Vérités sur les violences de la crise post-électorale/ Bertin Kadet : «Que la CPI se ressaisisse et libère Gbagbo»

Par Le Nouveau Courrier - Bertin Kadet «Que la CPI se ressaisisse et libère Gbagbo».

Le ministre Bertin Kadet, Docteur en Géographie et Maître Assistant à l’Ecole Normale Supérieure d’Abidjan, a participé à la rédaction du livre intitulé « l’introuvable preuve contre le Président Laurent Gbagbo » publié par l’Harmattan. Dans cette interview, il s’exprime sur ses différentes publications depuis la survenue de la crise postélectorale, et montre dans l’ouvrage collectif qui vient de paraître, en quoi les décisions prises par le Président Laurent Gbagbo pour la sécurisation du processus électoral l’ont été en application des accords paix, validés par l’ONU et tous les acteurs de la communauté internationale impliqués dans la crise ivoirienne.
le Ministre Kadet, ces trois dernières années, vous vous êtes montré très présent dans la presse, alors que vous êtes en exil. En 2011 vous avez publié aux éditions L’Harmattan à Paris, un ouvrage portant sur la politique de défense et de sécurité de la Côte d’Ivoire ; en 2013, vous avez contribué à la rédaction de deux des trois ouvrages collectifs, avec des cadres ivoiriens en exil. L’un, intitulé Laurent Gbagbo à la CPI, Justice ou imposture, et l’autre ayant pour titre : Cour Pénale Internationale, L’introuvable preuve contre le Président Laurent Gbagbo. On vous lit aussi en Anglais dans des revues scientifiques de cette obédience linguistique, notamment la revue American Journal of Social Studies and Humanities, et sur les réseaux sociaux. Quel sens donnez-vous à toutes ces publications ?

Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser aux Ivoiriens, et puisque nous entrons dans une nouvelle année, je voudrais leur présenter mes vœux choisis de santé et de paix. Que Dieu fasse que 2014 soit une année de réconciliation véritable et que se réalisent nos vœux communs de voir le Président Laurent Gbagbo, son épouse Simone et tous les prisonniers politiques retrouver la liberté, et que tous les exilés rentrent en toute sécurité en Côte d’Ivoire. Pour répondre à votre question, je voudrais que vous sachiez ceci : écrire et publier sont des exigences intellectuelles pour tous ceux qui sont allés à l’école moderne et qui ont envie de communiquer. C’est aussi une activité normale pour tout universitaire et pour l’enseignant que je suis avant tout. Les publications dont vous parlez répondent à un besoin de témoignage et de mémoire pour les générations futures, surtout lorsqu’on a vécu une situation dramatique comme celle qu’a connue la Côte d’Ivoire de 2002 à 2011. Je ne fais donc rien d’extraordinaire, sinon que de prendre ma modeste part dans l’écriture de notre histoire commune. Et d’ailleurs, personne d’autre que nous-mêmes ne pourra faire ce travail à notre place. Vous me permettrez que j’utilise le «nous» pour la suite de l’entretien.

Alors dans l’ouvrage collectif qui vient de paraître aux Editions L’Harmattan, à Paris, votre contribution porte sur la sécurisation du processus électoral de 2010, en Côte d’Ivoire. Que voulez-vous démontrer ?

