La CPI: « une institution toujours plus faible » qui en est « réduite à faire symbole », selon Juan Branco

Par Jeune Afrique - La CPI « une institution toujours plus faible » qui en est « réduite à faire symbole », selon Juan Branco.

La façade de la Cour pénale internationale à La Haye. © Mike Corder/AP/SIPA.

Par Jules Crétois

Juriste français, spécialiste de la justice internationale et notamment connu pour être l'avocat de Julian Assange, Juan Branco analyse les récentes révélations sur la CPI. Pour lui, elles ne sont pas si étonnantes : elles sont en cohérence avec les fondements de l'institution.

Juan Branco est l’auteur de L’Ordre et le Monde : critique de la Cour pénale international, paru chez Fayard (Paris) en 2016, et d’une thèse sur l’organisation internationale. Juriste, avocat de Julian Assange, il a été candidat aux dernières élections législatives françaises avec la formation de gauche la France Insoumise. Il revient ici sur les dernières révélations concernant la Cour pénale internationale (CPI).

Avez-vous été étonné par les révélation publiées sur Médiapart concernant le procureur général de la CPI, Luis Moreno Ocampo et les soupçons de collusion entre la France et la CPI concernant le transfert de Laurent Gbagbo à La Haye ?

Depuis le début, l’affaire de Laurent Gbagbo a été considérée comme une illustration assez claire des errements de la CPI et du problème structurel qu’elle connaît. Et depuis un certain temps, on savait que Luis Moreno Ocampo jouait avec les lignes rouges.

Le pouvoir discrétionnaire du bureau du procureur est trop important et n’est pas contrebalancé par un réel système de contrôle. Donc l’étonnement n’est que relatif… Disons que la dérive morale et individuelle que décrit Médiapart vient compléter un tableau d’un système qui était déjà très critiquable.

Luis Moreno Ocampo avait été saisi dès 2003 et aurait pu mener une action en amont, et prévenir d’un conflit électoral. Mais l’agenda de la CPI semble largement celui des grandes puissances, et dans une certaine mesure, des vainqueurs.

Dans un contexte géopolitique de « retour des conflits », la CPI semble paradoxalement peu attrayante
Certains y voient une chance pour la CPI, qui pourrait être réformée à l’aune de ces révélations…

Des institutions vivent parfois des reculades pour mieux sauter. Mais la CPI est un instrument très difficile à réformer. Il faudrait une conférence de révision, un mécanisme assez lourd, alors que la communauté internationale est appelée sur des fronts considérés comme plus urgents.

D’une manière générale, la CPI n’est pas une institution très vivante et dynamique. Regardez ne serait-ce que le nombre de ratifications : il n’évolue presque pas. Il y a une réelle absence de mouvement. Dans un contexte géopolitique dans lequel on craint une sorte de « retour des conflits », la CPI semble paradoxalement peu attrayante.

Au contraire, il y a des pays qui menacent de se retirer, voir qui vont peut-être sortir, à l’instar du Burundi…

On pourrait le dire ainsi : heureusement pour la CPI que les révélations n’arrivent que maintenant. Quelques temps en arrière, alors que des pays africains – et l’Union africaine elle-même – envisageaient un retrait coordonné, elle n’aurait peut-être pas tenue… L’institution n’attire plus. En vérité, je crois qu’elle s’effondre avec le monde qui l’a vu naître, en 1998.

Au Mali, le procureur avait demandé aux autorités françaises d’enquêter à leur place
Ces menaces africaines ont-elles un poids sur l’institution ?

Oui, l’ouverture d’une enquête sur la guerre en Géorgie et la publication d’un rapport sur les crimes de guerre en Afghanistan – quinze ans après l’entrée des forces armées américaines dans le pays – ont été réactives. Cela a existé aussi parce que des pays africains ont ouvertement fait part de leurs critiques, et pour sortir de l’ornière d’une Cour qui ne juge que des Africains.

Mais paradoxalement, l’aspect purement réactif illustre encore une fois la faiblesse de l’institution : ses décisions suivent des agendas politiques ou médiatiques qui ne sont pas toujours cohérents.

Des associations africaines exigent l’ouverture d’une enquête sur la mort de Mouammar Kadhafi. Qu’en pensez-vous ?

C’est tout à fait compréhensible : la Libye est, à côté de l’affaire Gbagbo, un cas emblématique du fonctionnement de la CPI. En Libye, la célérité de l’action de la CPI a été mise en regard avec l’Afghanistan, où l’examen préliminaire, ouvert tardivement n’a toujours pas débouché sur une décision.

A l’époque, Luis Moreno Ocampo a proposé de délivrer immédiatement des mandats d’arrêt contre des figures du régime, alors qu’une intervention internationale était toujours plus sérieusement envisagée. Cela aurait légitimé une intervention armée. De nombreuses personnes s’interrogent donc à juste titre sur la manière dont le dossier libyen a été traité dans son ensemble.

Mais l’action de ces associations pourra-t-elle porter ses fruits ? Je doute que la CPI puisse mener une enquête sur une affaire politico-militaire française. Je ne crois pas qu’elle en ait les moyens. Et elle entretient des rapports particuliers aux États : dans mon livre, j’écrivais que, lors de la guerre au Mali, les représentants du procureur avaient demandé aux autorités françaises d’enquêter à leur place.

Dans le même ordre d’idées, on peut se demander si, à propos de l’Afghanistan, la CPI aura les moyens de mener une enquête complète, visant des ressortissants américains. Aujourd’hui, la CPI en est réduite à « faire symbole ». Dans le cas du Mali par exemple, elle a livré au monde un exemple concernant les destructions de mausolées, mais n’a pas pu faire plus.

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