Élection Présidentielle de 2010 : La fausse lecture de Faustin Kouamé

Par Notre Voie - Élection Présidentielle de 2010. La fausse lecture de Faustin Kouamé.

Me Faustin Kouamé.

Me Faustin Kouamé, ex-Garde des sceaux, ministre de la Justice sous Henri Konan Bédié, trouve qu’il est inconcevable, dans une interview accordée au quotidien Notre Voie n° 4789 des samedi 16 et dimanche 18 août 2014, que le conseil constitutionnel ait proclamé un vainqueur après avoir annulé certains votes dans des localités suite au second tour de l’élection présidentielle tenu le 28 novembre 2010.
Il estime que le juge des élections en Côte d’Ivoire aurait dû annuler le scrutin présidentiel dans sa globalité ou, à défaut, dans les départements en cause pour organiser une nouvelle élection. Pour l’avocat Faustin Kouamé, le conseil constitutionnel a une compétence liée. De ce fait, dira-t-il, il doit prononcer l’annulation du scrutin en vertu de l’article 104 du code électoral parce que celui-ci stipule qu’en cas de graves irrégularités portant atteinte à la régularité du scrutin et de nature à affecter les résultats de l’ensemble de l’élection, le conseil constitutionnel prononce l’annulation du scrutin.
Il indique, dans ce cas précis, qu’une nouvelle élection est prévue, 30 à 40 jours sur proposition de la commission électorale indépendante (Cei). «Le Conseil constitutionnel est allé au-delà et c’est inconcevable. Après avoir annulé, il a fait du redressement. Or le vote est sacré et l’annulation en droit remet les parties dans leur position initiale. Cela signifie que dans les départements où le vote a été annulé, les gens n’ont pas voté, donc il faut les faire voter. Proclamer les résultants sans que les gens ne votent, c’est cela la faute du Conseil constitutionnel.
En d’autres termes, alors qu’il avait une compétence liée, le conseil, de manière délibérée, s’est cru autorisé à redresser les résultats. Ce qui n’existe pas d’ailleurs en droit électoral. L’annulation peut être partielle ou totale. Mais dans tous les cas, l’élection doit être reprise partiellement ou totalement», at-il affirmé. A observer le développement que me Faustin Kouamé fait de la loi électorale, il est à penser que l’ancien ministre de la Justice sous Bédié fait un procès en sorcellerie au conseil constitutionnel, l’unique juge électoral en côte d’ivoire selon la constitution.
D'autant que la lecture que M. Kouamé fait de la loi relative aux élections en côte d’ivoire est fausse.
comment comprendre l’article 64 du code électoral ivoirien lorsqu’il stipule que «dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble, il prononce l’annulation de l’élection. La date du nouveau scrutin est fixée par décret en Conseil des ministres sur proposition de la Commission chargée des élections. Le scrutin a lieu au plus tard quarante cinq jours à compter de la date de la décision du Conseil constitutionnel» ?
selon Dr. Pélagie Théoua N’dri, enseignant-chercheur à l’UfR des sciences juridiques, administratives et de gestion de l’Université de Bouaké, dans une tribune publiée au quotidien le temps en mars 2011, deux arguments permettent de battre en brèche l’hypothèse selon laquelle l’annulation du scrutin était l’unique possibilité offerte au conseil constitutionnel dans le cadre du scrutin du 28 n o v e m b r e 2010. Elle explique, en effet, que pour recourir à l’annulation du scrutin, il faut deux conditions commutatives. Premièrement, l’existence «des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin» et l’influence déterminée de ces irrégularités qui « doivent affecter le résultat d’ensemble» de l’élection. L’article 64, en l’en croire, ne s’applique que si ces deux conditions sont réunies. Cela veut dire qu’on ne peut pas se contenter de la seule existence d’irrégularités portant atteinte à la sincérité du scrutin pour que cela provoque l’annulation totale du scrutin. Pour Dr. Pélagie Théoua N’dri, le recours à l’article 64 du code électoral ne s’impose pas automatiquement au juge dès la constatation par lui de graves irrégularités entachant la sincérité du scrutin. en cela, elle fait référence à la constitution ivoirienne qui énonce clairement, en ce sens, que le conseil constitutionnel «statue sur les (...) contestations relatives à l’élection du Président de la République…». Pour l’enseignant-chercheur en droit, cela signifie qu’il n’appartient pas au juge de faire une application aveugle et mécanique des textes. il lui revient d’apprécier, de jauger, d’évaluer et de juger les réclamations et requêtes auprès de lui introduites et de faire une application conséquente des textes.
« Le juge dispose, en effet, d’un pouvoir d’appréciation», ajoute-t-elle.et dans le cas d’espèce, Dr Pélagie Théoua-N’dri explique que le juge, faisant usage de sa compétence en la matière, a certes reconnu que des irrégularités graves ont existé et ont même entaché la sincérité du scrutin, mais il n’a pas considéré que celles-ci ont influencé le résultat d’ensemble. « Cette position du juge constitutionnel ivoirien découle probablement du fait que seulement sept (7) départements, sur les quatre-vingt sept (87) (Source : CEI, résultats provisoires par régions et par départements), ont fait l’objet d’annulation. Le critère de l’effet déterminant est, en fait un critère d’ordre quantitatif qui introduit un rapport de proportionnalité », fait-elle remarquer. Indiquant par ailleurs que « la décision du juge constitutionnel ivoirien n’est, en réalité, que la confirmation de sa décision relative à la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de 1995. Par celle-ci, il montrait déjà que l’annulation totale du scrutin en cas d’irrégularités graves entachant la sincérité du scrutin n’est pas pour lui une