Débats et Opinions: Sous Ouattara, seules les revendications armées sont pertinentes, par Pr Eblin Pascal Fobah

Par IvoireBusiness/ Débats et Opinions - Sous Ouattara, seules les revendications armées sont pertinentes. La continuité de l’Etat à géométrie variable sous le règne d’Alassane Ouattara.

Alassane Dramane Ouattara recevant les FRCI-mutins après leur soulèvement armé contre son régime.

L’actualité sociale en Côte d’Ivoire est rythmée, depuis quelques jours, par des grèves dans le secondaire et dans les universités publiques. Le traitement de ces sautes d’humeur des enseignants par le gouvernement est des plus surprenants. LIDER voudrait établir un tableau comparatif de la réaction du gouvernement devant différentes revendications sociales pour l’inviter à plus d’équité et à des attitudes qui favorisent un apaisement du front social.

Quand vous avez des armes, on se met en quatre pour vous : petit rappel historique

Le mardi 18 novembre 2014, les activités économiques de la ville de Bouaké ont été perturbées par une mutinerie de soldats mécontents de leurs conditions de vie et réclamant la prise en compte d’arriérés de solde datant de 2009. Très vite, d’autres villes, Ferkéssédougou, Korhogo, Daloa, Bondoukou, Abengourou, Abidjan répondent en écho aux protestations venues du troisième Bataillon d’Infanterie de Bouaké. Près de 9000 militaires sont en colère dans les rues et dans les différentes casernes du pays. La république est secouée. Les soldats manifestaient sans armes mais les uniformes militaires qu’ils portaient suffisaient pour créer suffisamment de panique. Et, personne au sein des populations et au sommet de l’Etat ne pouvait rester indifférente face à cette subite poussée de fièvre des militaires. Tout le monde en Côte d’Ivoire a vu, en effet, avec quelle célérité la négociation avec les militaires protestataires a été menée, avec à la tête des négociateurs, le chef de l’Etat qui s’est personnellement impliqué pour faire connaître à cette crise un dénouement heureux. Quoique ce dénouement crée un précédent qui rend les militaires tout-puissants et risque de fragiliser tout pouvoir qui sortira des urnes en octobre prochain du fait de la surenchère qui pourrait entourer d’autres revendications, le principe de la continuité de l’Etat a été respecté. L’Etat de Côte d’Ivoire soucieuse de respecter la signature du détenteur d’alors du pouvoir exécutif a accepté de payer ses dettes vis-à-vis des militaires en colère. Résultat : au mois de décembre 2014, c’était la joie dans les casernes au vu du début d’exécution des promesses faites le mercredi 19 novembre 2014 : « vous vous êtes exprimés, le Président a compris. Il a donné des instructions au gouvernement pour régler vos problèmes » leur avaient dit la veille le ministre d’Etat Ahmed Bakayoko. Des moyens, non prévus par le budget 2014, ont été ainsi dégagés pour permettre de satisfaire les revendications des militaires. Mais, il se trouve que cette règle n’est pas valable pour tous. Pourquoi cet Etat qui paie ses dettes aux militaires refuserait-il de le faire pour d’autres corporations ? L’Etat serait-il dans une politique de catégorisation des citoyens en citoyens à écouter et en citoyens à mépriser ? N’encourage-t-on pas au radicalisme ceux qui essuient un tel mépris ? LIDER s’interroge.

Quand vous n’avez pas d’arme, « on fait rien avec vous »

