France24/ FRANCE – COTE D’IVOIRE: D’Internet à la Courneuve, le "clash" de deux Ivoiriens qui inquiète Abidjan

Par France24.com - FRANCE – COTE D’IVOIRE. D’Internet à la Courneuve, le "clash" de deux Ivoiriens qui inquiète Abidjan.

Johnny Patcheko après sa sortie de l'hôpital suite à son agression.

Ils se font appeler "Johnny Patcheko" et "Taliban Choco". Depuis des mois, ces deux Ivoiriens installés l’un à Oulu, en Finlande, et l’autre à Paris se provoquent par vidéos interposées, à grand renfort d’insultes et de menaces. Une rivalité qu’ils disent politique et qui s’est soldée par un violent tabassage en banlieue parisienne fin août. Un comportement qui afflige nos Observateurs.

Depuis plusieurs semaines, leurs noms reviennent sans cesse sur les réseaus sociaux ivoiriens. Le premier, Johnny Patcheko, est un ressortissant ivoirien installé en Finlande et connu de la diaspora pour ses vidéos dans lesquelles il critique ouvertement la politique d’Alassane Ouattara, le président ivoirien ainsi que d’autres dirigeants africains. Ancien gendarme des Forces de défense et de sécurité (FDS) ayant servi lorsque Laurent Gbagbo était président, il s’est exilé à l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara en 2011, craignant des représailles. Il affirme faire parti du "Djossi gang", le gang de "la débrouille".

Le second se fait appeler "Taliban Choco" et vit à Paris. Il s’est fait connaître comme danseur auprès de Ben Chico, un chanteur ivoirien. Aujourd’hui, il est davantage connu pour ses vidéos sur l’actualité de la diaspora ivoirienne. Dans ses dernières, il affirme vouloir "régler le compte" à ceux qui critiquent l’action d’Alassane Ouattara, visant précisément Johnny Patcheko. Il arbore une grosse barbe, se faisant tantôt appeler "Le Moudjahidine", ou "l'Alqaida" par ses comparses.

Johnny Patcheko violemment agressé à la Courneuve

Les deux hommes se provoquent depuis plusieurs mois sur Internet, Taliban Choco n’hésitant pas à arborer fièrement une Kalachnikov, lançant à son rival "on arrive chargé" lors d'un de ses passages à Abidjan à l'été 2014. Des provocations violentes mais jamais suivies de faits jusqu’à récemment.
Dans cette vidéo tournée à Abidjan, et publiée en juin 2014, "Taliban choco" et ses proches menacent Johnny Patcheko en arborant des Kalachnikov. À la fin de la vidéo, on voit qu'ils rendent leurs armes à des policiers ivoiriens en uniforme.

Vendredi 21 août, Johnny Patcheko, en vacances en France, a été violemment agressé par des individus qui lui ont infligé plusieurs coups de couteau dans un bar à la Courneuve, en banlieue parisienne. Des images de l’arrivée de la police sur les lieux ont circulé sur Internet, de même que des photos de la victime en convalescence sur son lit d’hôpital. Des témoins ont affirmé avoir reconnu des proches de "Taliban Choco" à l’origine de la correction.

Sur son compte Facebook, Johnny Patcheko a posté une photo montrant son état physique après son agression.

"Cette rixe attise les discussions sur le Net, et montre qu’il y a encore du travail pour la réconciliation"

Serge Kama

À Abidjan, l’affrontement est l’un des sujets les plus discutés sur les réseaux sociaux et forums internet. Beaucoup y voient le reflet des divisions entre les Ivoiriens soutenant le président Ouattara et ceux qui soutiennent son prédécesseur, Laurent Gbagbo. Serge Kama, artiste et communiquant entre Paris et Abidjan, s’inquiète des réactions autour de ces vidéos.

Dans les milieux connectés, tout le monde parle de cette altercation à Abidjan, et chacun se sent plus proche de l’un ou de l’autre. Fait assez inédit, YouTube et Facebook débordent de vidéos de membres de la diaspora ivoirienne qui se filment pour expliquer pourquoi ils prennent position pour l’un ou l’autre.

Ça crée une atmosphère assez délétère sur les groupes de discussions en ligne. Ce qui montre qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire pour la réconciliation à quelques mois de l’élection présidentielle d’octobre.
"On attend de la diaspora ivoirienne qu’elle soit moteur de la réconciliation, pas de divisions"

Alpha Dee'Aras-souba

D’autres observateurs de l’actualité ivoirienne, s’ils ont été choqués par les faits, sont partagés sur ses répercussions en Côte d’Ivoire, comme Alpha Dee'Aras-souba (pseudonyme), habitant d’Abobo.

Je vis dans une commune plutôt favorable au RDR (de Alassane Ouattara NDLR) où l’histoire est quasiment passée inaperçue. Les seuls qui en parlent sont des gens qui ont la possibilité de se connecter régulièrement à Internet, c'est-à-dire une minorité de la population. Ces gars sont perçus par certains comme des héros, et par d'autres comme des rigolos.

Je ne pense pas que cette rixe pourrait attiser les tensions entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara ici à Abidjan. Ce qui est dommage, c’est que ça donne une très mauvaise image des ressortissants ivoiriens à l’étranger. On attend d’eux qu’ils soient moteurs de la réconciliation, et qu’ils élèvent la qualité du débat. Pas qu’ils soient initiateurs de davantage de divisions.

"Ne pas tomber dans le piège de la récupération politique"

Seriba Koné_1

L’histoire a toutefois également fait les choux gras de la presse ivoirienne relatant les frasques des deux rivaux. Mais pour Seriba Koné, du journal "Lepointsur", il ne s’agit pas plus que d’un fait divers français.

Il ne s’agit que d’un règlement de compte entre bandes rivales, qui n’a rien à voir avec la politique. Je regrette que des organisations de défense des droits de l’Homme, notamment la Fidhop, rapproche ces événements en voulant dénoncer des coupables au niveau des instances politiques ivoiriennes. Nous ne devons pas tomber dans le piège de la récupération politique, surtout avec des histoires insignifiantes comme celle-ci. La Côte d’Ivoire n’a rien à voir avec ce qu’il s’est passé dans ce bar de Paris.

Pour l’heure, Christophe Crépin, le porte-parole de l'UNSA principal syndicat de la police nationale, n’était pas en mesure de confirmer si des arrestations ont eu lieu après l’affrontement de la Courneuve. Il explique que d’autres récents affrontements ont eu lieu à Paris entre des ressortissants ivoiriens favorables à Laurent Gbagbo et des pro-Ouattara à Château-Rouge le 15 août dernier.

Cet épisode n’a cependant pas dissuadé "Johnny Patcheko" et "Taliban Choco" de continuer à diffuser leurs vidéos : le premier s’est filmé à la sortie de l’hôpital menaçant une nouvelle fois son rival. Le second a posté un selfie-video où il dit être au Maroc, d’où il nargue ses adversaires.

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