Cour pénale internationale: Ocampo aimait se confier aux people (Belgique)

Par Le Soir - Cour pénale internationale: Ocampo aimait se confier aux people (Belgique).

L'ancien procureur en chef de la Cour pénale internationale Luis Moreno Ocampo accusé de corruption et de complot contre Gbagbo par Mediapart.

PAR STÉPHANIE MAUPAS (MEDIAPART)

Les secrets de la Cour pénale internationale: une nouvelle enquête de l’EIC
Pendant son mandat à la CPI, Ocampo aimait frayer avec la jet-set, quitte à gager son indépendance et celle de la Cour pénale internationale. Les stars, elles, voulaient « réparer le monde », sans grand succès.

La plus glamour des conseillers de l’ombre du magistrat fut sans aucune doute Angelina Jolie, comme le révèlent les milliers de documents obtenus par Mediapart et analysés par le réseau EIC – dont fait partie Le Soir : au printemps 2012, alors qu’il termine son mandat à la CPI, c’est à l’actrice qu’Ocampo demande conseil dans l’épineux dossier palestinien (trois ans plus tôt, Ramallah a réclamé une enquête sur les crimes de l’occupation israélienne) : « Mardi, je déciderai que le Bureau ne peut pas enquêter sur les allégations de crimes en Palestine, écrit le magistrat à la star américaine. Les responsables palestiniens comprennent et respectent ma décision. Les Israéliens sont aussi OK. La question est comment présenter cela aux personnes normales… »

Amitiés qataries
En ce même printemps 2012, le congolais Thomas Lubanga est déclaré coupable de crimes de guerre. Ocampo revient, lui, du Qatar. Il y a rencontré la Sheikha Moza, et a remis son dossier à son organisation, Education Above All (EAA). « Pas seulement les preuves, mais toutes les informations que nous avions sur l’impact » des crimes, précise-t-il…

Les risques inhérents d’une politique pénale basée sur des réseaux interpersonnels se concrétisent les 8 et 9 juillet 2017 lorsque, à l’occasion d’un voyage de Fatou Bensouda au Qatar, l’agence officielle qatarie (QNA) annonce que la procureure a exprimé ses regrets pour le blocus décidé début juin contre l’irritant petit émirat. Bensouda s’explique alors dans un communiqué : elle nie toute déclaration politique, rappelle agir en toute indépendance. La procureure a été piégée : alors que la Cour est déjà durablement affaiblie, elle fait encore douter de sa probité tandis que le Qatar peut tranquillement marquer quelques points dans la crise qu’il traverse.

Le Qatar n’est pas seul à nourrir un intérêt appuyé pour la cour. En 2005, la CPI a émis cinq mandats d’arrêt contre les chefs de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), dont Joseph Kony. La terrifiante milice, alors active au nord de l’Ouganda, enlève et enrôle depuis deux décennies femmes et enfants, pille tout sur son passage, signe ses crimes en coupant les lèvres de ses victimes. En 2010, à l’instigation d’Invisible Children et d’Enough Project, deux ONG américaines, Washington envoie plus d’une centaine de conseillers pour la traque de Kony dans la région. Une façon, aussi, d’y déployer des bases militaires. Après avoir fait envoyer des soldats pour stopper la guerre, l’ONG californienne lance, en avril 2012, l’opération « Hunting Kony », distribuant notamment des posters de Kony aux écoliers, les invitant à placarder le visage de l’ennemi public nº1 sur les murs de leur ville. Luis Moreno Ocampo ne se distancie pas de cette opération de communication. Que du contraire, il propose son aide à l’ONG pour mobiliser les ambassadeurs ougandais, centrafricains, congolais, aux Nations unies. A la CPI, le procureur n’est pas parvenu à mettre sur pied sa propre équipe pour traquer les fugitifs mais il adhère ensuite et sans réserve aux initiatives parallèles privées, pourtant porteuses de conflits d’intérêts. A Invisible Children, il suggère de travailler avec Angelina Jolie. « Elle voudrait inviter Kony à dîner et l’arrêter », leur dit-il.

Kony n’est pas le seul à susciter les rêves d’aventure. Dans la hiérarchie des mandats d’arrêt de la CPI, le président soudanais Omar Al Béchir est, à Hollywood, une cible très « trendy ». En 2009 et 2010, la Cour lance deux mandats d’arrêts contre le chef d’Etat soudanais pour crimes contre l’humanité et génocide. « Un homme d’affaires est prêt à payer pour l’arrestation de Béchir », indique alors une source à la Cour. Pierre Omidyar, le fondateur et patron d’eBay, et « le procureur du monde » se sont rencontrés à plusieurs reprises. La 54e fortune mondiale a un projet : récompenser les lieutenants qui fourniraient des preuves contre les hauts responsables de crimes de masse. Derrière des initiatives au premier regard charitables, les « sauveurs » qui gravitent autour du procureur rêvent de changement de régime. Ils n’ont aucun mandat démocratique, mais tirent leur légitimité de leur seule fortune et de leurs réseaux.