Depuis le 5 janvier, les enseignants des universités publiques de Côte d’Ivoire sont en grève. Il a fallu plus d’un mois de grève pour que le gouvernement accepte de négocier avec eux. Depuis, le lundi 2 mars, le secondaire est lui aussi entré dans la danse. Mais cela ne semble perturber outre mesure le gouvernement. La grève des civils, enseignants ou autre, n’est ni une mitrailleuse ni une kalachnikov encore moins un char. Elle n’a pas de balle, ne peut tuer personne et ne peut faire perdre le pouvoir à personne. Tel est ce que le citoyen ordinaire pense. Pourtant, des milliers d’intelligences peuvent être déformées par des grèves qui les assassinent. Ce n’est pas un problème pour nos gouvernants cependant. Des revendications peuvent être légitimes mais on s’en fout de leur légitimité. Les partis politiques de l’opposition sont menés en bourrique au sein du Cadre Permanent de Dialogue, leurs revendications et recommandations piétinées. Depuis 2012, ils attendent l’application des résolutions sorties du conclave de Grand-Bassam. On fait traîner les choses exprès. Pourquoi ne ferait-on pas pareil avec les enseignants ? Il nous est revenu, de façon récurrente, que le Premier Ministre refuse de payer les arriérés de salaires des enseignants dus aux effets des décrets instituant une nouvelle grille salariale particulière depuis 2009 et leur aurait dit qu’ils auraient dû réclamer le paiement intégral de leur du aux anciens gouvernants parce que c’étaient leurs collègues enseignants qui étaient là. L’Etat de Côte d’Ivoire ne reconnaîtrait-elle plus ses dettes et sa signature internationale, notamment dans le cadre de l’application du protocole du REESAO (Réseau pour l’Excellence de l’Enseignement Supérieur en Afrique de l’Ouest) ?
Quand, dans ce pays, certaines personnes comprendraient-elles que la richesse d’un pays est produite en amont par la qualité de son système éducatif et les qualifications des personnes qui l’animent. Naît-on collecteur d’impôts, agent économique, expert toutes catégories, etc. ? On le devient grâce à tous ceux qui, dans le système éducatif, se dévouent pour former les enfants qui constituent l’avenir du pays. Dans ce pays, on l’oublie très souvent. Le premier président Félix Houphouët-Boigny avait tellement bien compris que le développement d’un pays était lié à la qualité de son système éducatif qu’il avait fait de l’éducation l’une des priorités de sa gouvernance. Mais des programmes d’ajustement structurel sont venus démolir tout cela. Aujourd’hui, l’on veut devenir émergent en oubliant les dispositions les plus élémentaires en termes de développement humain.
L’émergence passe par un système éducatif de qualité. Tous les pays émergents ont englouti d’énormes sommes dans l’amélioration des performances de leur système éducatif afin qu’il produise les hommes devant les conduire à l’émergence. Ils y sont parvenus avec le temps. L’Inde, la Chine, le Brésil, le Chili, etc. ont tous opté pour cette politique sociale. L’occident développé est passé par la même voie : les dépenses d’éducation ont été augmentées et l’école a produit des ouvriers hautement qualifiés, des ingénieurs de qualité pour animer le développement industriel, des universitaires et des chercheurs de renom, des prix Nobel en toutes matières qui tirent les différents pays de cette aire et l’humanité entière vers les sommets du développement dans tous les domaines. Les prix Nobel d’économie sont avant tout des universitaires ; cela on ne l’oublie que de trop. En Côte d’Ivoire, l’émergence se fait à coup de mots et de chiffres à deux vitesses et, on ne veut pas prendre en compte les facteurs élémentaires qui y conduisent : l’investissement dans l’école. La croissance économique, aussi forte soit-elle, ne suffit pas, ne suffira jamais à elle seule à rendre un pays émergent. C’est un ensemble de facteurs qui y conduisent.
En économie du développement, le social est un capital aussi important que l’actif monétaire. Il est d’ailleurs, lui aussi, un actif. Et comme tel, il est évaluable. On peut ainsi en apprécier le progrès ou la régression comme son incidence sur le développement humain. Les économistes et institutions du développement croient ainsi que l’amélioration du développement humain et social aide notablement la dimension économique du développement durable de même que le manque ou la destruction de cette dimension constitue un frein au développement économique. On ne peut, en en tenant compte, rester indifférent aux grèves qui ont lieu dans le système éducatif ou user du dilatoire pour ne pas apporter de réponse satisfaisante aux revendications des grévistes.

La réaction de LIDER
LIDER recommande que le principe de la continuité de l’Etat soit respecté pour tous les citoyens, qu’ils soient armés ou non. Ainsi pourrions-nous construire un Etat de droit par le respecte de la signature présidentielle et des lois que nous nous sommes, nous-mêmes, donnés. Aucune prime ne devrait être accordée à la violence d’aucune façon et rien ne doit être fait pour pousser les uns et les autres à se radicaliser. Les attitudes et les discours pouvant y conduire doivent être bannis autant chez les gouvernants que chez toutes les catégories de grévistes. Le sort des élèves et étudiants, l’avenir du pays, doit être une préoccupation majeure pour tous. L’école est loin d’être gratuite parce que les parents d’élèves dépensent beaucoup d’argent pour l’instruction de leurs enfants. Leur souffrance doit inciter à plus de responsabilité de sorte à ne pas faire s’éterniser les négociations. Le dialogue social doit aboutir à des résultats tangibles pour tous. S’il n’y a pas de résultat, c’est que les gouvernants n’en veulent pas. La plus grande part de sacrifice leur revient. LIDER conjure ainsi le gouvernement de ne pas appliquer aux enseignants le jeu dilatoire qu’il sert aux opposants dans le cadre du CPD ; l’avenir de milliers d’élèves et étudiants est en jeu. LIDER exhorte le gouvernement à plus d’équité dans le traitement des dossiers afin de ne pas encourager les attitudes violents et désespérées. LIDER en appelle, enfin, au sens de la responsabilité de tous. Les élèves et étudiants de Côte d’Ivoire veulent aller à l’école.

Une contribution de Pr Eblin Pascal Fobah
Délégué national à l’Ecole et à l’Emploi de LIDER