Côte d’Ivoire – Henri Tohou, candidat à la présidentielle prévient : « Il serait suicidaire d’aller aux élections en 2015 si… »

Par Le Nouveau Courrier - Henri Tohou (candidat malheureux à l’élection présidentielle en 2010) «Ces questions que Ouattara doit régler avant d’engager les élections».

Henri Tohou, président du parti l’union socialiste du peuple (USP), dévoile sa volonté de briguer à nouveau la magistrature suprême de la Côte d’Ivoire après son échec à la présidentielle de 2010. Cependant, il tire sur la sonnette d’alarme, au cas où Alassane Ouattara s’entêterait à aller aux élections sans avoir régler les problèmes qui divisent profondément les ivoiriens.
Comment allez-vous après votre incarcération à la MACA il y a peu ?

Je vais mieux. Mais je me porterai
bien lorsque la réconciliation sera
effective dans mon pays. Pour être
plus précis, lorsque l’on aura un gouvernement
d’union nationale qui
regroupera tous les fils et filles de la
nation, toutes les forces vives, y
compris les anciens candidats à la
présidentielle 2010, tous réunis avec
le président Alassane Ouattara pour
discuter ensemble des grandes questions
de notre nation.

Pourquoi souhaitez-vous un gouvernement d’union alors que nous sommes à un an des élections présidentielles pour lesquelles vous avez l’opportunité de vous présenter à nouveau ?

Un gouvernement d’union peut se former
à tout moment et sa durée de vie
dépendra des acteurs qui l’animent.
Si toutes les forces vives arrivent à
s’asseoir autour d’une même table
pour gérer de concert les problèmes
de la nation dans un cadre de gouvernement
d’union, ce gouvernement
composé de tous peut décider de ce
qu’il faut faire ensuite quant à la
date des élections. Je sais que nous
avons une obligation constitutionnelle
de tenir les élections à une
date donnée, mais la même constitution
n’offre-t-elle pas des mécanismes
exceptionnels pour le report
des élections si cela s’avérait absolument
nécessaire ?

Vous voulez donc dire qu’il est nécessaire de reporter la date de la présidentielle initialement prévue pour octobre 2015 ?

Déjà en novembre 2013, j’avais rencontré
le cabinet du président de la
République pour suggérer la mise en
place d’un gouvernement d’union
nationale, suivie du report de la date
des élections présidentielles. J’avais
aussi fait la même démarche auprès
du cabinet du président de l’assemblée
nationale en février 2014. Entre
ces deux dates, j’avais prévu une rencontre
avec le Premier ministre Affi
du Front populaire ivoirien, mais mon
arrestation et mon emprisonnement,
le 2 janvier 2014, à la Maison d’arrêt
et de correction d’Abidjan ne m’ont
pas permis d’aller au bout de mes
rencontres. Bien avant tout cela, j’en
avais discuté avec certains diplomates
des pays membres du Conseil
de sécurité des Nations-Unies, sans
toutefois faire du bruit dans la
presse. Oui, J’ai dit et j’insiste pour
dire qu’il nous faut un gouvernement
d’union nationale, composé des
représentants des différents partis
politiques, de la société civile, des
différentes confessions religieuses et
des ressortissants de toutes les
régions, y compris les ex-candidats à
la présidentielle de 2010. Ce gouvernement
d’union que je considère
comme un gouvernement de mission
devra, entre autres, en dehors des
fonctions habituelles de tout gouvernement
s’atteler à régler les grands
problèmes de la nation, à savoir la
réforme des forces de sécurité et de
défense, les problèmes relatifs au
foncier rural, la question des victimes
de guerre, celle des détenus issus de
la crise post- électorale, la réforme
de l’appareil judiciaire, de l’armée...
Vous conviendrez avec moi, qu’aucun
gouvernement, aucun président, si
fort soit-il dans le contexte actuel,
ne peut à lui seul résoudre les questions
précitées sans avoir un minimum
de consensus au sein de la
classe politique et de la société
civile. Le vote majoritaire dans une
assemblée presque monocolore ne
pourra aider à résoudre ces questions
qui font appel à l’unité, au regroupement
de toutes les forces du pays.
Dans le contexte actuel, notre pays a
besoin de voir ses différentes composantes
se regrouper, s’unir dans la
différence, apprendre en quelques
années à faire en sorte que nos différences
ne deviennent pas des différends,
avant d’engager de nouvelles
élections.
L’histoire des élections de 2010
devrait nous enseigner. Elle nous a
appris qu’il est certes bien d’aller aux
élections conformément aux exigences
de la constitution, mais qu’il
est parfois suicidaire pour toute la
nation d’aller aux élections quand les
conditions morales et sécuritaires ne
sont pas réunies.
La dernière élection nous a certes
donné un président, mais elle a
aspiré dans les fosses communes,
officiellement plus de 3.000 vies.
Nous ne saurions continuer tête baissée,
les yeux et les oreilles bandés
dans une autre aventure électorale
sans tenir compte des risques d’un
embrasement général au cours des
élections de 2015. Ne serait-il pas
plus sage de désarmer toutes les
bombes, d’éteindre les feux non
éteints ou mal éteints avant d’aller à
une élection apaisée
capable de nous donner des résultats
reflétant en réalité les aspirations
de notre peuple ? Ne pas le
faire à mon sens, aboutirait à un
simulacre d’élections si nous avons
la chance, ou à un affrontement
généralisé si Dieu nous abandonne.

