Côte d'Ivoire: L'émergence de la colère électrique des ivoiriens, Par Dr Don Mello Ahoua

Par Ivoirebusiness - CÔTE D’IVOIRE. L’EMERGENCE DE LA COLERE ELECTRIQUE DES IVOIRIENS, Par Le Dr Don Mello AHOUA.

Doukoua Godé, président de la confédération des organisations de consommateurs de Côte d’Ivoire était en colère le jeudi 21 mai 2015 car, à l’issue du conseil des ministres tenu ce 21 Mai à Odienné, le gouvernement a annoncé une augmentation du prix de l’électricité qu’il a justifiée par le déficit cumulé du secteur qui s’élève à 200 milliards de Francs CFA. Ce déficit, selon le gouvernement, est dû à des coûts de production trop élevés par rapport au prix de vente.
Ce diagnostic du Dr Ouattara, dit « ADO Solutions », offrait à notre honorable Docteur, deux solutions possibles:
1–La réduction des coûts de production;
2–L'augmentation des prix de vente de l’électricité.
Est-il possible de réduire le coût de production ? Si oui pourquoi choisir d’augmenter le prix de vente de l’électricité à la population ? Les réponses à ces deux questions, permettront de diagnostiquer les raisons de l’émergence de la colère électique des ivoiriens mais aussi d’apporter une solution qui privilégie leurs intérêts.
Pour répondre à ces questions, examinons d’abord la structure d’une facture d’électricité pour les ménages à faible revenu dont le tarif est dit « tarif domestique modéré basse tension ». Ce tarif est destiné aux ménages à faible revenu dont la consommation moyenne d’énergie électrique n’excède pas 200 kWh par bimestre.
Le tarif domestique modéré basse tension est de structure binomiale donc constitué de deux (02) tranches. Une première tranche relative aux abonnés dont les consommations sont comprises entre 0 et 80 kWh et une seconde tranche pour les consommations supérieures à 80 kWh.
Le site web de l’agence nationale de régulation du secteur électricité nous donne un exemple concret parmi les plus faibles consommateurs en milieu rural. Pour une consommation de 156 Kwh du sieur Atagblin avec une puissance souscrite de 1.1kva (5 ampères), la facture totale est de 10 024FCFA dont : 9066 FCFA représentant le coût de l’énergie (ce coût double en passant du tarif modéré au tarif général, courant en milieu urbain), 256 FCFA la redevance électricité rurale, 312 FCFA la redevance RTI (elle est de 2 FCFA/Kwh en milieu rural et est fixe et égale à 2000 FCFA pour les quartiers urbains), 390 FCFA la taxe communale.
Pour améliorer le petit déjeuner de l’ivoirien, il importe de supprimer la redevance RTI. Elle est un instrument de propagande du rattrapage ethnique et donc ne peut être financée par tous les citoyens. Cette redevance est semblable au prélèvement obligatoire sur salaire pour payer les cartes du PDCI-RDA sous le parti unique qui a été supprimée en 1990 après le multipartisme. Pour un certain nombre d'Ivoiriens, avoir de l'électricité ne signifie pas obligatoirement posséder un poste de télévision. Ce qui rend complètement inique cette redevance. Il serait donc plus juste de supprimer la redevance RTI de la facture d'électricité et la repenser autrement.
Pour améliorer le quotidien de l’ivoirien, soulager les PME et améliorer la compétitivité de l’économie ivoirienne, il importe de s’attaquer à la partie la plus élevée de la facture à savoir le coût de l’énergie, ce qui demande une bonne compréhension du processus de production de l’électricité en Côte d’Ivoire.Le secteur de l’électricité est composé de trois sous-secteurs:
1. le sous-secteur transport, distribution et vente de l’électricité. Il constitue un monopole privé géré par la Compagnie Ivoirienne de l’électricité (CIE) dont le contrat est échu en 2005 et renouvelé pour 15 ans. Bouygues s’est retiré de ce secteur pour faire rentrer l’assureur français AXA actionnaire du Groupe ERANOVE qui détient la majorité du capital de la CIE.

