IvoireBusiness / La Grande interview - Fanny Pigeaud, auteure de « France-Côte d’Ivoire, une histoire tronquée »: « le Président Gbagbo gênait depuis longtemps ». « Choï le certificateur de l’ONU a pris partie pour Ouattara »

Par IvoireBusiness - Fanny Pigeaud, auteure du livre « France-Côte d’Ivoire, une histoire tronquée » sans faux fuyant: « le mandat de certificateur de Choï qui était l’envoyé spécial de l’ONU en Côte d’Ivoire n’a pas été respecté. Il a pris partie pour Alassane Ouattara ». « La France est intervenue pas pour sauver la démocratie, mais pour protéger ses propres intérêts et installer un Président docile au pouvoir, Alassane Ouattara ».

Honorat Djédjé (IvoireBusiness) et la journaliste Fanny Pigeaud, auteure du livre "France-Côte d'Ivoire, un histoire tronquée", lors de notre interview.

IvoireBusiness a rencontré la journaliste française Fanny Pigeaud, collaboratrice de Mediapart, à la faveur de la sortie de son dernier livre « France-Côte d’Ivoire, une histoire tronquée » parue aux éditions Vents d’ailleurs, et qui actuellement se vend comme de petits pains en librairie. C’est sans faux fuyant qu’elle a bien voulu répondre à nos questions.

Bonjour, pouvez-vous présenter à tous les aux lecteurs d’Ivoirebusiness ?

Bonjour, je suis Fanny Pigeaud, journaliste. J’ai travaillé plusieurs années sur le continent africain notamment au Cameroun, au Gabon, et aussi en Côte d’Ivoire.

Aujourd’hui, vous avez écrit un livre qui est très apprécié, qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Et bien je ne me suis pas intéressée à la crise ivoirienne dès ses débuts , j’ai d’abord travaillé sur d’autres sujets, sur d’autres problématiques d’autres pays au Cameroun, et ce sont les événements de 2011 qui m’ont posé beaucoup de questions, à savoir le fait que l’ONU et la France s’engagent dans une guerre en Côte d’Ivoire sans vraiment le dire d’ailleurs, puis que la France et l’ONU n’ont jamais dit qu’ils faisaient la guerre en Côte d’Ivoire. Dans tous les cas, il y a un certain nombre de choses qui m’ont fait poser beaucoup de questions et puisque je ne trouvais pas les réponses dans les différents articles de la presse occidentale en particulier, je me suis dit qu’il fallait essayer de comprendre, pour ensuite essayer d’expliquer aux autres ce qui s’était réellement passé pendant cette crise.

La question que j’aimerais vous poser qui est très importante c’est, qu’est ce qui vous fait dire que la France est intervenue pas pour sauver la démocratie, mais pour protéger ses propres intérêts et installer un Président docile comme Alassane Ouattara au pouvoir ?

Il y a un certain nombre d’éléments qui montrent que les officiels français avaient fait un choix et que le Président Gbagbo les gênait depuis longtemps. Après si on regarde les faits, on remarque que tout a été fait pour pousser à ce que la Commission électorale indépendante reste en l’état, c'est-à-dire qu’un avantage large soit donné à l’opposition politique. Et il y a aussi un nombre de préparatifs militaires qui ont été faits par les français et des choses qui ont été cachées notamment le réarmement des forces nouvelles, la rébellion, qui était très important avant même les élections. Si on regarde, il y a un rapport fait par les experts mandatés par l’ONU, qui aurait dû être publié en octobre 2010 et qui montrait qu’il y avait vraiment du côté des forces nouvelles, l’acquisition d’armes lourdes avec l’aide du Burkina Faso, notamment. Voilà bref, ce rapport n’a jamais été publié. Il aurait dû l’être en octobre 2010 et il ne l’a pas été. Et d’après mes enquêtes, il ne l’a pas été parce que la France a fait pression pour qu’il ne soit pas publié pour qu’on ne sache pas ce qui était en train de se préparer du côté des forces nouvelles, mais aussi du côté de l’armée régulière parce que les autorités voyant ce qui était en train de se passer, s’apprêtaient à riposter. Voilà un certain nombre de choses que la France a faites ou cachées qui montrent qu’elle était impliquée.

La Communauté internationale dit que c’est Alassane Ouattara le vainqueur de la présidentielle de 2010, mais vous vous dites que c’est Laurent Gbagbo ?

