mer de têtes"
Le Monde.fr | 07.10.2013 | Par Charlotte Bozonnet

(Lampedusa, envoyée spéciale). Les traits tirés, elles en parlent encore avec émotion. Sharani et Linda étaient sur le bateau qui, le premier, a dû porter secours, jeudi 3 octobre, aux migrants africains naufragés à 600 mètres de l'île italienne de Lampedusa. Les deux jeunes femmes, la trentaine, le teint hâlé, n'ont vraiment rien de sauveteurs en mer. La première travaille huit mois par an dans une boutique de la rue commerçante de Lampedusa ; la deuxième, originaire de Catane, en Sicile, était là pour des vacances. Mais comme beaucoup d'habitants de l'île, elles ont été rattrapées par l'histoire singulière de ce caillou d'à peine 20 km2, si proche de l'Afrique.
Cette soirée du 3 octobre, elles partent avec six autres amis sur le bateau à voiles de l'un d'entre eux, pour "se baigner, dîner et profiter du coucher de soleil" à Tabaccara, une petite baie à l'eau turquoise. "Dans la nuit, explique Sharani, on a commencé à entendre des bruits étranges, lointains. On a pensé à des oiseaux." Vers 6 heures du matin, alors que les bruits persistent, les occupants du bateau décident de lever l'ancre et d'aller voir ce qui se passe. Ils découvrent alors comme des points noirs sur l'eau. "On n'a pas saisi tout de suite qu'il s'agissait de personnes", avoue la jeune femme.
Lorsqu'ils comprennent, les huit amis se mettent à hisser les naufragés un par un sur leur voilier. "Plus on en faisait monter et plus ils semblaient nombreux dans l'eau. C'était comme une mer de têtes", raconte Linda. Les jeunes préviennent par radio la capitainerie, lancent un appel aux autres bateaux de l'île. Une fois à bord, les rescapés, à bout de force, s'écroulent sur le sol, sans bruit. "Ils étaient trop épuisés pour parler", souligne Linda. Beaucoup sont nus, le corps enduit de gasoil.
Les huit sauveteurs improvisés sont rapidement rejoints par une barque de pêcheurs puis par les garde-côtes. En près deux heures, ils sortent 47 migrants de l'eau. "46 hommes et une femme", précisent Sharani et Linda. A la demande des garde-côtes, le voilier reprend alors le chemin du port.
"NOUS ÉTIONS 53 SUR UN BATEAU DE 10 MÈTRES"
Lorsqu'on les interroge sur le déroulement exact des événements, les deux jeunes femmes ont du mal à être précises. A 6 h 30 environ, les premiers rescapés sont hissés sur le bateau. Combien de temps les secours ont-ils mis à venir ? Environ 45 minutes, estiment-elles, sans pouvoir attester de l'heure exacte de leur arrivée. Leur véritable frustration, celle qui restera longtemps dans l'esprit des deux jeunes femmes, est plutôt de ne pas avoir pu en sauver plus. "On voulait continuer, revenir", souligne Sharani. "Mais nous étions 53 sur un bateau de 10 mètres, il fallait rentrer", reconnait-elle.
Mis en cause pour la lenteur de leur intervention, les secours ont expliqué avoir été appelés à 7 heures et être arrivés sur place 20 minutes plus tard. Quant aux refus de laisser les embarcations privées repartir en mer, le porte-parole des garde-côtes, Filippo Marini, a rappelé que leur rôle était de coordonner les secours, "sinon ce serait le chaos".
Arrivés au port, les 47 rescapés sont pris en charge par des médecins et du personnel du centre d'accueil qui attendent sur le quai. Les deux jeunes femmes, elles, sont rentrées chez elles. "On a pris une douche", dit simplement Sharani, le regard triste. " L'Europe, le monde oublieront peut-être, mais nous ici, on n'oubliera pas."
211 corps récupérés
Les sauveteurs italiens ont récupéré jusqu'ici 211 corps à la suite du naufrage jeudi du bateau de migrants africains, entre la Sicile et la Tunisie, ont annoncé lundi les autorités. Le navire transportait un demi-millier de personnes, en majorité des Somaliens et des Erythréens. Seulement 155 passagers ont pu être secourus.

Charlotte Bozonnet (LE MONDE)

DRAME DE LAMPEDUSA: L'AFRIQUE EN DEUIL!
Drame de lampédusa, l'Afrique en deuil !
Le CRAN tient à exprimer toutes ses condoléances aux familles endeuillées par le naufrage qui a coûté la vie à plus de 300 citoyens africains, au large de Lampedusa, le jeudi 3 octobre dernier.

Au-delà de ce drame, plusieurs questions se posent : comment empêcher ces tragédies récurrentes ? Que fait-on pour lutter contre ceux qui exploitent la misère d'autrui ? Ces murailles de l'Europe forteresse sont-elles vraiment utiles ? Ne sont-elles pas en partie responsables de cette situation ? Quelle est la destination réelle des aides au pays africains pour lutter contre la pauvreté et l’immigration clandestine ? Quels organismes gèrent ces moyens et avec quels contrôles ?

« Si tant de citoyens africains fuient la pauvreté, n'est-ce pas aussi parce que les pays d'origine continuent à être exploités dans le cadre d'un néo-colonialisme qui ne dit pas son nom, et avec le soutien de certains dirigeants peu scrupuleux », a indiqué Louis-Georges Tin, le président du CRAN.

Le CRAN demande donc que la question de la sécurité des migrants soit à l'ordre du jour du sommet France-Afrique qui aura lieu en décembre prochain. « Tant que la gestion économique africaine ne sera pas libre et autonome, pour garantir le bien être des pays et de leurs peuples, l’immigration vers l'Occident demeurera toujours une réalité incontrôlable, et ces tragédies se répéteront », a mis en garde Guy-Samuel Nyoumsi, vice-président du CRAN chargé des relations avec l'Afrique.

Contacts : Louis-Georges Tin,
tin@le-cran.fr, 06 19 45 45 52
Guy Samuel Nyoumsi
gsnyoumsi@le-cran.fr 06 98 97 43 614