« Un système où tout le monde se sent regardé »
L’affaire Darfour passionne aussi George Clooney. Avec l’activiste John Prendergast, il créé Satellite Sentinel Project (SSP), censé traquer depuis le ciel les criminels du Soudan et du Sud-Soudan. Vice-présidente d’un influent think tank américain, Lisa Shields informe Ocampo des premiers résultats en janvier 2011. « Notre petit satellite va baiser quelques sales types », lui a confié George Clooney. « Ce serait super d’inventer un système global où tout le monde se sent regardé », rêve alors Ocampo.

A peine vient-il d’être saisi par l’ONU des crimes commis en Libye, en février 2011, qu’Ocampo interroge George Clooney, par l’intermédiaire de Lisa Shields : « Peux-tu vérifier s’il y a une chance de faire le programme Sentinel en Libye ? » Mais il n’obtient pas satisfaction : Clooney n’est pas prêt.

Ocampo rêvait d’un système global de surveillance ? Palantir l’a fait. Créée en 2004, la société est évaluée à 20 milliards de dollars et compte comme clients la CIA, le FBI, la NSA, l’US Air Force et depuis l’automne 2016, la DGSI, les renseignements intérieurs français. Elle fait aussi dans « l’ingénierie philanthropique ». L’ancien procureur y possède aussi ses entrées : interrogé par EIC, le bureau du procureur indique avoir « brièvement utilisé » le logiciel d’analyse de Palantir, gratuitement. Mais n’avoir « aucun contrat ou relations en cours » avec la société.

Pamela Omidyar, l’épouse du cofondateur d’Ebay, s’intéresse elle aussi au Soudan, partageant ses réflexions avec Ocampo, lui suggérant des stratégies.

Interrogés par EIC, le couple Omidyar, Angelina Jolie, George Clooney, Sheikha Moza bint Nasser, John Prendergast, Catharine Mackinnon et Lisa Shields n’ont pas souhaité s’exprimer.

L’actuelle procureure de la CPI a pour sa part fait savoir qu’elle ignore si Ocampo a, ou non, partagé les informations sur Lubanga avec l’association « Education above all » et affirme que lors de son voyage au Qatar, où elle devait assister à un mariage, elle ne s’est pas exprimée sur le conflit entre le Qatar et les pays voisins.

Les secrets de la Cour pénale internationale: une nouvelle enquête de l’EIC
Peut-on être un magistrat international d’une « haute moralité », comme l’exigent les statuts de la Cour pénale internationale (CPI), et en même temps s’écarter des procédures de droit international ? Peut-on donner l’apparence de l’indépendance et développer des activités financières offshore ?

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Ensuite, une fois revenu au privé, peut-on se jouer du code de conduite de la Cour, tenter d’influencer des employés de la CPI et influer sur des dossiers en cours ?

Onze médias et plus de vingt journalistes, regroupés au sein du réseau d’investigation European Investigative Collaborations (EIC), se sont penchés sur 40.000 documents, câbles diplomatiques et courriers qui jettent une lumière crue sur celui qui fut, de juin 2003 à juin 2012, le premier procureur de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, l’Argentin Luis Moreno Ocampo.

Maître de projet : Fabrice Arfi (Mediapart).

Journalistes : Fabrice Arfi, Stéphanie Maupas, Fanny Pigeaud (Mediapart), Sven Becker, Marian Blasberg, Dietmar Pieper (Der Spiegel), Hanneke Chin-A-Fo (NRC Handelsblad), Amanda Strydom, (ANCIR) ; Michael Bird, Zeynep Sentek, Craig Shaw (RCIJ/TBS) ; Blaž Zgaga (Nacional) ; Alain Lallemand, Joël Matriche (Le Soir) ; Paula Guisado (El Mundo) ; Stefano Vergine (L’Espresso) ; Micael Pereira (Expresso), Jonathan Calvert, George Arbuthnott (The Sunday Times).

Techniciens et graphistes : Alex Morega, Gabriel Vijiala (RCIJ/TBS) ; Stephan Heffner (Der Spiegel) ; Nicolas Barthe-Dejean, Donatien Huet (Mediapart) ; Marien Jonkers (NRC Handelsblad).

Coordinateur de projet : Ștefan Cândea (EIC).

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