2. Le sous-secteur production. Il est libéralisé et fait l’objet de concession à durée déterminée à des privés qui rétrocèdent à l’Etat à la fin de la concession. La CIE gère pour le compte de l’Etat les barrages hydroélectriques qui appartiennent tous à l’Etat. La production thermique qui assure 75% de la production, est réalisée par les centrales thermiques de Vridi, CIPREL (propriété du Groupe ERANOVE).AZITO, AGGRECO

3. Le sous-secteur Gaz est contrôlé à 75% par Foxtrot, propriété des frères Bouygues. Son contrat a été prolongé par le gouvernement jusqu'au 04 avril 2024 (avenant n°4). Les 25% restants sont produits par CNR (Canadian Natural Ressources) qui produit du gaz associé au pétrole des champs Espoir et Baobab, AFREN, PETROCI (détenteur depuis 2003 des gisements Panthère et Lion. Ce dernier gisement contient du gaz associé au pétrole).
Selon le mode de gestion du secteur de l’électricité, la fixation du prix payé par le consommateur fait l’objet d’un décret. L’ensemble des ressources constituent le chiffre d’affaires du secteur perçu par la CIE et redistribué par ordre de priorité à chaque sous-secteur selon les contrats de concessions signés avec l’Etat.Le secteur gaz a la priorité absolue après suit le secteur des centrales thermiques. En 2014,le chiffre d’affaires était de 418,4 milliards de FCFA.
L’eau est gratuite pour faire fonctionner les turbinesdes barrages hydroélectriques qui assurent le 1/3 de la production. le gaz est payant et constitue le coût le plus élevé dans la production de l’énergie électrique.Il était de 2/3 du chiffre d’affaires en 2011. En Côte d’Ivoire les 2/3 du gaz sont extraits des forages en mer par l’entreprise Foxtrot propriété des deux frères BOUYGUES et non de la société Bouygues. Jeune Afrique avait écrit sur son site du 11 septembre 2015 à 15h47,« Côte d’Ivoire, les frères BOUYGUES se retirent complètement des secteurs de l’eau et de l’électricité »sans préciser que les frères BOUYGUES y sont toujours dans le sous-secteur gaz qui fait partie intégrante du secteur électricité. Cette opération de communication a permis de créer un écran de fumée et de cacher aux Ivoiriens le super profit réalisé par les frères BOUYGUES avec le gaz ivoirien. Ce profit est sans commune mesure avec celui réalisé dans le sous-secteur distribution avec la CIE.
Selon le rapport du séminaire organisé par les experts ivoiriens sous l’égide du gouvernement en Novembre 2012 dont le thème était « DEFIS ET ENJEUX DU SECTEUR DE L’ENERGIE EN COTE D’IVOIRE : MESURES D’URGENCE ET PLANS À MOYEN ET LONG TERMES », le constat était sans équivoque :
« Si la situation électrique de la Côte d’Ivoire peut paraître enviable en comparaison avec la plupart des pays de la sous-région, il n’en demeure pas moins que depuis maintenant plus de deux décennies, elle est confrontée à des difficultés qui ont progressivement entrainé un déséquilibre financier qui à fin 2010 avoisinait les 200 Milliards de FCFA. Au nombre de ces difficultés figurent le coût trop élevé du gaz dont dépend au 2/3 l’électricité produite »
La recommandation des experts ivoiriens était sans appel :
« Renégocier à la baisse le prix du gaz naturel (gaz sec/ gaz associé) »
Nos courageux experts ne se sont pas arrêtés là, ils ont même fixé le montant annuel de réduction du coût du gaz : 127 milliards de FCFA par an dont 100 milliards avec les frères BOUYGUEScontre un déficit annuel du secteur de 63 milliards de FCFA !
Le courage des experts ivoiriens venait contredire le FMI qui recommandait une augmentation des tarifs de l’électricité le 12 Mai 2012 soit six (6) mois avant les experts ivoiriens qui ne l'ont pas suivi dans ses élucubrations. Comme son habitude, le FMI avait probablement suscité ce séminaire pour avoir l’adhésion des experts ivoiriens à sa thèse.