injonction, au cas où lesdites irrégularités n’affectent pas le résultat d’ensemble. Alors que l’article 66 du code électoral de 1994 prescrivait l’annulation totale des élections dans les mêmes conditions contenues dans l’article 64 du Code électoral aujourd’hui, en vigueur, le Conseil constitutionnel avait choisi l’option d’annulation partielle. En effet, malgré la constatation par lui d’irrégularités «…suffisamment graves pour altérer la sincérité des votes… »dans certains bureaux de votes, il avait décidé «…de déclarer nuls les (seuls) résultats de ces votes… ». le second argument qu’elle développe est que le pouvoir de réformation du juge électoral (le conseil constitutionnel) est admis comme un principe général du droit électoral. elle estime qu’il est un pouvoir très large qui existe même sans texte. il permet au juge électoral de procéder à des annulations partielles des résultats en vue de les rectifier, sans qu’aucune disposition légale ne lui confère cette compétence. dès lors, le juge électoral peut « non seulement annuler des élections irrégulières mais aussi, et c’est plus singulier, réformer, c’est-à-dire réviser, rectifier, les résultats du scrutin, ce qui peut le conduire à annuler l’élection d’un candidat, à proclamer élus des candidats» irrégulièrement écartés.
« De fait, c’est certainement instruit de cette compétence dont il dispose que le juge électoral ivoirien en a fait usage dès 1995 », rappelle Dr Théoua-N’dri. Qui ajoute que la réformation des résultats est préférée à l’annulation totale en cas de fraude avérée. Pour elle, la réformation est considérée comme une sanction efficace pour combattre la fraude électorale. «Dans ces conditions,
les actes frauduleux perpétrés par la rébellion armée en faveur d’un candidat, les agressions physiques enregistrées, le tout corroboré par les rapports des nombreux observateurs qui se sont déployés à l’occasion du scrutin ont pu valablement fonder la décision du juge de mettre en œuvre son pouvoir de réformation », conclut l’enseignant-chercheur à l’Ufr des sciences juridiques, administratives et de gestion de l’Université de Bouaké.
Me Faustin Kouamé peut-il nous dire s’il était possible d’organiser une nouvelle élection dans le délai imparti conformément à l’article 64du code électoral ? Était-il également possible de désarmer en 45 jours la rébellion armée qui a encadré la fraude dans le nord du pays? Évidemment, non. Lorsque Faustin Kouamé, ancien ministre de la Justice, soutient des contre-vérités en déclarant : «Contrairement au Constitutionnel qui est une juridiction et qui est obligé de délibérer dans ses locaux, la Cei n’a pas cette obligation. Et je dénonce que le Conseil constitutionnel proclame les résultats définitifs à la présidence de la République. Ce qui est plus grave en vertu de la séparation des pouvoirs. Aucune juridiction ne doit se rendre au sein de l’exécutif pour rendre sa décision», il faut s’en offusquer. tous ces mensonges grotesques laissent à croire que l’ex-ministre de Bédié et militant du PDCI-RDA, allié d’Alassane Ouattara, est pleinement dans l’intox politicienne sous des dehors de juridisme. Parce qu’en 2010, le conseil constitutionnel n’a pas siégé au Palais présidentiel. il y a investi le candidat Laurent Gbagbo qui a été proclamé vainqueur du scrutin présidentiel.
Me Faustin Kouamé enfonce le clou de la forfaiture quand il dit que « la CEI a une autorité administrative à compétence nationale. Elle peut aller partout, selon que les circonstances l’exigent. C’est moins grave que le Conseil constitutionnel qui se déplace pour siéger à la présidence de la République… ».la commission électorale indépendante est une autorité administrative indépendante chargée, aux termes de l’article 32, alinéa 3 de la constitution, de « l’organisation et la supervision… des élections». L’article 2 de la loi portant organisation, composition, attribution et fonctionnement de la CEI, complété par l’article 59 nouveau du code électoral, précise qu’il est imparti à la CEI un délai de trois jours pour proclamer les résultats provisoires et transmettre les procès-verbaux accompagnés des pièces justificatives au conseil constitutionnel en vue de statuer sur les contestations éventuelles et de proclamer les résultats définitifs.
Procédure qui a été respectée au premier tour du scrutin. Mais que Youssouf Bakayoko a foulé au pied lors du second tour. alors que le mercredi 1er décembre à minuit, les résultats provisoires n’ont pu être proclamés, faute de consensus des membres du bureau central de la CEI, Yousouf Bakayoko se rendra, seul, le lendemain, jeudi 2 décembre, au Golf hôtel d’Abidjan riviéra, QG de campagne du candidat Alassane Ouattara, pour y proclamer de prétendus résultats qui donnent M. Ouattara, vainqueur du scrutin. Des « résultats provisoires» qui n’ont pas été validés par la commission centrale de la CEI. Donc qui sont nuls et de nul effet.
Me Faustin Kouamé ne peut nier qu’il s’agit là de faits constitutifs d’irrégularités graves commises par M. Youssouf Bakayoko. À savoir la violation de l’article 59 nouveau du code électoral qui prescrit que le président de la CEI procède « à la proclamation provisoire de résultats en présence des représentants des candidats ». Il y a eu aussi une atteinte portée aux principes élémentaires destinés à garantir une élection libre, juste et transparente.me Faustin Kouamé ne peut jurer sur la sincérité du scrutin et de l’impartialité du président de la CEI. il y a eu surtout la rupture de l’égalité des candidats à l’élection présidentielle.
Elle consiste dans le fait d’avoir « proclamé les résultats provisoires », non au siège de la CEI : lieu neutre, mais au QG de campagne de l’un des candidats.

Robert Krassault