Notre contribution intervient à la suite du verdict de la Chambre Préliminaire 1 de la Cour Pénale Internationale (CPI), en date du 3 juin 2013, lequel ajourne l’audience de confirmation des charges contre le Président Laurent Gbagbo, pour insuffisance de preuves. Rappelons que le Procureur de la CPI accuse Laurent Gbagbo d’avoir conçu et mis en œuvre une « politique » aux fins d’élimination « de la population civile pro-Ouattara », lors du contentieux électoral opposant les deux candidats, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, survenu après le second tour de l’élection présidentielle de novembre 2010 en Côte d’Ivoire. A l’issue de l’audience de confirmation des charges, les juges de ladite Chambre ont estimé qu’il y a de nombreuses zones d’ombre dans les accusations portées par le Procureur contre Laurent Gbagbo. En conséquence, ils ont décidé le 3 juin 2013, « d’ajourner l’audience et de demander au Procureur de sou- mettre des preuves additionnelles ou de conduire des enquêtes supplémentaires » permettant d’apporter des réponses sur certains points de ces accusations. Or, les points spécifiques sur lesquels les juges de la CPI veulent être instruits en décidant l’ajournement de l’audience, concernent toutes, la gestion de la sécurité en Côte d’Ivoire pendant la crise dite postélectorale. Dans l’article en objet, notre démarche a consisté à identifier et à présenter les faits relevant de la gestion sécuritaire durant ladite période, pour démontrer que tout ce que le Président Laurent Gbagbo a fait pendant le temps de sa gouvernance, c’est de respecter, d’une part les lois ivoiriennes notamment celles régissant l’élection présidentielle. D’autre part, le Président Gbagbo n’a fait qu’appliquer les accords internationaux préconisés par la communauté internationale elle- même, en vue du règlement de la crise ivoirienne. On ne peut donc pas soutenir que le Président Gbagbo a conçu et mis en œuvre une politique d’élimination de la population ivoirienne qu’il gouverne. Une telle politique n’existe que dans l’imaginaire de ses accusateurs. Mais enfin, est-ce que les accords de règlement de la crise ivoirienne, préconisés par les Nations Unies, avaient pour objectif d’éliminer une partie de la population de notre pays, notamment sa composante pro- Ouattara ? Je ne le pense pas. C’est cela que nous démontrons dans notre papier.

Le Président Gbagbo était-il obligé d’appliquer ces accords de paix en matière de sécurité ?

Bien sûr que oui, puisque ces accords de paix sont le résultat de négociations entre les acteurs au conflit, y compris les Nations Unies, pour mettre fin à la crise militaro-politique qui dure depuis 2002. Il est utile de rappeler qu’il y a eu plusieurs accords de règlement de la longue crise ivoirienne; le dernier en date est l’Accord de Paix de Ouagadougou (2007). Pour parvenir à la paix, l’article 3 de l’Accord de Paix de Ouagadougou exige la réalisation de deux processus complémentaires, à savoir d’une part le processus électoral ayant pour objectif l’élection du Président de la République, d’autre part le processus de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR), avec notamment pour but le désarmement des ex-combattants. La réussite de ces deux processus indispensables implique que les parties au conflit, à savoir la rébellion de Guillaume Soro et l’Etat de Côte d’Ivoire présidé par le Président Laurent Gbagbo appliquent leur part respective des accords signés, tout en respectant les institutions ivoiriennes : c’est ce que disent toutes les résolutions onusiennes que vous pouvez lire sur la crise ivoirienne. C’est la raison pour laquelle le Président Laurent Gbagbo, en démocrate respectueux des lois et des accords internationaux ne pouvait qu’appliquer les termes de cet accord.

Qu’a fait concrètement le Président Laurent Gbagbo pour la sécurisation du processus électoral de fin de crise en Côte d’Ivoire ?

