Banny à propos des 16 milliards à la CDVR : L’Inspection générale peut vérifier nos comptes

Par L'Intelligent d'Abidjan - Banny à propos des 16 milliards à la CDVR. L’Inspection générale peut vérifier nos comptes.

Charles Konan Banny.

Le président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) a remis son rapport au Président de la République le lundi 15 décembre 2014. En fin de mandat, Charles Konan Banny a dressé le bilan des activités menées par la CDVR pendant trois (3) ans au cours d’une conférence de presse le mercredi 17 décembre 2014 à la Riviéra. Ci-dessous, de larges extraits de son intervention.

L’affaire des 16 milliards de FCFA alloués à la CDVR
«Je souhaite que chacun de nous aille à l’essentiel. N’attendez pas de moi que je vienne discuter des chiffres qui ont été annoncés par le Président de la République dans une déclaration officielle au palais de la République. Je ne commente pas, j’ai suffisamment d’expériences. Le Président de la République et moi avons un parcours. Nous savons ce que les chiffres veulent dire. Mais souvenez-vous que l’ordonnance dit que la CDVR est une autorité administrative indépendante dotée d’une autonomie financière. Il y a un agent du Trésor, c’est lui qui est responsable, c’est lui qui est en rapport avec le Trésor qui alimente les besoins et qui tient la comptabilité. Il n’y a donc pas de problème de ce côté. Il fallait bien que ce soit l’Etat qui finance, mais est-ce que l’Etat a effectivement donné les ressources ? Je ne sais pas, mais si le Président de la République l’a dit, que voulez-vous que je dise ? Tout au plus, l’Inspection générale peut vérifier nos comptes, mais je ne pense pas que ce soit ce que le Président de la République ait voulu dire (…) A combien vous évaluez les morts ? Savez-vous ce que c’est que la perte d’un point de croissance du fait de la guerre ? A combien vous estimez la pauvreté qui a été créée en vingt années de crise ? Qui vouliez-vous qui finançât une mission créée par le Chef de l’Etat, si ce n’est l’Etat de Côte d’Ivoire ? Si vous voulez dire que je suis sorti de cette mission avec un enrichissement personnel, vous êtes totalement à côté de la plaque. Pendant des mois, ma résidence a servi de siège et en plaisantant avec le chef de l’Etat, je lui ai dit : « C’est ma contribution». Il m’a demandé où se trouve la commission et je lui ai dit que nous n’avons pas encore trouvé de locaux. Laissons de côté cette question. Il y a 1000 personnes qui travaillent tous les jours, ils ne sont pas payés par moi. Je disais à mes collaborateurs que je fais un travail bénévole. Ils m’ont dit : «Monsieur le président, il y a du bénévolat dans cette affaire ?». Non, il faut qu’on s’élève. S’il s’agit des salaires, ils sont payés directement par le Trésor. La paix n’a pas de prix, mais la guerre coûte toujours plus chère que la paix. La paix est inestimable, mais la guerre qui détruit est toujours plus chère. Combien coûte le DDR (Désarmement, démobilisation et réinsertion) ? Il faut qu’on s’imprègne de ces choses et qu’on soit toujours grand. Soyons grands, ne nous faisons plus la guerre entre nous. Je reconnais que 100. 000 FCFA dépensés, c’est beaucoup et le chiffre donné par le Président de la République est important. Mais on aurait pu économiser cet argent. Nous créons des dépenses par notre propre turpitude. Nous devons indemniser les victimes. Il y a des jeunes gens qui n’étaient pas contents pour des raisons qui leur sont propres, ils ont pris des fusils, ils se sont rebellés. A un moment donné, ils ont dit qu’ils étaient d’accord pour être désarmés, mais il faut nous payer. Quand j’étais Premier ministre, nous leur avons proposé 500. 000 FCFA contre le dépôt de leurs armes. Si on doit donner 500. 000 FCFA à celui qui a tué, combien doit-on donner à celui qui a subi ? Réfléchissons à ces problématiques. Est-ce qu’il faut donner une prime à la violence ou créer les conditions pour que la violence n’existe plus afin de consacrer les ressources à développer la Côte d’Ivoire ? Savez-vous combien de fonds je gérais quand j’étais à la BCEAO ? Il faut rechercher à créer les conditions pour ne plus avoir à dépenser autant d’argent sur ces questions».

10 milliards de FCA aux victimes, mise initiale de l’Etat
«Avant même que la CDVR ne soit constituée, j’ai fait travailler des collaborateurs sur notre plan d’actions et nous l’avons déroulé jusqu’à la réparation financière des victimes, le désarmement, la réinsertion... et nous avons estimé le montant probable si toutes les hypothèses étaient réalisées et comment cela allait se faire. Lors de nos rapports périodiques, le chef de l’Etat a confirmé les chiffres qu’il a annoncés avant-hier (lundi 15 décembre, ndlr) : « Je vais créer un fonds, l’Etat va apporter les premières mises». Les 10 milliards de FCFA, c’est la mise initiale, mais on ne peut pas dire que cela suffit, mais cela dépend de comment ce fonds va être géré pour qu’il soit un levier permettant aux uns et autres d’être indemnisés».