« Le Fonds Monétaire International a appelé, à des réformes dans le secteur de l'énergie en Côte d'Ivoire, à l'occasion du versement des 100 millions de dollars d'un prêt au pays, soit environ 50 milliards de FCFA. Le FMI a appelé à assurer l'avenir de la Compagnie Ivoirienne d`Electricité (CIE) par "de nouvelles mesures, y compris des hausses des tarifs" ». Rapporte le quotidien Notre Voie dans sa livraison du 14 Mai 2012.
Les experts ivoiriens n’avaient pour seule préoccupation que les intérêts du sieur Atagblin qui veut améliorer sa condition de vietandis que les experts du FMI se préoccupait plus des deux frères BOUYGUES qui empochent indûment 100 milliards de FCFA par an en vendant aux ivoiriens leur propre gaz contre 50 milliards d’aide du FMI!
On voit bien que l’aide à l’Afrique rapporte gros aux généreux donateurs et fait perdre beaucoup à l’Afrique.
Pourquoi M. Ouattara a préféré tendre la main au lieu de se prendre en main ? Pourquoi M.Ouattara a préféré l’aide à la souveraineté économique ? Pourquoi le Dr. Ouattara a préféré l’expertise internationale à l’expertise nationale?
Comment nos experts sont-ils arrivés àla conclusion qu’on peut réduire le coût du gaz et donc les factures d’électricité et pourquoi le gouvernement ne pouvait pas suivre les recommandations de nos experts ?
En effet le contrat qui lie les frères BOUYGUES à l’Etat ivoirien sur les anciens forages du bloc CI-27 pour la production du gaz était arrivé à expiration, par conséquent, le gaz et les équipements pour l’extraire devenaient la propriété des ivoiriens donc le gaz devenait gratuit comme l’eau des barrages hydroélectriques et les frères BOUYGUES n’avaient pas le droit de vendre aux ivoiriens leur propre gaz. Il était donc possible d’économiser le profitsur le gaz des anciens forages en confiant la gestion à la PETROCI, société d’Etat qui opère déjà sur les gisements Panthère et Lyondepuis 2003 par la volonté de Laurent GBAGBO et donc qui possède toute l’expertise nécessaire pour assurer la gestion du gaz pour le compte de l’Etat. Le Dr Ouattara a préféré prolonger le contrat des frères BOUYGUES (après le consentement d’une légère baisse du prix du Gaz) jusqu’en 2024 pour vendre aux ivoiriens leur propre gaz! On peut imaginer les dessous de table qui ont conduit à une telle décision grave de conséquence pour la compétitivité de l’économie du pays et la vie des citoyens. Une telle aide de la Côte d’Ivoire aux frères BOUYGUES ressemble à un remboursement de la gratuité de l’électricité aux rebelles de 2002 à 2011 et un impôt sur chaque citoyen pour rembourser les frais des bombes qui se sont abattues sur la Côte d’Ivoire.Près de la moitié du paiement effectué par chaque ivoirien en réglant sa factured’électricité, finance cet« impôt de capitation » qui ne dit pas son nom. Christophe BARBIER ne croyait pas si bien dire lorsqu’il déclarait à la chaîne de télévision française LCI au lendemain de l’arrestation de Laurent GBAGBO par les forces françaises « Nous leur ferons payer la facture de la guerre……en matières premières, en énergie »
En plus, l’étude qui a servi de base au contrat de partage à durée limitée du gaz ivoirien aux frères BOUYGUES, conduite sous la maîtrise d’œuvre du BNETD, a conclu à un équilibre financier au profit des frères BOUYGUES de 20$ le baril de pétrole comme prix deréférence, le prix du gaz étant indexé au prix du pétrole dans le contrat. Entre 2000 et 2010, le prix du baril a monté d’une manière extraordinaire avoisinant les 100$ le baril. Selon le contrat « take or pay » qui lie les frères BOUYGUES à la Côte d’Ivoire, le gaz est vendu au secteur électrique en référence au prix du pétrole sur le marché international. Le trop plein perçu par les opérateurs gaziers n’a pas fait l’objet d’un