Pour comprendre l’action du Président Laurent Gbagbo en matière de gestion de la sécurité dans cette phase de sortie de crise, il faut mettre celle-ci en rapport avec ce que préconisent les différents accords de règlement de la crise (Accord de Linas Marcoussis (2003), Accord de Pretoria (2005), Accord de Paix de Ouagadougou (2007). Voyez vous-même, l’Accord de Linas Marcoussis du 24 janvier 2003 demande en son point 3.i, que le Président Gbagbo amnistie les rebelles qui ont attaqué le pays et son régime.
En cette année 2003, le Président Laurent Gbagbo a donné une suite positive à cette exigence en prenant une loi d’amnistie (JO-RCI, 2003 : n°-309). En 2007, l’Accord politique de Paix de Ouagadougou a également préconisé une loi d’amnistie. Le 12 avril de la même année, le Président Gbagbo a pris l’Ordonnance n°2007- 457 portant Amnistie. Pour gérer les opérations de sécurité sur l’ensemble du territoire ivoirien, l’accord de Ouagadougou a demandé que soit mis en place un Centre de Commandement Intégré (CCI) : le CCI a été effectivement crée et cogéré par l’armée régulière ivoirienne et les forces rebelles. L’Accord de Ouagadougou exige que 4000 éléments de la rébellion soient affectés à des tâches de sécurisation des élections, et que ce choix respecte le principe de parité entre les forces régulières et les forces rebelles : dans un message radiotélévisé le jeudi 30 avril 2009, le Président Laurent Gbagbo a demandé que soient mis à la disposi- tion du CCI, 4000 hommes issus des forces rebelles et 4000 autres issus de l’armée régulière pour la sécurisation des élections. L’Accord de Pretoria (2005) recommande que 300 éléments rebelles soient recrutés à l’Ecole Nationale de gendarmerie : le Président Laurent Gbagbo a signé un Décret dans ce sens (JO-RCI, 2009 : n°380). L’article 3 de l’Accord complémentaire IV de l’APO exige que 3400 éléments rebelles aient le statut de volontaires à la Gendarmerie nationale et à la Police : le Président Laurent Gbagbo a signé le Décret (JO-RCI, 2009 : décret n°381) conférant ledit statut à ces éléments des forces rebelles. Les articles 3 et 4 de l’Accord complémentaire IV préconisent la création de Compagnies Mixtes de Sécurisation des Elections (CMSE) sur l’ensemble du territoire ivoirien, et que les éléments de ces unités soient constitués en part égale entre les forces régulières et les forces rebelles : le Président Laurent Gbagbo a instruit son Ministre de la défense, Michel Amani N’Guessan, qui a pris un arrêté créant cette structure (Minidef, 2009 : arrêté n°0344). L’accord de Ouagadougou veut que les anciens militaires de l’armée régulière, passés dans la rébellion en 2002, soient réintégrés dans l’institution qu’ils ont détruite et déstabilisée : le Président Laurent Gbagbo a fait réintégrer ces militaires (Minidef, 2009 : n°0191) et leur a fait bénéficier de quatre années de bonification, en plus des soldes afférant à leur grade (Minidef, 2009 : n°0242). Certains d’entre eux ont connu une harmonisation de leur grade (JO-RCI, 2009 : n°376), et leurs chefs ont été nommés dans des grades supérieurs (JO-RCI, 2010 : n°213), comme c’est le cas de Soumaila Bakayoko (général), Gueu Michel (général) et Ouattara Karim (colonel). Ainsi, comme il apparaît au regard des faits, chaque mesure de sécurité prise par le Président Laurent Gbagbo est la réponse à la préconisation d’un point d’accord de règlement de la crise, tel qu’exigé par la communauté internationale et le Conseil de Sécurité de l’ONU.

Et qu’en est-il du désarmement des forces belligérantes ?

Le désarmement des forces belligérantes constitue le second volet des tâches indispensables à la réussite de la sortie de crise. C’est du désarmement que dépend la sécurité du processus électoral. Le regroupement des ex-combattants, le stockage des armes et le démantèlement des milices au plus tard le 22 décembre 2007 sont des exigences de l’Accord de Paix de Ouagadougou. Or concernant ce volet, les faits montrent que les groupes d’autodéfense de l’ouest ivoirien, le Front de Résistance du Grand-Ouest (FRGO) ont volontairement déposé les armes le 19 mai 2007 à Guiglo, sous la supervision de l’Opération des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire (ONUCI). Dès lors, il revenait à l’ONUCI conformément à sa mission, d’appuyer le gouvernement pour déployer les forces de sécurité dans cette région sensible et rassurer les populations. Concernant l’armée régulière, le Général Philippe Mangou, chef d’Etat-major des Fanci et les commandants des forces ont achevé le regroupement de leurs soldats et le retour des militaires dans les casernes dès janvier 2008.

La rébellion « forces nouvelles » a-t- elle suivi ce mouvement de désarmement ?