Des conditions de travail de la CDVR
«Le travail de la commission a commencé alors que les braises étaient encore chaudes, les esprits n’étaient pas encore préparés, les antagonismes étaient encore là et j’étais moi-même contesté. Quelqu’un m’a dit que je suis membre du bureau politique du PDCI-RDA, comment pourrais-je faire la réconciliation ? J’ai répondu que je suis capable de prendre mes distances parce qu’il s’agit d’une question d’intérêt national. Il y avait une suspicion, les uns et les autres n’étaient pas tout à fait préparés. Mais nous avons travaillé dans le feu de l’action. C’était un choix fort du chef de l’Etat. Le fait que nous avons reçu le parrainage de personnalités illustres comme Kofi Annan nous a été d’une grande utilité. Kofi Annan et Desmond Tutu sont venus nous apporter leur caution morale. Mais les Ivoiriens sont très politiciens et ce n’est pas facile, parce qu’on cherche à savoir ce qu’il y a derrière ou qui est derrière. Il a fallu convaincre, mais je ne suis pas sûr d’avoir convaincu les politiques parce que je ne suis pas chargé du dialogue politique. Or, le consensus entre les politiciens est indispensable, c’est un élément important pour la réconciliation. Tant que les Ivoiriens ne verront pas leurs politiciens faire de la démocratie, l’instrument par lequel on fait avancer une société dans la liberté et sans violence, nous serons toujours dans un environnement mitigé (…) J’observe qu’en Côte d’Ivoire il y a des crises dans les partis politiques. Peut-on parler de réconciliation achevée ? J’ai dit au Président de la République que pour la réconciliation, je souhaite tout en respectant l’indépendance de la Justice, que les procédures soient accélérées pour que ceux qui ont vraiment commis des infractions graves avérées, justice s’en suive. Je vous demande de prendre des décisions d’opportunité politique. Dans le respect de la Justice, le Président de la République a le curseur de la réconciliation (…) Quand j’ai été d’abord désigné le 1er mai par le chef de l’Etat et ensuite nommé par le chef de l’Etat, l’ordonnance qu’il a bien voulu prendre tenait en une feuille et cette feuille a produit un rapport en volume qui est le fruit du travail pensé par la Commission et auquel ont participé des partenaires sous l’autorité et le leadership exemplaire de la Commission. Ce que nous avons appelé l’inculturation, c’est-à-dire la prise en compte de nos valeurs culturelles pour enrichir cette mission qui procède des mécanismes normés de justice transitionnelle a constitué le modèle ivoirien de la réconciliation. Je souhaite qu’il n’y ait plus de crise, mais s’il ya des crises ailleurs, les sociétés qui veulent en sortir chercheront le chemin de la Côte d’Ivoire (…) Dès que nous avons été nommé, il s’agissait de concevoir comment mettre en œuvre cette mission de manière rationnelle et ordonnée pour atteindre l’objectif. Dès que le plan d’actions a été établi, il a été soumis au chef de l’Etat qui l’a examiné avec nous et qui nous a dit qu’il est bien fait (…) Il fallait donc préparer «la terre», c’est-à-dire les cœurs meurtris, les esprits et les corps martyrisés, les souffrances endurées. Nous avons tous été traumatisés parce que c’était la première fois que nous connaissions une guerre d’une telle ampleur, d’une si grande violence et qui s’est étendue sur l’ensemble du territoire. La Côte d’Ivoire était en guerre contre elle-même et cela nous a traumatisés parce que le front était partout et nulle part (…) Notre mandat n’était pas d’enquêter sur le nombre de morts, mais de faire la typologie des violations des droits humains passées ou récentes intervenues en Côte d’Ivoire (…) C’est une comptabilité macabre dont je ne voudrais pas parler. Un mort est un mort de trop et je regrette qu’il y ait eu autant de morts. La finalité de notre travail était de faire en sorte qu’il n’y ait plus jamais de morts».

De la faible médiatisation des audiences publiques
«Dès lors que nous avions l’accord de la Télévision ivoirienne pour diffuser les audiences publiques, il fallait reposer sur les films qui allaient être diffusés et qui allaient retracer les audiences telles qu’elles se sont déroulées. Nous ne souhaitions pas que l’effet que nous recherchions soit atténué par un reportage au préalable et que cela apparaisse comme un fait divers. Or nous recherchons un effet de catharsis. Notre choix était que la télévision devait jouer son rôle et peut-être que s’il y avait plusieurs chaînes de télévision, les populations n’auraient pas été aussi «sevrées». Mais, je ne désespère pas que la télévision diffuse ces images. La télévision a ses règles, il y a des images qui sont très difficiles, mais lorsque les premiers sentiments seront dissipés, les images vont être diffusées».

«Nous attendions beaucoup de Didier Drogba»
«Le représentant de la Diaspora, c’était Didier Drogba et nous attendions beaucoup de lui. Peut-être que le rendu n’est pas conforme à ce que nous avions souhaité, parce qu’il aurait pu apporter beaucoup. Je regrette que ce ne soit pas le cas, mais il s’en expliquera lui-même».

Propos recueillis par Olivier Dion