Vous aviez soutenu le Président Gbagbo au second tour des élections présidentielles de 2010. Le fait d’aller maintenant à un gouvernement d’union pendant que Gbagbo et son épouse sont en prison, ne voudrait-il pas dire que vous êtes en train de tourner la page Gbagbo et avancer sans lui à un moment où, selon plusieurs voix, l’opposition devrait être en permanence mobilisée pour protester contre sa détention ?

Je reconnais qu’il est important d’organiser
des manifestations à travers
le monde pour marquer notre soutien
au président Gbagbo mais nous
devons, en le faisant, tenir compte de
l’évolution du cas du président à la
Cour pénale internationale.
A la lecture des différentes décisions
prises jusqu’ici par la CPI, nous
devons nous demander ce que nous
voulons et ce que nous attendons de
nos giga-meetings et marches. Je
pense que le FPI et tous les supporters
de Gbagbo veulent et attendent
une seule chose : la libération du
président Gbagbo afin qu’il revienne
chez lui en Côte d’Ivoire. A partir du
moment où une justice internationale
sur laquelle le monde entier avait
fondé son espoir et qui, en conséquence,
devrait être composée de
meilleurs magistrats de la planète,
se borne à dire que Gbagbo continue
de bénéficier de grands soutiens à
t r a v e r s
le monde et qu’il n’a pas renoncé au
pouvoir comme motif du refus de la
liberté provisoire, l’on devrait décoder
ce message et changer notre fusil
d’épaule.

Changer son fusil d’épaule en quoi faisant ?