Je ne dis pas que c’est Laurent Gbagbo, je dis que le système du processus électoral a été complètement truqué, que la Commission électorale indépendante n’était pas indépendante puisqu’elle était favorable à l’opposition, qu’elle était contrôlée par le RHDP et par le RDR le parti d’Alassane Ouattara. Ce que je montre, ce que je réussi à voir, c’est que l’élection n’a pas été organisée de manière correcte comme ça été pourtant dit par l’ONU notamment, que le mandat de certificateur de Choï, qui était l’envoyé spécial de l’ONU en Côte d’Ivoire, n’a pas été respecté. Il a pris partie pour Alassane Ouattara alors que tout montrait que l’élection n’avait pas été régulière. Dans toute la zone contrôlée par les rebelles, les gens n’avaient pas pu voter comme ils auraient voulu. Il y a des choses qui montrent qu’il y a eu des bourrages d’urnes. Ce que j’ai trouvé avec mes recherches c’est que l’élection n’a pas été une élection correcte contrairement à ce qu’a dit l’ONU. Et l’ONU était à l’époque sous pression de la France et des occidentaux en général. Donc moi, je ne dis pas que Ouattara a gagné, je ne dis pas que
Gbagbo a gagné, mais je constate que l’élection n’était pas une élection organisée correctement et qu’il y a un certain nombre d’acteurs du processus qui n’ont pas joué leur rôle.

Mais selon vous, qu’est ce que la Communauté internationale aurait dû faire ?

Une élection ne pouvait pas se faire de manière correcte dans un pays coupé en deux, à moitié contrôlé par des gens qui étaient en armes c'est-à-dire par la rébellion des forces nouvelles. On ne pouvait pas imaginer une élection dans ces conditions là qui soit régulière, ce n’était pas possible. Donc il aurait fallu désarmer les rebelles des forces nouvelles pour commencer.
Beaucoup de choses se sont passées pendant cette crise, on a parlé du bombardement de Bouaké, ils ont accusé Gbagbo d’avoir commandité ce bombardement. Vous quel est votre avis ?
Justement, la crise commence bien avant 2010 les ivoiriens le savent tous. Ce bombardement de Bouaké, il y a une enquête qui est toujours en cours en France, un juge d’instruction qui travaille sur cette affaire et jusqu’ici, les auditions montrent que Laurent Gbagbo n’a jamais voulu viser des militaires français. Il y a sans doute eu une bavure à un moment donné, des choses qui ont été décidées par Paris par des acteurs politiques ou militaires peut-être. Il y a un mélange de genres qui s’est fait et on a abouti à la mort des 9 soldats français. Évidemment, tout le montre, y compris les témoignages de l’entourage de Gbagbo et d’autres qui montrent que ce dernier n’a jamais voulu chercher à nuire à l’armée française en 2004.

Une deuxième affaire qui a fait couler beaucoup d’encre, c’est l’affaire Guy-André Kieffer. Qu’est ce que vous pouvez en dire puisque le Président Gbagbo en son temps quand il était au pouvoir, était accusé de faire obstruction à la justice ?

Je pense que là aussi la situation n’est absolument pas claire. D’ailleurs on le voit, la justice n’avance pas en Côte d’Ivoire et il y a aussi une enquête en France qui n’aboutit pas. Pourtant, un certain nombre de personnes qui ont été accusées et soupçonnées sous Laurent Gbagbo par les juges d’instruction sont aux mains de la justice puisque certains sont en prison, et on n’arrive toujours pas à savoir ce qui s’est passé. Ce que je dis dans le livre, c’est que peut-être il faut s’intéresser à une autre piste que celle de Laurent Gbagbo ou de ses proches. Il faut aller dans d’autres directions peut-être du côté des français, car des proches de Laurent Gbagbo disent que les français savent pertinemment ce qui s’est passé pour ce journaliste. Guy André Kieffer enquêtait sur le cacao et dans le cacao un certain nombre d’acteurs qui sont ivoiriens, de tous bords, et non ivoiriens, sont impliqués. En tout cas, on peut se demander s’il ne faut pas chercher ailleurs que du côté de la piste du camp Gbagbo.

La dernière question que je voudrais vous poser est la suivante : Gbagbo en prison, on va de procès en procès, sa femme Simone Gbagbo vient d’être jugée, elle a écopé de vingt ans de prison. Qu’est ce que ces procès que certains qualifient de parodie de justice vous inspirent ?

Là aussi, quand on regarde les faits, quand on regarde ce dont on les accuse, la manière dont le procès de Simone Gbagbo s’est passé, tous les observateurs qu’ils soient ivoiriens et internationaux ont bien vu que c’était une parodie de justice. De l’autre côté, le camp d’Alassane Ouattara où on voit que des criminels de guerre, en tout cas un certain nombre de rapports d’ONG montrent que dans le camp Ouattara des chefs de guerre ont commis des graves crimes pendant la crise notamment à l’Ouest, où des centaines de personnes ont été massacrées. Tous ceux là, aujourd’hui ne sont pas inquiétés. Aucun n’est aujourd’hui pas en prison. On voit qu’il y a d’un côté une parodie de justice, et de l’autre, rien qui n’est fait. Il y a un problème.

Quel est votre dernier mot ?

Pour parler de mon livre, j’espère juste qu’il sera utile et qu’il permettra à un certain nombre de gens, ivoiriens, et aussi non ivoiriens, j’aimerais que des compatriotes français le lisent, et qu’ils sachent ce qu’ont fait les responsables français en Côte d’Ivoire.

Je vous remercie.

Merci aussi.

Interview réalisée à Paris par Honorat Djedjé