partage avec le gouvernement ivoirien pris en otage par le hold-up de la Côte d’Ivoire par la Françafrique de 2002 à 2010. Un audit sérieux par des experts nationaux peut permettre de prouver sans grande difficulté que le cumul du trop-plein perçu dépasse largement le cumul des déficits ainsi que les investissements actuels du secteur qui ont servi de prétexte pour renouveler les contrats de concession. Le renouvellement du contrat de la CIE et des contrats gaziers s’inscrit dans le cadre de ce hold-up ayant pour conséquence un mariage forcé entre les françafricains et le peuple de Côte d’Ivoire. Les ressources issues de ce mariage forcé sont donc des biens mal acquis qui méritent d’être rétrocédés au peuple à travers un vrai procès après un audit. Annuler purement et simplement ces contrats gaziers et confier la gestion à PETROCI pour soulager le peuple ivoirien en réduisant les factures d’électricité n’est que justice. La désignation par appel d’offre des responsables des structures de l’État a montré toute son efficacité. Il reste à instaurer le principe de rendre compte aux représentants du peuple élus selon des règles consensuelles pour assurer une bonne gouvernance de l’État et de ses sociétés. Il n’y a aucun argument technique ni financier qui justifie ces mariages forcés. Ce qui est vrai pour l’électricité l’est autant pour tous les secteurs stratégiques de l’État (téléphonie, eau, cacao, pétrole, travaux publics, marchés publics, banques). L’émergence du bien-être du peuple de Côte d’Ivoire passe par la souveraineté des secteurs stratégiques.
La leçon qu’il faut tirer du secteur électricité en Côte d’Ivoire et qui est valable pour tous les autres secteurs, est que l’Afrique n’a pas besoin d’aide mais de souveraineté économique. Elle n’a pas besoin d’experts internationaux mais de bonne gouvernance qui fait confiance aux experts nationaux et qui se débarrasse du complexe d’infériorité et de la corruption.
La souveraineté est une conquête permanente du peuple dans tous les domaines. Elle appartient au peuple. Aucun individu et aucune section du peuple ne peut en abuser pour longtemps.
L’émergence de la colère de monsieur Godé et des ivoiriens est donc justifiée. La solution du Dr Ouattara lors de la fête du travail le 1er Mai 2016 de libéraliser le secteur de la distribution ne fera que multiplier les prédateurs françafricains et donc multiplier l’impôt de capitation. Elle conduira nécessairement à une hausse plus élevée des factures d’électricité comme dans le sous-secteur gazier. La libéralisation du sous-secteur gazier et du sous-secteur centrales thermiques a entraîné la multiplication des impôts de capitation et l’augmentation du coût de l’électricité.
La solution à court terme à la colère de monsieur Godé et à l’amélioration des conditions de vie de monsieur Atagblin est donc la suppression de la redevance RTI et l’annulation pure et simple de la facture problématique de Juillet 2016. Les ivoiriens ont droit à une subvention de l’Etat pour la réparation de sa propre faute et qui ne représente qu’une goutte d’eau par rapport aux énormes subventions qu’il accorde au secteur. La mesure qui permettra de baisser la facture des ménages et des opérateurs économiques, est l’annulation pure et simple du renouvèlement des contrats gaziers issus d’un hold-up de la françafrique en confiant la gestion à la PETROCI. Ces mesures permettront de réduire le coût de l’électricité en supprimant les énormes profits injustifiés qui ressemblent à un «impôt de capitation » payé à la françafrique. Le bonheur des françafricains n’a pas le droit de prospérer sur le malheur des citoyens ivoiriens.

Une contribution de DON MELLO Ahoua
Docteur Ingénieur des Ponts et Chaussées,
Ancien DG du BNETD,
Ancien Ministre