La CPI a clairement démontré sa
crainte de mise en liberté d’une personnalité
qu’elle suspecte de crimes
graves, qui pourrait user de cette
liberté pour reconquérir le pouvoir
par n’importe quels moyens, en s’appuyant
sur « ses nombreux réseaux »
qui sont aussi bien en Côte d’Ivoire
qu’a l’extérieur.
Cette reprise du pouvoir que redoute
la CPI pourrait, selon l’entendement
de la CPI, entrainer de nouveau, un
carnage certainement plus grave que
la crise post-électorale. Au regard de
toutes ces considérations, quel juge à
la CPI pourrait prendre sur lui la responsabilité
de remettre en liberté une
personnalité de la trempe de Gbagbo
qui, même en prison, continue de
paralyser en d’une certaine façon la
Côte d’Ivoire à plus de 8.000 Km et
même dans certaines capitales occidentales
loin des tropiques ? Face à
cette crainte de la CPI, qui d’autre
pouvait rassurer l’institution internationale
de ce que le président Gbagbo
en liberté demeurerait un homme de
paix, attaché à la recherche de la
cohésion sociale, de la stabilité de la
Côte d’Ivoire et partant de la sous
région ? Naturellement, ce n’est pas
le président Ouattara, ni ses partisans
qui le feront, eux qui, pendant
plus d’une décennie ont combattu
Laurent Gbagbo avec n’importe quels
moyens avant de le voir partir en avril
2011. Ce n’est non plus François
Hollande qui a tenu des propos durs à
l’endroit de Gbagbo qui le ferait.
C’est plutôt l’ensemble de la gauche
ivoirienne et les mouvements de soutien
qui devraient, qui doivent et qui
devront donner l’assurance nécessaire.
Malheureusement, ce qui se
passe sur le terrain me fait penser à
ce que me racontait mon regretté
père au clair de lune : « on dit d’un
enfant qu’il est très impoli, et, l’enfant
rétorque en des termes injurieux
: qui dont la mère vient d’affirmer
que je suis impoli ? » On a peur de
vos muscles pendant que vous êtes
vêtus. Que se passera-t-il quand au
même moment, vous vous déshabillez
pour exposer votre poitrine et
vos muscles ? Pour être plus précis,
Ouattara et son gouvernement ont
besoin d’assurance, et la CPI en a le
plus besoin pour savoir si la libération
ne serait-ce que provisoire de
Gbagbo pourrait consolider la paix
sociale et non la faire disparaitre
pour toujours. C’est pour cette raison,
tout en félicitant le ministre
Koné Katinan pour sa fidélité et sa
loyauté vis-à-vis de Gbagbo, en sa
qualité de porte- parole, en félicitant
aussi le Premier ministre Pascal Affi
N’Guessan pour le dialogue entamé
avec le gouvernement Ouattara qui
vient d’aboutir à la mise en place
d’une CEI dite consensuelle.
J’encourage au même moment le président
Ouattara à faire chaque jour un
pas en avant dans le sens de la
réconciliation et de l’unité nationale.
Au total, le retour à la cohésion
sociale, à la paix, à l’unité des forces
nationales – gages de la stabilité
nationale et sous régionale pourrait
constituer un signal fort pour le
conseil de sécurité des Nations-Unies
et surtout pour la CPI, qui pourrait
revoir la mise en liberté provisoire du
président Laurent Gbagbo. Sinon
aucun juge ne pourra prendre la responsabilité
de favoriser une situation
plus que malheureuse qu’il devra
porter sur sa conscience pour le reste
de sa vie. Pour ma part, l’entrée du
FPI et alliés au gouvernement, loin de
tourner la page Gbagbo, constitue un
pas en faveur de Gbagbo.

La Côte d’Ivoire tout comme la plupart des pays en voie de développement, attendent beaucoup de leurs partenaires occidentaux pour le financement de grands projets. Or ces pays donateurs posent souvent comme condition d’aide, les élections et la démocratie. Dans ces conditions, la Côte d’Ivoire ne sera-t-elle pas en difficulté si elle reportait les élections ?

