CPI - Affaire Gbagbo : le régime a jeté en prison un témoin-clé

Par - le régime a jeté en prison un témoin-clé dans l'affaire Gbagbo contre le procureur.

C'est une histoire dont le récit nous est offert par les observations de Maître Emmanuel Altit, avocat principal du président Gbagbo, qui a transmis ses observations à la Cour pénale internationale (CPI) suite à la remise, par la procureure Fatou Bensouda, de son document contenant les charges (DCC) amendé, censé combler les lacunes du DCC initial, qui avait été purement et simplement rejeté par les juges pour "preuves insuffisantes".
C'est l'histoire de "P 44", un des témoins-clés de Fatou Bensouda, censé accréditer la thèse selon laquelle Gbagbo est coupable de graves crimes contre l'humanité. Si l'on suit la trame de son témoignage, "P 44" doit être un ancien membre de la "galaxie patriotique" retourné pour les besoins de la cause. Seulement, voilà ! Son témoignage est "insuffisant". Il n'accuse pas assez Gbagbo, au point que Bensouda, dans sa synthèse, lui fait dire ce qu'il n'a pas dit en espérant que les juges, débordés par des milliers de pages de textes ardus, n'y verront que du feu. Mais Emmanuel Altit, avocat principal de Gbagbo, veille. "Comme la défense le relevait lors de l’audience de confirmation des charges, plus précisément les 22, 25, 26 et 27 février 2013, le Procureur a mésinterprété nombre de déclarations de P-44. Surtout, il a trahi le sens de ce que lui disait P-44 (...) précisant que le Président Gbagbo n’était pour rien dans la crise", indique-t-il dans ses dernières observations. Les observateurs les plus attentifs se souviennent des propos paradoxaux de P-44, drôle d'accusateur, disant que "l'entourage de Gbagbo était composé de gens du Nord" (ce qui affaiblit la thèse du "plan commun" éradicateur), que Gbagbo était rassembleur, qu'il n'a procédé à aucune discrimination, ni avant ni après les élections.
Sont-ce ces propos qui ont irrité le pouvoir Ouattara ? Une chose est sûre : P-44 a été arrêté, dans l'indifférence totale du bureau du procureur auprès de la CPI. En effet, il avait commencé par tirer la sonnette d'alarme, faisant état "de menaces pesant sur lui émanant des nouvelles Autorités ivoiriennes". Cyniquement, l'Accusation avait répondu que ces allégations étaient "infondées" et devaient être "rejetées".
Tout en prenant bien soin de ne pas mentionner ce problème devant la Chambre, parce qu'il fragilisait son argumentaire juridique, qui reposait en grande partie sur les propos, certes librement interprétés, de P-44. "Le Procureur a laissé emprisonner son témoin sans réagir. (...) Ce faisant, le Procureur semble avoir «couvert» une opération
d’intimidation et de sanction contre un témoin qui n’avait pas obéi aux ordres des nouvelles Autorités (...). Il convient que le Procureur s’explique sur cette question
très importante", affirme Maître Altit. Qui s'indigne des méthodes à travers lesquelles le bureau du procureur exerce des pressions inacceptables sur les témoins.
"Probablement conscient de la faiblesse de sa preuve et de son incapacité à trouver de nouveaux témoins utiles, le procureur tente de faire pression sur ses témoins", indique Altit. Quand un témoin ne dit pas ce qu'il veut qu'il dise, le procureur "perd patience". Il pose à plusieurs reprises et de diverses manières les mêmes questions, tente de "souffler" des dates auxquelles certains événements sont censés s'être noués.

Par Philippe Brou