Hélas non, trois fois non. Les « forces nouvelles » n’ont pas désarmé à cette date. Ayant fait le constat de leurs atermoiements, l’accord complémentaire IV a réitéré cette exigence assortie d’une échéance expirant deux mois avant la date fixée pour l’élection présidentielle (APO, Complémentaire IV, 2008). Mais en juillet 2010, la rébellion n’avait toujours pas démarré le désarmement de ses forces. Finalement, lorsqu’elle a voulu s’y engager, son chef d’Etat-major, Général Soumaïla Bakayoko a produit un plan de regroupement de ses hommes mais, Dosso Moussa un membre de la rébellion, cumulativement Ministre de la République et gestionnaire des régies financières de la rébellion, a exigé que l’Etat ivoirien débourse la somme de 28 milliards de FCFA pour le financement de ce plan. En réalité, ce plan coûtait 4 milliards de Fcfa, d’après le Ministre de la Défense, Michel Amani N’Guessan. En fin de compte, la rébellion n’a pas désarmé.

Vous voulez dire que les parties au conflit ont fait des interprétations différentes des accords de paix?

Nous disons précisément que le Président Laurent Gbagbo, dont le régime est agressé, est celui qui a appliqué les accords de paix internationaux. En retour, il n’a pas obtenu le désarmement attendu de la rébellion, et que cette situation s’est développée au vu et au su de l’ONU et la communauté internationale. Plus grave est qu’en août 2010, le chef rebelle Chérif Ousmane continuait d’entraîner et de former 1000 nouvelles recrues à Bouaké et, ses activités étaient abondamment relayées dans les médias; un rapport de l’ONU de cette période a même dénoncé le réarmement des « forces nouvelles » à partir du Burkina Faso. Nous sommes pourtant à deux mois du premier tour de l’élection présidentielle de fin de crise : l’ONU et la communauté internationale ont mis la Côte d’Ivoire sous le régime d’embargo depuis novembre 2004 mais, elles tolèrent une rébellion demeurée en armes et qui renforce sa capacité opérationnelle à la veille d’une consultation électorale capitale.

Mais alors pourquoi accepter d’aller à des élections sachant que la rébellion n’a pas désarmé ?

Ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire en 2010 est inédit, et c’est tout le paradoxe de cette crise. Notre pays a été sommé par la communauté internationale d’aller à des élections de fin de crise, alors que ceux qui ont provoqué la crise en attaquant le pays et ses institutions sont toujours armés. Mais le Président Gbagbo qui s’était déjà engagé à appliquer les accords de paix, n’avait pas de raison de douter de la volonté de la communauté internationale d’accompagner notre pays à sortir de la crise par des élections apaisées. Mais il y a d’autres raisons qui sont à la fois d’ordre sentimental ou filial, et d’Etat, qui ont amené le Président Gbagbo à aller à ces élections dans les conditions que vous savez. Il faut savoir que le Président Laurent Gbagbo est un homme fondamentalement attaché à la terre de Côte d’Ivoire qu’il connait du bout de ses doigts. En tant qu’historien chercheur, il a parcouru ce pays dans tous les sens et a rencontré les Ivoiriens de toutes catégories et de toutes conditions dans le cadre de ses investigations universitaires. Dans certaines contrées très reculées que vous ne pouvez imaginer, vous trouverez des familles entières qui l’ont accueilli et avec lesquelles il a partagé un repas. Il sait combien le peuple de Côte d’Ivoire est interconnecté. Devenu homme politique, il a poussé plus loin ses rapports avec les populations en ayant visité au moins 9000 des 11000 sites habités du territoire national. C’est cet homme qui, à peine devenu Président de la République en 2000, et donc le premier responsable de tout ce peuple, a été contraint de vivre pendant dix ans, la partition de son pays et de ce peuple auxquels il est singulièrement attaché. Cette situation était particulièrement traumatisante pour lui personnellement. Pour ces raisons, le Président Gbagbo avait à cœur de voir enfin son pays et son peuple unifiés, grâce à des élections apaisées. Les élections étaient la condition indispensable pour arrêter l’appauvrissement du pays par une rébellion dévastatrice, et la communauté internationale restait l’unique gage de recours pour réaliser cet objectif. Or l’ONUCI et la communauté internationale étaient les témoins des violences qui ont émaillé la campagne électorale de La Majorité Présidentielle (LMP) dans le Nord ivoirien devenu une zone de non droit et d’impunité. Le scrutin du premier tour s’y est déroulé le 31 octobre 2010 sous le contrôle effectif des « forces nouvelles ». Malgré tout cela, le candidat Laurent Gbagbo est sorti en tête du premier tour du scrutin sur 14 candidats, avec un score de 38,30%. En outre, il a accepté d’aller au second tour, le 28 novembre 2010, alors même que des empêchements systématiques organi- sés par les armées de la rébellion ne lui ont pas permis de faire campagne dans cette partie du pays. On ne peut donc pas mettre en doute la volonté du Président Gbagbo d’aller à la paix, ce n’est qu’en même pas lui qui est à l’origine de ces violences.