Je suis conscient que nous sommes
souvent confrontés à des situations
d’aide conditionnelle. Ce que j’apprécie
d’ailleurs. Mais nous devons
apprendre à avoir le courage d’expliquer
à nos partenaires occidentaux,
les tristes réalités de nos pays. On ne
doit pas tout le temps céder aux
pressions extérieures à cause de
l’aide occidentale pour enfin aboutir
à un chaos chez nous, pendant que
les pays occidentaux s’attèlent à
retirer leurs ressortissants de nos
pays en proie aux violences et que les
compagnies privées des mêmes
pays exploitent nos divisions internes
pour vendre leurs armes des deux
côtés en conflit. Finalement, lorsque
nous jetons les corps sans vie de nos
enfants dans les fosses communes,
eux font mener la belle vie sur des
plages et centres d’attraction à leurs
enfants aux yeux bleus et verts. Cette
situation douloureuse et traumatisante
que la classe politique a fait
vivre au cours des élections de 2010,
je vous en prie, je ne veux plus jamais
la revivre au nom d’une quelconque
démocratie.
Pour revenir aux différentes étapes
de la crise ivoirienne et le rôle généralement
joué par la pression étrangère,
je peux dire très haut que si les
pressions extérieures n’avaient pas
contraint feu le Gal Guéi à organiser
les élections dans la précipitation en
2000, il aurait pu réussir avec un gouvernement
d’union à jeter les bases
d’une nouvelle nation. On n’aurait pas
connu la crise à travers laquelle
Laurent Gbagbo est arrivé au pouvoir
dans les conditions «calamiteuses»
selon ses propres termes.
Si, entre 2008 et 2009, il n’y avait pas
eu une pression excessive sur Gbagbo
en vue de l’organisation de la présidentielle
dans un pays toujours coupé
en deux, avec une grande partie hostile
et armée contre Gbagbo, On n’allait
pas connaitre la crise post- électorale
qui a arraché tant de nos
enfants des mains de leur famille, de
façon violente. D’ailleurs, au cours
des élections antérieures, j’avais
affiché que mon objectif en tant que
candidat est de jeter les bases de la
démocratie, de l’Etat de droit et des
droits de l’homme. Mais, dans le
contexte actuel de la Côte d’Ivoire, il
faut savoir choisir le moment propice
pour l’organisation de la présidentielle.
Sinon, nous risquons de nouveau
de remplir les fosses communes
de nos enfants, tout en enrichissant
les vendeurs d’armes, or nous ne vendons
nous même que du cacao et du
café.

Seriez-vous à nouveau candidat si les élections présidentielles sont maintenues pour octobre 2015 ?

Je serai candidat à toutes les élections
jusqu'à ce que j’accède au pouvoir.
Je suis donc candidat si malgré
tout, ces élections devraient se tenir
en 2015.

Quel souvenir gardez-vous des élections présidentielles de 2010 ?

Chacun retiendra ce qui l’a le plus
marqué. Quant à moi, c’est le courage,
la détermination et le sang froid
d’un jeune homme qui, pour la première
fois de l’histoire de notre pays
a défié et affronté sans aucune protection
particulière, trois monuments
de la politique africaine qui, pendant
près de deux décennies ont tenu
toute l’Afrique en haleine, ont même
failli bouleverser les Nations-Unies.
Au plan purement régional, je suis le
premier fils Wê à se présenter à la
magistrature suprême de notre pays
et qui a participé à cinq élections,
sans hautes tensions, sans trembler
ou reculer. C’est d’ailleurs ce jeune
qui a failli payer cher le prix de son
intrépidité à travers son emprisonnement
spectaculaire en janvier 2014 à
la Maca. Tohou est certainement,
celui par qui la jeunesse ivoirienne
aura appris à se présenter à la magistrature
suprême sans se sous-estimer.

Avez-vous un message particulier à l’endroit des ivoiriens ?

Je voudrais dire à l’ensemble de la
classe politique que pendant toute
une décennie, nous avons fait appel à
ce que nous avions de pire en nous.
Je voudrais à présent inviter tout un
chacun à faire appel à ce que nous
avons de meilleur en nous dans l’intérêt
de notre pays, de nos enfants et
petits enfants. Apprenons à avancer
ensemble dans le développement par
tous et pour tous, sans canons et
sans épées. A l’endroit de nos populations,
je voudrais leur rappeler que
Laurent Gbagbo et
son équipe ne contrôlaient que 40%
du pays. Mais malgré cela, il arrivait
à payer tous les fonctionnaires y
compris ceux qui n’exerçaient plus du
fait de l’invasion de leur ville de résidence.
Alassane Ouattara et son
équipe sont arrivés au pouvoir avec
un pays complètement déstabilisé
suite à une guerre meurtrière dite
crise post-électorale. Il est en train
d’étendre l’autorité de l’Etat sur l’ensemble
du pays, tout en remettant en
état de marche l’ensemble de l’administration.
Imaginez-vous donc un instant, ce
que deviendrait notre pays, si nous
réussissons à unifier toutes ces
forces, tous ces talents au service de
notre nation. Cela est possible. Dieu
vous bénisse et qu’il bénisse notre
Pays.

Propos recueillis par Saint-Claver Oula
(In Le Nouveau Courrier du 27 août 2014)