Tribune: Le pape François appelle les évêques au dépouillement et au service

Par Correspondance particulière - Le pape François appelle les évêques au dépouillement et au service.

Le mercredi 23 octobre 2013, le pape François a suspendu Mgr Frans-Peter Tebartz-Van Elst qui dirigeait le diocèse de Limburg (Sud-Ouest de l’Allemagne) depuis 2008. Pourquoi une telle mesure? Et quelles leçons l’Église qui est en Afrique peut-elle tirer de cette affaire?
Mgr Tebartz a défrayé la chronique ces 5 dernières semaines. Plusieurs journaux allemands se sont intéressés à lui. Non pas parce que ses prédications attiraient des foules au Christ mais parce qu’il avait des penchants peu catholiques pour le luxe et le gaspillage de l’argent de l’Église (denier de culte, quêtes et dons des fidèles laïcs). On lui reproche, par exemple, d’avoir consacré 31 millions d’euros à la construction de la nouvelle maison diocésaine, une maison qui au départ devait coûter 5,5 millions d’euros. Le journal “Die Welt” pense même que le montant des travaux pourrait atteindre 40 millions d’euros . Pour la baignoire seule de cette maison, le diocèse de Limburg aurait dépensé 15 000 euros.
L’Église catholique allemande est loin d’avoir le monopole de ces excès de comportement. Des mégalomanes et dépensiers comme Mgr Tebartz existent dans les Églises africaines comme le laisse voir une enquête réalisée en octobre 2013 au Cameroun par “La Croix”. Les personnes interrogées par le journal catholique français se disaient scandalisées par les “mauvaises pratiques” de certains évêques. Par “mauvaises pratiques”, il convient d’entendre les détournements de fonds, la multiplication des quêtes et un goût affiché pour le luxe et la vie facile. “Il faut avoir une foi forte pour ne pas chanceler face à ces dérives”, ajoutaient-elles avant d’inviter le pape à prendre des sanctions contre ces évêques qui se sont progressivement éloignés des pauvres en raison d’un train de vie qui jure avec la pauvreté qu’ils ont choisie le jour de leur ordination . Ce triste constat vaut incontestablement pour d’autres pays africains. Car, si le journaliste de “La Croix” avait tendu son micro à des laïcs sénégalais, béninois, congolais, gabonais ou ivoiriens, ceux-ci n’auraient pas hésité un instant à fustiger le contre-témoignage donné quotidiennement par certains prélats.
Que l’on nous comprenne bien! Loin de nous l’idée que les évêques devraient porter des haillons et manger dans des gamelles comme les talibés de Dakar, de Bamako ou de Niamey. Nul doute qu’ils ont le droit d’avoir le minimum pour mener une vie digne et décente. Est-il pour autant acceptable que certains d’entre eux dorment dans des palais au lieu de partager le presbytère avec le curé et ses vicaires? Est-il normal qu’ils utilisent les maigres ressources de leur diocèse pour se rendre en Europe plusieurs fois dans l’année? Est-il charitable qu’ils possèdent 2 à 3 véhicules tandis que nombre de leurs prêtres ne disposent même pas d’une bicyclette pour visiter les communautés chrétiennes rurales? Sont-ils obligés de voyager en première classe quand ils prennent l’avion, eux dont les lettres pastorales nous exhortent régulièrement à la simplicité et à la sobriété? Est-il sensé qu’ils vivent dans un luxe insolent alors que plusieurs prêtres sont sans honoraires et que de nombreux enseignants de l’école catholique sont privés de salaire depuis plusieurs mois? À notre connaissance, vider les caisses d’un diocèse ou d’une paroisse pour préparer ses vieux jours ne fait pas partie des charismes énumérés par l’apôtre Paul dans sa 1ere lettre aux Corinthiens (chapitre 12, 4-11). Le même Paul affirme avoir œuvré nuit et jour, dans le travail et dans la peine (il était fabricant