Mais la communauté internationale dit que c’est Alassane Ouattara qui a gagné les élections et non Laurent Gbagbo.

A la fin de toute compétition électorale, il y a toujours un vainqueur et un perdant. Mais c’est justement parce que par nature une élection doit trancher entre les compétiteurs, qu’elle repose sur des règles connues de tous les acteurs. Ces élections étaient encadrées à la fois par les lois ivoiriennes et les accords internationaux. Il faut noter par ailleurs que toutes les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU sur la crise ivoirienne prescrivent le respect de la souveraineté et des institutions de ce pays. Or, en Côte d’Ivoire, seul le Conseil Constitutionnel est habilité à proclamer les résultats définitifs de l’élection présidentielle (Constitution RCI, Art.32, 88, 94). Ce n’est ni le président d’une commission électorale (Code électoral, art.59), encore moins un diplomate accrédité dans le pays, ou le substitut du Secrétaire général de l’ONU. Le Conseil Constitutionnel a déclaré la victoire du candidat Laurent Gbagbo, en sa session du 3 décembre 2010, après le constat de forclusion de la Commission électorale. A la surprise générale, le Président de la Commission électorale, dont la structure n’était plus compétente selon la loi, se retrouve tout seul dans le QG de campagne d’Alassane Ouattara, sans les membres de son bureau et les représentants des candidats, et annonce des chiffres donnant vainqueur, le responsable de ce lieu, devant la presse étrangère. C’est à cette forfaiture, contraire aux lois ivoiriennes et aux textes régissant la Commission électorale elle-même, que la communauté internationale accorde du crédit.

Devant cette situation d’imbroglio, quelle a été l’attitude du Président Laurent Gbagbo, lui dont la victoire a été proclamée par le Conseil Constitutionnel ?

Tout d’abord, il faut faire observer qu’en accordant du crédit à la forfaiture de Youssouf Bakayoko, Président de la Commission électorale, l’ONU et la communauté internationale ont saboté tout le processus de paix qu’elles ont contribué à forger à travers toutes les résolutions et accords de paix. Afin d’éviter à la Côte d’Ivoire de som- brer dans la violence inutile, le Président Laurent Gbagbo a donc appelé à un recomptage des voix, non sans exprimer au préalable son étonnement face à l’attitude de la communauté internationale. Voici ce qu’a dit le Président Gbagbo dans son message adressé à la Nation la veille du nouvel an 2011 : « Nous devons comprendre comment, annoncée comme l’année des élections, l’année de la fin de la crise, 2010 se termine dans la perplexité. Pendant que les Ivoiriens subissent la violence d’une rébellion armée à l’intérieur, ils font l’objet d’une hostilité internationale à l’extérieur, depuis la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010. Cela est injuste. Nous nous interrogeons sur les raisons de l’attitude de la communauté internationale à notre égard; une attitude que l’on n’a observée nulle part ailleurs auparavant dans une crise politique interne à un Etat…C’est pourquoi, je propose un comité d’évaluation destiné à connaître des faits et à établir la vérité sur le déroulement des élections en Côte d’Ivoire. J’ai confiance, la vérité finira par triompher. Nous avons le droit et la vérité avec nous. »

Les faits montrent que son appel n’a pas été suivi ?

