Débats et opinions: Gbagbo, Bédié, Soro, et Blé Goudé, prisonniers de la France

Par Correspondance particulière - Gbagbo, Bédié, Soro, et Blé Goudé, prisonniers de la France.

Gbagbo, Bédié, Soro, et Blé Goudé, prisonniers de la France.

Frapper les bergers (les leaders politiques), afin de disperser le troupeau
(leurs partisans) est une stratégie que la France réussit, avec beaucoup de
subtilité, à élaborer dans le monde politique ivoirien, pour préserver
ses intérêts. Tous les présidents français et leurs « homologues »
africains sont, avant tout, des représentants de partis politiques, soucieux
de réaliser un programme de développement conforme à leur idéologie de
droite, de centre ou de gauche. La réalisation de ces programmes ne peut,
malheureusement, éluder les conventions, les accords signés, bien avant
eux, par leurs prédécesseurs, dans le cadre de la Communauté
franco-africaine. La Côte d’Ivoire, à l’instar des autres pays
africains francophones, en accédant à l’indépendance au sein de cette
Communauté, qui n’est que l’aboutissement de la Constitution de 1946 et
de la Loi cadre de 1956, a choisi, à travers une série d’accords,
d’être administrée directement par la France. Toutes les décisions
politiques prises avant notre indépendance ne furent pas abrogées avec la
Loi constitutionnelle du 4 juin 1960, mais transformées plutôt en
conventions, en accords conclus sur la base d’une « coopération
volontaire » établie entre la France et ses ex-colonies. Les nouvelles
dispositions inhérentes à l’indépendance des ex-colonies ont permis,
paradoxalement, à la métropole de préserver sa souveraineté confisquée
par le préambule de la constitution de 1946 qui concédait à tous les pays
de l’Union française les mêmes droits. « La coopération volontaire »
est cependant un couteau à double tranchant puisqu’elle représente,
jusqu’à ce jour, le tendon d’Achille de la politique post-coloniale
française, d’où la volonté féroce de la métropole de mater, dans le
sang, toute aspiration à l’autonomie, à la démocratie, dans le but
d’installer des autorités politiques de leur choix. La France, pour mieux
contrôler cette « coopération volontaire établie entre elle et les états
africains », s’est attelée, à travers des réseaux d’institutions,
comme la Cour Pénale Internationale, à assurer son autorité sur les
ex-colonies africaines qui se doivent, par exemple, de respecter
scrupuleusement l’article 78 de la Constitution de la Communauté. La
France, grâce à cet article, contrôle la justice ivoirienne et a choisi de
déporter à la Haye le président Gbagbo. En vertu d’une décision du 12
juin 1959 ; des décisions présidentielles du 9 février et du 14 avril 1959
subordonne notre politique étrangère à celle de la métropole. La France
contrôle, entre autres choses, notre politique des matières premières
stratégiques, notre politique économique, financière, notre monnaie, et
peut donc décider de la dévaluation du francs CFA, dans le but d’alléger
sa dette publique qui dépasse actuellement les 2.000 milliards d’euros,
dette que peuvent résorber, à eux seuls, les hommes politiques français,
piliers de la françafrique qui conservent leurs grosses fortunes dans les
paradis fiscaux, et laissent mourir de faim nos peuples respectifs. Elle
contrôle notre défense, nos armées. Une décision du 9 février 1959 lui
concède pouvoir de proclamer l’état d’exception, qui lui permet de
retirer aux pays, membres de la Communauté franco-africaine, les
responsabilités de l’ordre public. Les décisions du 4 avril 1959, et du
14 mai 1959 accordent à la métropole le droit de créer un service de
sécurité (une armée française identique à la Licorme) extérieur à la
Communauté, commandée par le président de la République française,
capable d’agir directement dans les ex-colonies, sans l’aval des
autorités africaines. Ces réglementations que l’on croyait caduques ne le
sont pas, en réalité, puisque c’est fort de ces dispositions coloniales
que le président Sarkosy, de son avion, s’est permis d’ordonner à un
leader politique africain Gbagbo, proclamé président par la Cour
Constitutionnelle de son pays, de céder le pouvoir à Alassane Ouattara
reconnu par la France. A ces compétences concédées à la France
s’ajoutent celles qui ont
trait aux transports extérieurs et communs, aux télécommunications, à
l’enseignement supérieur. Lorsque le président d’un parti politique
ivoirien (ou africain) arrive au pouvoir avec un programme de développement,
il se doit de tenir compte de toutes ces conventions, qui maintiennent
l’Afrique francophone dans une condition de misère et de servitude
perpétuelle. Le président Gbagbo et les démocrates ivoiriens offusqués
par cette triste et dure réalité, qui faisait d’eux de simples
administrateurs de la chose publique française sur leur terre natale,
commencèrent à oeuvrer à la révision de tous ces accords, au nom du