de tentes), pour ne dépendre de personne (1 Thessaloniciens 2, 9 // 2 Thessaloniciens 3, 7-8). Lors des adieux à Milet, il le rappelle en ces termes: “Les mains que voici ont pourvu à mes besoins et à ceux de mes compagnons” (Ac 20, 35). Il n’est pas interdit à un évêque de travailler de ses mains pour se prendre en charge au lieu de tout attendre des laïcs et, s’il veut faire des folies, que ce ne soit pas avec l’argent des fidèles laïcs mais avec le salaire gagné à la sueur de son front! Revenons à nos moutons pour dire que, le pillage des biens du diocèse n’étant pas un charisme reconnu par l’Église, il est juste et bon que les évêques ayant ruiné financièrement leurs diocèses soient purement et simplement limogés comme l’ancien évêque de Limburg fut limogé par le pape François.
Un limogeage qu’on doit en grande partie aux prêtres et laïcs de Limburg. C’est leur missive signée par plus de 4 400 fidèles qui attira l’attention de Rome. Autrement dit, si ces personnes n’avaient pas donné de la voix, si elles s’étaient contentées de prier ou de murmurer dans le dos de l’évêque dépensier, si elles s’étaient bornées à utiliser des formules aussi stupides que “ Dieu le voit, on remet tout entre Ses mains”, on n’aurait jamais abouti à un tel résultat. Lorsqu’un évêque fait et défait en fonction de ses humeurs, lorsqu’il punit sévèrement les péchés des autres tout en absolvant les siens, lorsqu’il passe plus de temps en Europe que dans son diocèse, lorsqu’il humilie et martyrise inutilement des gens compétents et honnêtes tout en promouvant des incultes et des larbins, lorsque ses affaires (construction de sa maison, entretien de sa plantation d’hévéa, de palmier ou de cacao) l’intéressent et le mobilisent plus que la bonne marche du diocèse, lorsqu’il considère l’épiscopat comme un honneur et non comme un service, il ne suffit pas, à notre avis, de s’indigner et de geindre, chacun dans son coin, mais de se mettre ensemble et d’entreprendre la même démarche que les chrétiens de Limburg: demander sa démission.
La démission de Mgr Van Elst est ainsi le signe que le nettoyage de la curie romaine a commencé. Souhaitons que ce nettoyage ne s’arrête pas en si bon chemin car nombreux sont les catholiques partisans comme le pape François d’une “Église pauvre pour les pauvres”. Quand des évêques s’embourgeoisent, quand les pauvres les indisposent, quand ils recherchent la compagnie et la reconnaissance des “en-haut-d’en-haut” (Niangoran Bouah), c’est le signe qu’ils ont “faussé l’image de ce que nous sommes, pouvant donner l’impression que, pour le clergé, il y a une carrière à faire dans l’Église”, confesse Mgr Jean Mbarga, évêque d’Ébolowa (Cameroun) . Depuis qu’il a été élu pape, Bergoglio ne cesse justement de mettre en garde contre
le cléricalisme, le carriérisme et autres mondanités qui n’ont rien à voir avec les valeurs évangéliques. Il est persuadé que l’Église doit “promouvoir en son sein et dans la société une culture soucieuse de la primauté du droit ” et que les évêques ne doivent pas craindre de recourir “à l’expertise des audits comptables pour donner l’exemple aussi bien aux fidèles qu’à la société ”. On l’aura compris: en contraignant Mgr Tebartz à démissionner, l’Église veut signifier qu’elle ne peut plus tolérer que tel ou tel évêque “s’amuse” avec l’argent des fidèles et que le temps de l’impunité est terminé. Il revient à nos évêques de le comprendre une fois pour toutes et de se ranger car c’est leur bonne gouvernance et leur dépouillement qui montreront qu’ils sont évêques pour servir et non pour se servir.

Une contribution de Jean-Claude DJEREKE
Auteur de “Rome et les Églises d’Afrique. Propositions pour aujourd’hui et demain”, Paris, L’Harmattan, 2005.