Tout à fait, l’appel du Président Gbagbo a été refusé par la communauté internationale qui a préféré une solution armée. Le Secrétaire Général de l’ONU, Ban Ki-Moon a même dit que le recomptage des voix est une injustice faite à Ouattara, alors que l’ONU venait d’accepter de recompter les voix en Haïti. La violence s’est propagée dans le pays lorsque Guillaume Soro, Premier Ministre responsable du pro- cessus de sortie de crise, a appelé le mardi 14 décembre 2010, au nom d’Alassane Ouattara, les combattants de son armée retranchée en ce lieu, à attaquer la RTI le jeudi 16 décembre 2010. Voici les échanges entre Soro Guillaume et ses chefs de guerre, le mardi 14 décembre : Soro Guillaume : «soldats, militaires, je vais à la Radio Télévision Ivoirienne, pour installer le nouveau directeur général de cette télévision, parce que le Président de la République me l’a demandé. Vous devez vous tenir prêts ; donc il faut que vous vous mobilisiez, jeudi, nous allons à la télévision, je compte sur vous.» Issiaka Wattao : « …comme tous les deux patrons ont parlé, nous, on n’a rien à dire encore, donc il faut qu’on soit prêt pour le jeudi. » Mourou Ouattara : «… rassemblement à la piscine avec tous vos équipements militaires et de combat, l’amusement est fini. » .
Dans un climat déjà surchauffé, je ne pense pas que de tels propos soient des actes de paix. Voilà comment, le 16 décembre 2010, l’attaque programmée et planifiée a effectivement eu lieu. Contre toute attente et à la surprise générale, des éléments des Casques Bleus de l’ONUCI faisaient partie de ceux qui tiraient sur les populations et l’armée ivoirienne.

On connait l’issue de la crise.

B.K : Oui, la force des armes a momen- tanément triomphé du droit et de la loi puisque, le lundi 11 avril 2011, après des heures de bombardement et de destruction de la résidence du Président de la république de Côte d’Ivoire, les forces spéciales françaises de l’Opération licorne, agissant à l’ombre de l’ONU, ont arrêté Laurent Gbagbo, sa famille et plusieurs de ses collaborateurs, et les ont remis aux hommes de son adversaire. Est-ce que les armes doivent toujours triompher de la volonté des peuples ? Nous n’en sommes pas sûr eu égard à l’histoire du monde.

En tirez-vous des enseignements ?

Bien sûr que toutes ces agitations laissent à réfléchir. Nous devons retenir dans un coin de notre faillible mémoire trois choses, principalement. Tout d’abord, nous retiendrons la qualité de l’homme d’Etat qu’est le Président Laurent Gbagbo, un homme de dialogue et de paix, respectueux de la légalité. Même étant dans les liens de la détention, au QG d’Alassane Ouattara, le président Laurent Gbagbo a continué de réaffirmer sa stature d’homme d’Etat, en appelant à l’arrêt des combats, le 11 avril 2011 : « Je demande aux militaires d’arrêter les combats afin que commence l’étape civile et politique du règlement de la crise. » Ensuite, nous retenons également que la communauté internationale, l’ONU en particulier, n’a pas envoyé un message positif aux Ivoiriens et aux Africains, lorsqu’elle s’est rangée du côté de la force des armes qui détrui- sent les démocraties naissantes. L’ONU devrait plutôt consolider les jeunes démocraties grâce à ses expertises, au lieu d’être en coalition avec les déstabilisateurs des régimes et des institutions des Etats. En définitive, nous retenons que le mode de règlement de la crise ivoirienne soulève la question de la légiti- mité des régimes de rébellion, comme aujourd’hui en république centrafri- caine, dans les démocraties naissantes des nations en développement. D’autant plus qu’une fois installés au pouvoir par la force des armes, ces régimes de rébellion ou de coups d’Etat n’ont de programme que celui de se maintenir au pouvoir par tous les moyens. Ils refusent alors l’alternance en bâillonnant les oppositions poli- tiques, commanditent des assassinats d’opposants politiques, développent le culte de la personnalité des dirigeants et font régner la pensée unique. Ce n’est pas d’une telle société que rêvons pour la Côte d’Ivoire. C’est pour toutes ces raisons que nous demandons aux juges de la CPI ainsi qu’à tous ceux qui ont voix de décision dans les relations internationales, de se ressaisir en libé- rant le Président Laurent Gbagbo, un démocrate dans l’âme mais, victime d’une conspiration à grande échelle.

Par Benjamin Silué
iN Le Nouveau Courrier N° 973 Du Mardi 14 Janvier 2014