principe de la coopération volontaire établie entre la métropole et les
membres de la Communauté franco-africaine. Les leaders politiques, comme
Alassane Ouattara, qui bénéficient du soutien total de la France prête à
fermer les yeux sur tous leurs actes antidémocratiques n’ont aucune
compétence véritable. Qualifier, par conséquent, Alassane Ouattara de «
grand bâtisseur » et le président Laurent Gbagbo de « dictateur
sanguinaire » s’inscrit simplement dans la volonté de la France de nuire
à tous ceux qui oseraient remettre en cause ces conventions à l’origine
de la misère des populations africaines. Le président Gbagbo et son
ministre Blé Goudé sont retenus prisonniers à la Haye par la France, dans
le but de disperser simplement tous les démocrates ivoiriens et africains.
Si ces derniers sont enfermés dans un milieu carcéral physique, parce
qu’ils ont osé, pour le bonheur de leur peuple, remettre en cause les
conventions de la Communauté, en tant que représentants légitimes du
peuple, Bédié et Soro sont, quant à eux, semblables à des prisonniers,
qui bénéficient d’un statut spécial ; enfermés dans des cachots de luxe
ou en résidence surveillée, dans l’attente de leur sort final. Pour avoir
une saine appréciation de la formation du PDCI-RDR proposée par Bédié aux
militants du PDCI-RDA, il nous faut suivre brièvement le parcours politique
du président de ce grand parti. Le président Bédié éprouva, en effet, le
besoin de mettre subtilement, sur pied, « une politique d’immigration ».
Il inventa, malheureusement, le concept de l’ivoirité, qui enfreignait des
principes fondamentaux de la Communauté franco-africaine. La politique
étrangère de la Côte d’Ivoire est en fait subordonnée à celle de la
France, qui considère que la politique d’immigration de notre pays cache
un désir de sécession, de séparation de la Fédération (la Communauté),
pour laquelle elle demeure une vache à lait. La Côte d’Ivoire, disait, à
juste titre, le président Houphouët Boigny, est un oasis dans le désert.
Le respect de la Constitution ivoirienne tant souhaité par le leader
socialiste Gbagbo, proclamé président par la Cour Constitutionnelle de
notre pays contient, pour la France, les germes de l’ivoirité. Ce qui
explique leur acharnement à combattre la Constitution ivoirienne, par le
biais d’Alassane Ouattara, à la tête de la Côte d’Ivoire devenue une
grande prison à ciel ouvert. L’alternance politique entre le PDCI et le
RDR est une cuisine intérieure qui n’aurait suscité aucune levée de
boucliers de la part des militants du PDCI-RDA et de l’opposition
ivoirienne si tout se déroulait, selon les règles démocratiques, des
primaires au sein de ces partis politiques. Au-delà des biens matériels
dont jouiraient Bédié et sa région sous Alassane Ouattara, il est
important de souligner que le PDCI-RDA, contrairement au RDR, ne dispose pas
d’une armée à laquelle est concédée le monopole de la violence physique
légitime. Toutes les décisions politiques prises par le PDCI-RDA par
Bédié ("le masque", selon ses propres termes), qui a le canon de fusil sur
la tempe ne peuvent, donc, qu’inspirer doutes, inquiétude et crainte pour
le futur de la Côte d’Ivoire. Le Centre de notre pays, bastion du
PDCI-RDA, occupé, au début de la crise par les troupes armées au service
d’Alassane Ouattara, en provenance du Burkina Faso, n’a pas échappé à
de nombreuses exactions. Bédié, qu’on le veuille ou non, n’est donc
qu’un prisonnier de la France, dans les bonnes grâces d’Alassane
Ouattara dont la vengeance est un repas qu’il savoure froid. Quant à Soro
Guillaume, qui a combattu bec et ongles l’ivoirité, son parcours politique
ne peut qu’inspirer méfiance dans l’esprit des français, qui ont vite
fait de le paralyser, au moyen d’un mandat d’arrêt
de la CPI. Il est donc un prisonnier de la Cour pénale en liberté
provisoire. Si la justice, la sécurité de notre pays, la défense sont
compétences de la France, alors tous les crimes commis sous Houphouët
Boigny et ses successeurs sont à imputer, avant tout, à la métropole,
conformément aux conventions héritées de la période coloniale. A travers
nos leaders nous sommes tous des prisonniers politiques de la France. Si nous
n’oeuvrons pas, au nom du principe de la coopération volontaire, à la
révision de ces accords coloniaux, nous croupirons tous dans la misère. Il
suffit de songer à la dévaluation éventuelle du francs Cfa qui ne fera que
diminuer notre pouvoir d’achat, vis-à-vis de l’Europe et du reste du
monde. Les commerçants qui vivent, par exemple, de produits importés,
achèteront deux fois plus cher ces mêmes marchandises. Libérons nos
leaders politiques, en luttant pour des élections démocratiques que ne
souhaitent pas la France, opposée à notre autonomie véritable, à
l’application de notre Loi fondamentale.

Une contribution par Isaac Pierre BANGORET (Écrivain)